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Commentaire de Sandro Ferretti

sur Hugues Pagan : une lueur dans la nuit du polar français


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Sandro Ferretti Sandro Ferretti 11 janvier 2021 18:25

Et pour finir….( épilogue de « mauvaises nouvelles du front  », Ed. Rivages Noir, où Pagan fait un bilan/ testament assez éloquent de son œuvre)


« Difficile de parler de soi, surtout quand on se tient soi-même à distance avec le plus grand soin.


Difficile d’écrire sur ce qu’on a écrit, surtout lorsqu’on l’a toujours fait pour ainsi dire en état de légitime défense. Une dizaine de nouvelles sur une trentaine d’années, on ne peut parler de saturation, ni du besoin de paraître tout le temps, ni d’occuper le terrain. Pour la plupart, il s’agissait de commandes, plus fortuites les unes que les autres. Souvent, il s’agissait surtout de faire plaisir. « Pagan, t’aurais pas un truc sous le coude, des fois ? Un truc pas trop chiant. Un truc comme ça, un brouillon de cinq ou six pages ?  ». La plupart du temps gratos.


J’avais toujours quelque chose sous le coude. Pas tout à fait exact : j’avais toujours un personnage pour faire ses conneries en douce dans son coin. J’ai toujours eu des personnages qui n’en faisaient qu’à leur tête. On m’a souvent dit : tes mecs et tes gonzesses, tu sais pas les tenir. C’est pas faux.

Ils vivaient leur vie et moi la mienne. Il leur arrivait des choses et des machins. La plupart du temps, ils venaient à confesse quand ils avaient fait dans leurs braies et c’était en général trop tard pour leur arranger les bidons.


Souvent on m’a dit : tu ne les tiens pas assez en laisse. Un personnage, ça ne fait pas ce qu’il veut. C’est jamais qu’un chaouche, un personnage. T’as jamais bien su leur faire comprendre qui était le patron. Ça doit rester dans l’axe, un personnage, même s’il le faut à grands coups de pied au cul. Les miens, c’est vrai, partaient toujours un peu de coté, anciens flics, anciens machins, comme on dit maintenant « limites », mais limites de quoi ? La seule limite qu’il vaille la peine de franchir, c’est celle qui nous sépare un tant soit peu du grand silence. Le reste…


Je leur ai toujours foutu la paix, même quand ce grand con de Schneider est allé se faire crever un soir qu’il n’était plus de permanence. Soi-disant, chagrin d’amour. On met des siècles à en mourir, c’est vrai : je suis bien placé pour le savoir, ces chagrins qui durent toute une vie. Mais quand même. Si Cheroquee n’avait pas quitté Schneider ( ou l’inverse), il ne serait pas allé mourir en gare pour rien, très seul un soir de pluie. Il n’y aurait pas eu «  la Mort dans une voiture solitaire » et sans « la mort.. », il n’y aurait rien eu du tout, ce qui, à vrai dire, n’aurait pas fait un bien grand vide. Le seul vrai mystère, la seule question qui aujourd’hui me tourmente encore, c’est pourquoi ils se sont quittés et même quand et comment. Allez savoir.

Schneider est mort sans me le dire, c’était de toute façon un taiseux peu porté sur l’introspection. Quant à Cheroquee, elle ne me parle plus. L’hypothèse qui me vient à l’esprit le plus couramment est que ni l’une ni l’autre n’étaient des êtres réellement portés sur le bonheur. Allez savoir.


Alors ces nouvelles, disparates, bancales, plus ou moins drolatiques, ces personnages entraperçus, ce sont des portes ouvertes un instant sur des solitudes, des murmures de vies, qui sont les leurs et par voie de conséquence un peu les miens, rien que des petits blues sans portée. Des dérapages mal maîtrisés, des souffrances. Des tristesses. Les leurs, les miennes. Peut être les nôtres. Je n’ai jamais su gérer, j’étais trop occupé à écouter ce qu’ils venaient me raconter au petit matin. En général, ils n’étaient plus très frais, mâles ou femelles, tous à courir toujours derrière la même étoile, pale et ternie dans le gris terne du petit jour.

Au vrai, j’ai toujours trop aimé les petites heures.

De Chess au goéland électronique, du Divisionnaire sans nom, de Léon à Jésus, une toute petite comédie humaine à ma mesure. S’il fallait recommencer, je referais pareil.


Tant pis pour eux. »

Hugues Pagan.



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