Bon article qui donne matière à de multiples développements. Il commence à nous manquer ces hommes qui avaient une posture morale, et une expérience de l’indicible, issus de deux guerres. J’ai vu mourir ceux issus de la première, et l’on voit maintenant les survivants de la seconde disparaitre à leur tour, remplacés par les « OK boomers » terme méprisant un indigent. L’époque actuelle ne permet que très peu des parcours professionnels à la Primo Levi, tant la diplomite aigue, les parcours fléchés, les chausse trappes, ont balisé la société, pour le grand bénéfice d’une classe sociale, et la désespérance d’une autre. Epoque peu propre à entretenir ce climat de dynamisme, propice aux autodidactes et à ceux qui comme moi ont quitté, pour de multiples raisons, l’école à 16 ans, pour tout de même parvenir à se raccrocher aux branches plus tard, forts d’une expérience de traverse qui leur a été profitable, finalement. Ce type de parcours, relativement banal auparavant, est devenu très rare. Qu’arrive une vraie crise, comme celle que nous vivons, et il se pourrait bien que l’échelle des compétences et des qualités soit revue rapidement. La république a fait monter au front des généraux de 20 ans, qui par leur dynamisme et leur foi, remportaient des batailles sur les bien nés, à qui il ne manquait pas un bouton à leur vareuse.
Un jour j’ai entendu l’institutrice de mon gamin de maternelle, prétendre qu’elle se faisait fort de dire quels gamins de sa classe étaient capables de faire des études supérieures...J’en ai frémi, quand à la conséquence du regard projectif qu’elle induisait. On n’existe souvent que dans le regard des autres. C’est lui qui nous structure. C’est le sens de la pensée de Sartre « l’enfer c’est les autres ». L’homme qui vieillit possède de façon relative ce détachement issu de l’expérience, qui anesthésie les cruautés de la vie, qui le rendait malade de honte, de dépit, de déception, dans ses premières décennies, pour ces choses parfois anecdotiques. S’il ne parvient pas à cela, alors vivre ne lui aura pas servi à grand chose.
On a en fait tous les âges qu’on a traversés. Pourvu qu’on entretienne ces mémoires, on en sort indulgent pour les plus jeunes, et compréhensifs. Par contre les jeunes ne peuvent pas connaitre cette expérience qui n’est pas livresque. C’est ce qui nous donne de la bienveillance et de l’empathie, un certains détachement, qu’on ne trouvait pas forcément à la lecture de la philosophie, tout jeune. Car comment comprendre que le désir est souffrance, quand les hormones nous commandent ?
Ce que dit de façon désabusé Levi sur « les vieux » me semble très limité, et sans doute faudrait il mettre cette phrase dans son contexte, et même l’humeur de l’auteur, changeante. Sur le suicide, j’en ai tant vu qui voulaient s’en aller ainsi, mais qui parfois, une fois récupérés, et même la plupart du temps, avaient finalement changé de posture sur l’existence. Entendu qu’on est ici au delà du choix
Le suicide est une expérience fondamentale de la vie, pourvu qu’on s’en tire évidemment. J’ai vu, pas un cas d’exception, une femme devenir tétraplégique ainsi, mais retrouver ensuite le gout de vivre. Il n’explique rien en lui même. On n’en sort pas grand chose dans l’intention de l’acte, pour tenter de saisir la vérité d’une personne, traversée de contrastes et de lumières, qui l’éclairent et l’assombrissent. On pourrait parler des rencontres déterminantes, aussi, et de la chance, simplement.
La notion de hasard n’est jamais abordée, car elle nous ramène à la main aveugle de la vie, qui vous fait traverser la route simplement au mauvais moment. Voilà que je pense à Camus, qui eu la chance de rencontrer un professeur déterminant, mais fit le mauvais choix de monter dans la voiture du fils Gallimard pour rentrer à Paris, plutôt de prendre le train, comme il l’avait initialement prévu. Comment lutter contre le sentiment d’absurdité de la vie ?