« islamophobie ? »
Oui, je crois à la pertinence de ce concept au vu des commentaires qui tendent à ramener tous les problèmes sociétaux et économiques actuels à l’Islam en général et aux mouvements fondamentalistes en particulier.
Pour ma part, je peux comprendre des fixations à titre personnels liées à une histoire de vie, à un environnement familial - je pense à ces familles de rapatriés qui, depuis 1962, ressassent tous les soirs leurs récriminations devant le journal de 20h.00 en rapportant tous les évènements de l’hexagone à leur drame passé.
J’ai un peu plus de mal avec les professionnels de la haine raciale, que leur langage soit policé ou plus brut - et qui savent s’adapter aux contextes, capables un jour de hurler à l’antisémitisme (je pense à l’affaire dite « des barbares ») et le lendemain de s’inquiéter du « lobby juif » dans les média. Et peut-être encore moins avec les « personnalités fascistoïdes » si bien décrites par Adorno.
Que le fondamentalisme soit une réalité, oui je le crois, mais le phénomène touche toutes les religions, dans un courant mondial de régression sur des valeurs identitaires lié au déséquilibre provoqué par la fin de la bipolarité du monde.
On le voit notamment dans le monde arabe, ou les courants non liés au religieux - qu’il s’agisse du nationalisme arabe dans sa version égyptienne, du baasisme des origines (celui de Michel Aflaq et de Salah Bittoun), des mouvements « palestino-progressistes » - se sont écroulés lorsque leurs sources de financement - les pays du Pacte de Varsovie se sont taries. Les dollars de Washington et les pétro dollars du Golfe qui eux, trouvaient plus rentables d’investir - d’une part pour la promotion du libéralisme, d’autre part pour la diffusion du wahabisme - dans des courants quasi moribonds au milieu des années 70 à qui ils redonnèrent vie à la faveur de l’accession de Ronald Reagan à Washington et de l’intervention soviétique à Kaboul.
Ces mouvements, même si le plus nuisible d’entre eux - Al Qaida - s’est retourné spectaculairement contre Washington, gardent l’avantage pour la droite religieuse américaine de constituer un ennemi fédérateur et pour le complexe militaro industriel (celui que dénonçait Eisenhower sur le départ) de justifier des dépenses en armement considérables et la poursuite d’une intervention extérieure - l’Irak - dont les causes de départ - la destruction d’ADM - ont aujourd’hui perdues toutes légitimité.
Le discours d’Al Qaida n’a aucune cohérence et apparaît parfois bien suspect lorsque, dans sa dernière prise de parole, son leader s’en prenait à la France - invoquant la loi sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires - qui devrait constituer pour lui un allié objectif en raison de son opposition à la guerre du Golfe n°2 tandis que la Turquie, plus stricte sur les questions de laïcité et seul état musulman dont l’état-major - qui sous la forme du Conseil de Sécurité Nationale (MGK) détient la réalité du pouvoir - a signé un contrat d’assistance mutuelle avec Tsahal.
Le fondamentalisme musulman en France ne représente pas pour moi le danger le plus grave qui menace nos libertés. Ne s’intéressant qu’à la réislamisation du sous prolétariat des ghettos de banlieue, il a montré son peu d’influence dans la crise de novembre où, s’il avait eu l’influence nécessaire, il ne se serait pas privé d’un rôle de médiateur avec le pouvoir. Lorsque l’on connait le faible taux de participation électoral de son public, on peut encore davantage relativiser son pouvoir.
« L’islamisation de la France » ? On s’approche ici, avec ce type de concept de la manipulation de fantasmes et des mécanismes utilisés par les droites extrèmes autour des années 1934 lorsqu’elles invoquaient la « judaïsation » de la France. Je me réfère pour ces parallèles - que l’on peut discuter - à la réflexion d’une Esther Benbassa dont je respecte profondément l’immense culture et l’humanisme courageux dont elle fait preuve.
Qui menace nos libertés ? : j’invoquerait ici le discours de politiques sans programmes ni solutions et qui voient - avec des nuances diverses dans le discours - l’excitation de réflexes xénophobes comme un dérivatif éprouvé aux inquiétudes que connait leur électorat.
RAMSAY