C’est bien de rappeler 95.
Cela se passait dans l’hiver 1995-1996, Alain Juppé était aux « manettes ». Serge Halimi raconte :
"Cette lobotomie avait duré près de quinze ans : les élites
françaises et leurs relais médiatiques pouvaient estimer qu’ils
touchaient au but. Ils avaient chanté ’Vive la crise’, célébré l’Europe
et la modernité, conjugué des alternances sans changement, embastillé la
justice sociale dans le cercle de la raison capitaliste. Et puis,
M. Juppé parla. Le fond de sa ’réforme’ importe peu : il s’agissait une
fois encore de mener ’la seule politique possible’, c’est-à-dire de
faire payer les salariés. Sans trop se soucier de cohérence - les médias
assureraient la mise en musique idéologique -, M. Juppé prétexta
simultanément de son désir d’assurer la défense de la protection sociale
et d’éviter la défiance des marchés financiers."
......
"Raymond Barre avait annoncé : ’Au prix d’épreuves et de sacrifices, les êtres humains s’adapteront’.
Cette fois, l’’incontournable’ fut contourné : les cheminots et les
agents de la RATP triomphèrent des affidés de M. Barre. Il paraît que
c’est sans importance : ’On se souviendra aussi peu de ça que de la grève SNCF de 1986’, a déjà expliqué l’un de nos plus brillants commentateurs...)"
A lire, La Grande Révolte française contre l’Europe libérale : les médias et les gueux de Serge Halimi (1).
C’était il y a tout juste onze ans. Aujourd’hui, hiver 2007, l’équité
est le cheval de bataille pour justifier la réforme des régimes
spéciaux des retraites. Mais qu’est-ce que l’équité ?
"Au nom de l’équité, le salaire du président de la République a été
plus que doublé. Cette ahurissante augmentation a été légitimement
rapprochée du dramatique problème de pouvoir d’achat en France car les
principes justificateurs allégués par les auteurs mêmes de cette ’grande
avancée sociale’ n’ont pas hésité à faire référence à l’équité.
Pourtant cette référence à l’équité évoque davantage la réforme des
régimes spéciaux, ... par la parfaite symétrie, mais évidemment à fronts
renversés, des diverses façons de réaliser l’équité."
A lire absolument, dans l’excellent article de Frédéric Lordon, chercheur au CNRS : Les Géométries variables de l’équité (2).
Comme l’on voit, l’équité est une notion très subjective. Remarquons
que la référence sans laquelle l’équité n’est qu’une notion à la dérive
c’est l’égalité. Autour de ce point d’ancrage, il y a d’un côté toutes
les nuances de l’équité, de l’autre toutes celles l’iniquité. Etant juge
et partie dans ce domaine, le gouvernement n’a pas le droit de parler
au nom de l’équité.
Comme l’on voit, l’équité est une notion on ne peut plus subjective.
Remarquons que la référence sans laquelle l’équité n’est qu’une notion à
la dérive c’est l’égalité. Autour de ce point d’ancrage, il y a d’un
côté toutes les nuances de l’équité, de l’autre toutes celles
l’iniquité. Pratiquer comme le fait le gouvernement l’équité à fronts
renversés, vers le haut pour l’un, vers le bas pour les autres c’est
évidemment faire deux poids et deux mesures, c’est imposer l’équité
positive pour les nantis et l’équité négative pour les salariés. Cette
équité négative usurpe son nom et n’est qu’un égalitarisme pour les
autres, inique.
De fait, mettre tout le monde au même niveau c’est évidemment
pratiquer l’égalité, il faut appeler un chat un chat. Et quand ce niveau
est le moins favorable, c’est niveler par le bas. Décréter équitable ce
qui accroît les inégalités entre les différences classes sociales est
une imposture insoutenable.
Et donnons ici le mot de la fin à Frédéric Lordon : "La réforme des
retraites ne cesse de revendiquer la ’justice’ et n’est pas loin de se
donner pour ’sociale’... Il est peut-être temps de remettre à l’endroit
ce parfait sens dessus dessous. C’est pourquoi la lutte contre la
réforme des régimes spéciaux offre une occasion de ne surtout pas
manquer de récupérer ’l’égalité’ et d’en réaffirmer le sens originel,
qui n’a jamais été celui de la convergence pour le pire".
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/plus-ca-change-plus-c-est-pareil-31562