Dette
publique : pas de quoi paniquer !
En dépit de la montée structurelle de la
dette, la puissance publique n’a jamais eu de mal à la financer. Qui sont les
investisseurs qui nous font confiance ? Il y a encore peu de temps
s’appliquait, en gros, la règle des trois tiers : un tiers de Français
(compagnies d’assurances, fonds d’investissement...), un tiers d’Européens non
Français et un tiers de non-Européens. Mais, avec le lancement des politiques
monétaires dites de quantitative easing, c’est-à-dire l’achat de titres
de la dette publique par la Banque de France pour le compte de la Banque
centrale européenne (BCE), la donne a changé. De ce fait, la part des
investisseurs domestiques a grossi de manière importante. Ainsi, la Banque de
France détient aujourd’hui environ 20 % de la dette française, le même
niveau que les compagnies d’assurances. Le poids des investisseurs étrangers a
de ce fait diminué. A partir de janvier 2019, la BCE n’achètera plus de nouveaux
titres de dette publique. Cela aura-t-il un effet sur notre capacité à la
financer ? A priori non, et pour deux raisons. D’une part, à chaque fois
que les titres déjà détenus arriveront à échéance, la BCE continuera à
réinvestir l’argent dans l’achat de nouvelles dettes. D’autre part, les
investisseurs en quête de placements sans risque en Europe voient fondre le
marché de la dette allemande : le pays accumule les excédents budgétaires,
il rembourse sa dette ancienne sans en créer de nouvelle. Nombre d’investisseurs
devraient se tourner de plus en plus vers la dette française. Pas d’inquiétude
donc sur notre capacité à la financer.
Une dette maîtrisée et financée peut tout
de même devenir inquiétante si l’argent a été utilisé n’importe comment. En
moyenne, sur la période 1978-2017, le solde budgétaire hors investissements
publics a été excédentaire de l’équivalent de 0,8 % du PIB. La dette de
l’Etat a donc à peu près servi à financer intégralement de l’investissement,
avec même un petit surplus pour les autres administrations publiques. Seules
les années de fort ralentissement de l’activité (le début des années 1990, la
période de crise des subprime et de la zone euro) correspondent à des
situations dégradées. Mais, de manière structurelle, la dette de l’Etat
français finance surtout de l’investissement.
N’y a-t-il donc aucun sujet d’inquiétude à
propos de la dette française ? Si, il y en a même trois. D’abord, si le
niveau actuel apparaît supportable, bien financé et peu coûteux, une nouvelle
crise importante - par exemple des tensions dans la zone euro dues aux
problèmes budgétaires italiens, à un Brexit dur, à la faillite retentissante
d’une Deutsche Bank mal en point, etc. - emmènerait la dette vers des niveaux
plus risqués et moins contrôlables. La France se doit donc de maîtriser la
progression de ses déficits publics et de sa dette. Ensuite, au-delà de ces
événements conjoncturels et qui ne dépendent pas de la France, la tendance
structurelle de la montée de la dette française résulte pour une partie
significative de l’idéologie anti-impôt des gouvernements de tous bords qui se
sont succédé au cours des vingt dernières années. La présidence Macron poursuit
la même trajectoire et adopte le même discours volontaire de réduction de la
dette, tout en se privant des moyens d’y arriver en supprimant des recettes
fiscales. Enfin, s’il faut s’inquiéter d’une dette, c’est aujourd’hui plutôt
celle des entreprises privées qui suscite des craintes. Le Haut Conseil de
stabilité financière, l’organisme chargé de surveiller le système financier
français afin d’éviter les prochaines crises, s’en est déjà ouvert plusieurs
fois au cours des derniers mois. De fait, on constate une montée rapide de
l’endettement des entreprises françaises, une utilisation d’une partie des
fonds empruntés pour de la spéculation financière et une évolution complètement
à contre-courant par rapport aux autres pays européens.
Christian Chavagnieux, Alternatives économiques, 17 décembre
2018.