« Je nous vois déjà dans
vingt ans. Tous enfermés chez nous. Claquemurés (j’adore ce verbe, et ce
n’est pas tous les jours qu’on peut le sortir pour lui faire faire un petit
tour). Les épidémies se seront multipliées : pneumopathie atypique, peste aviaire,
et toutes les nouvelles maladies. Et l’unique manière d’y échapper sera de
rester chez soi. Et puis il y aura toujours plus de menaces extérieures :
insécurité, vols, attaques, rapts et agressions – puisqu’on aura continué
de s’acharner sur les (justes) punitions en négligeant les (vraies) causes. Et
le terrorisme, avec les erreurs à répétition des Américains, sera
potentiellement à tous les coins de rue. La vie de « nouveaux prisonniers »,
que nous mènerons alors, sera non seulement préconisée mais parfaitement
possible, et même en grande partie très agréable. Grâce au télétravail qui nous
permettra de bosser à la maison tout en gardant les enfants (qui eux-mêmes
suivront l’école en vidéoconférence). Grâce à Internet qui nous épargnera bien
des déplacements : on n’aura plus besoin ni de poster les lettres, ni d’acheter
un journal « physique », ni d’aller faire la file dans les administrations.
[…]. Dans les rues, il ne restera plus que des chiens masqués qui font seuls
leur petite promenade (pas de problème, sans voitures), et du personnel immigré
sous-payé, en combinaison étanche, qui s’occupera de l’entretien des sols et
des arbres. D’autres s’occuperont de la livraison de notre caddy de commandes à
domicile. Alors nous aurons enfin accompli le dessein de Big Brother. Nous
serons des citoyens disciplinés, inoffensifs, confinés, désocialisés. Nous
serons chacun dans notre boîte. Un immense contingent de « je », consommateurs
inertes. Finie l’agitation. Finie la rue. ».
Marc MOULIN
Le... 27 Avril
2003 !!!