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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Hugues Pagan : une lueur dans la nuit du polar français

Hugues Pagan : une lueur dans la nuit du polar français

La vieille Buick glissait le long des trottoirs mouillés de nuit, où les néons se regardaient clignoter dans l’aube sale. On finissait une patrouille de nuit, avec Chandler, Mc Coy, Elroy et Mc Bain. On planquait depuis longtemps à la recherche d’un certain Hugues Pagan, un polareux. On dit en ville que c’est lui le nouveau boss du polar Frenchy. Nous, les Ricains, on voulait voir ça de près. Quand on l’a vu sortir du block, raide dans sa parka de cuir qui le tenait debout, on a lu d’emblée dans ses yeux gris pleins d’eau qu’il n’en avait plus rien à foutre de rien. Il planait là quelque chose comme du respect. En le mettant dans la Buick pour l’emmener à Agoravox, on ne lui a même pas mis les menottes. Du respect, je vous dis.

- Interrogatoire d’identité :

PAGAN Hugues (de son vrai prénom Yves), né en 1947 à Orléanville (Algérie). Etudes de droit, maîtrise de philo (thèse sur Heidegger), puis réussite au concours d’Inspecteur de Police. Fera vingt ans de "maison" (qu’il appelle "l’usine"), en Police judiciaire à Paris. Petites et moyennes affaires (commissariats de quartier, puis 4e BT, appelées aujourd’hui DPJ). Ecrit d’abord sous pseudo. Le 27 juin 1988, Inspecteur divisionnaire, il est l’un des OPJ requis pour l’enquête et l’identification des corps du carnage ferroviaire des sous-sols de la gare de Lyon (56 morts). Profondément marqué, il prend du recul, écrit plus que jamais pour exorciser ses visions, et connaît rapidement la reconnaissance des pairs. Il est édité chez "Rivages Noir", la collection François Guérif. Puis il donne sa démission, part en retraite anticipée et, parallèlement à l’écriture, devient scénariste de films et de séries télévisées.

Principales condamnations :

Boulevard des allongés (1984), Les Eaux mortes, Je suis un soir d’été, La Mort dans une voiture solitaire (1992), Dernière station avant l’autoroute (1997).

- Les faits reprochés :

"Le polar, c’est mort", disait en 1990 de façon péremptoire - mais prémonitoire - Jean-Patrick Manchette, le "pape du néo-polar". Brillant porte-drapeau du polar français des années 70/80, ayant appliqué les techniques du nouveau roman au polar (constructions en abyme, récit à la troisième personne, travelling empruntés au cinéma), la mort de Manchette, séché en juin 1995 d’un cancer du pancréas, laisse un vide immense. Le Robbe-Grillet du polar, respecté des Américains, aux œuvres disséquées en khâgne, n’a laissé que des orphelins. Ce n’est pas faire offense à A.D.G, Fred Vargas ou J.-C. Izzo que de dire que Manchette n’a pas été remplacé. La nuit du polar français…

Hugues Pagan ne l’a pas remplacé non plus, stylistiquement, mais il s’est progressivement imposé comme le "boss" pour les amateurs du genre. Il écrit bien (très bien) et c’est un flic. Une rareté, car, d’habitude, les icônes du polar sont soit des gens appliqués, mais qui ne savent pas de quoi ils parlent, soit des professionnels (ou ex.) des morgues dont la plume est indigente. Pagan écrit bien et il ne sait que trop de quoi il parle : c’est sa double force.

- L’avis du psychologue commis d’office :

Profondément désenchanté, fasciné par les gens "déjà morts avant d’être morts", Pagan écrit sur l’indicible. Ex-flic, c’est-à-dire éboueur de la société, il décrit ses odeurs, et ça ne sent pas bon. Il écrit sur la décrépitude, la mort des héros. Les gens qui se regardent passer dans la rue et qui n’aiment pas ce qu’ils sont devenus. L’alcool pour tenir debout, la cigarette plantée sous le nez pour lutter contre l’odeur des morgues. Style très célinien, parfois mâtiné de la brièveté chirurgicale d’un Beckett. Une grande négritude intérieure, un nègre blanc…

La seule lueur provient parfois, brièvement, des femmes, et du sexe pour "se montrer qu’on est pas encore morts". Il ajoute : " Il n’y a pas un seul voyou que j’ai admiré. Ils sont en général symétriquement aussi cons et baltringues que les flics. Je peux dire qu’en 23 ans de police, les seuls vrais mecs que j’ai rencontrés et qui tenaient la distance en sachant rester humains étaient des femmes".

Longtemps porté par des idées humanistes et "de gauche", Pagan a aussi abandonné cela derrière lui. L’homme n’est pas bon. Il cite Cioran : "toute existence est nécessairement un processus de décomposition". Dans une société pourrie, pourquoi les flics ne le seraient-ils pas ?

"L’éthique a des variables, et on peut penser, hélas, qu’il y a une éthique du CAC 40"… lâche-t-il.

Pour Pagan, il n’y pas les bons et les méchants. Ce sont, alternativement, les mêmes. Ses personnages ne sont pas immoraux, ils sont a-moraux. Tels Harvey Keitel dans Bad Lieutenant  ? Non. Rigoureux jusqu’au bout, Pagan indique : "si j’admire beaucoup Abel Ferrara, son Bad Lieutenant est faible à cause de ce souci de rédemption. Il faut savoir qu’on est dans la merde et qu’on n’en sortira pas".

Dans la description clinique d’une fillette éventrée avec ses intestins dans la bouche, Pagan ne cède à aucune facilité. Pas même celle d’évoquer "l’assourdissant silence de Dieu".

Pour lui, puisqu’on ne peut changer le monde, il faut être attentif aux mots qui le décrivent. D’où une rigueur stylistique extrême, élégance des désespérés, conçue comme dernier bastion du respect de soi et du lecteur.

C’est donc de la littérature.

Bref, M. le juge, Pagan mérite la mort, comme tout le monde, mais je vous demande de lui accorder le sursis.

- Morceaux choisis :

- "C’est notre propre douleur, au fond, qui nous protège le mieux contre les pièges et les tentations de la vie, contre nos lâches ambitions de bonheur, nos tristes et déraisonnables envies de durer. Durer, d’ailleurs, c’est seulement la viande qui le veut, l’âme il y a bien longtemps déjà qu’elle a décroché, qu’elle a dévalé en pente douce, sur la pointe des pieds, le mince chemin de la vie, qu’elle s’est perdue de trop de souffrance et d’amertume, de trop de clairvoyance, surtout.

Mon âme, je l’ai paumée à force de trop de morts, de nuits blanches et de café. Elle en a eu assez de ce que je lui faisais voir. Elle est partie de son côté et moi du mien. Je ne peux pas lui en vouloir. C’était pas une vie pour elle, dans le fond. C’est infiniment plus vulnérable et fragile qu’on le croit, une âme. C’est seulement quand on ne l’a plus qu’on se rend compte. Quand il n’y a plus rien à faire que verser dans le fossé et attendre qu’on ferme".

- "Le ciel était bleu et immense, et étincelant comme un bol de porcelaine renversé et les balises de l’héliport étaient encore allumées, mais on n’allait pas tarder à les éteindre. Il avait quitté la morgue à pied. Il avait traversé la salle d’entrée, seul, et sans que personne ne l’appelât. Il était presque huit heures et les bagnoles commençaient à rouler pare-chocs contre pare-chocs sur le périphérique proche. Il faisait froid et clair et on y voyait loin, mais pas jusqu’où Schneider était parti".

- "Je me rappelle la petite fille. Elle vient souvent hanter mes nuits (…). En refermant sur elle cette bâche si légère, j’ai éprouvé malgré moi un sentiment de souffrance et d’amertume presque intolérable. De toute mon existence, je garderai la conviction intime que si, à cet instant, j’avais pu ressentir tant de douleur impuissante, une telle intensité de chagrin et de désolation, c’était bien là une preuve qu’il s’en était fallu de bien peu que je fusse quelqu’un de fréquentable et pour qui même j’aurais pu éprouver affection et respect".

- "Ce qui fait notre propre malheur, c’est sûr, c’est les petits bonheurs qu’on aurait aimé se passer, ces petites douceurs… L’odeur du jasmin, la mer au crépuscule. C’est de là que vient tout le mal. Il faudrait n’avoir jamais connu d’espoir. C’est comme ça que ça aurait pu être peut être tenable. Pas d’espoir pour soi-même, je veux dire. Les autres, ils ont le droit d’essayer."

- "Chaque homme est muré dans sa nuit. On avait beau se faire des signes, de chaque côté des voies, le train n’en passait pas moins inexorablement avec son cortège de morts et de vivants effarés".

- "C’était comme ça, joué d’avance et d’avance perdu. Alors, le grand ciel bleu sombre, la mer immense, le soleil écrasant… Vous pensez… Certains soirs, on se souvient bien des sourires, des promesses, mais à quoi ça vous mène ? Même ces maisons aux façades blanches, aveuglantes dans le plein midi, crayeuses, abruptes comme des falaises… C’est bien tout fini, allez…"

- Epilogue :

Bon, les 48 heures de garde à vue sont écoulées. Le café est froid et il ne reste qu’une Craven A dans le paquet chiffonné. Ce Pagan, on va le relâcher, parce que finalement, il est plus noir que nous. Pour ceux qui veulent ses aveux complets, lire :

http://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-82.htm

Pour voir l’ensemble de son casier judiciaire :

http://www.payot-rivages.fr/asp/auteur.asp?id=100

Nous, on repart en patrouille. C’est pas parce qu’on a rencontré une lueur que ce n’est pas toujours la nuit.


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32 réactions à cet article    


  • maxim maxim 23 juin 2008 14:28

    attrayant ..

    ça me replonge dans l’univers de Mario Ropp ,notamment celui du Tueur triste ,un de ses meilleurs polars

     


    • Sandro Ferretti SANDRO 23 juin 2008 15:41

      Bonjour Maxime,

      Peut -étre sais-tu qu’en fait Mario Ropp était une femme écrivant sous pseudo. Mais j’ai beau ne pas étre un perdreau de l’année, tu me parles là du polar plus proche de mon année de naissance que de l’univers bien moderne de Pagan (méme si les ingrédients et le constat de la noirceur absolue sont intemporels.)


    • maxim maxim 23 juin 2008 18:17

      bonsoir Sandro ..

      une femme ? eh bien ça me coupe le sifflet !

      c’est sûr c’est pas du tout neuf ,mais j’aimais l’ambiance glauque de ses romans ...

      ceci dit ,je me vais me plonger dans l’univers de celui de Hugues Pagan sans tarder !


    • snoopy86 23 juin 2008 17:27

      Salut Sandro

      Tu fais encore dans le jovial aujourd’hui...

      Même si ton article me donne envie de lire l’auteur, je ne t’en conseille pas moins de changer de cépage...

      Ou de relire Charles Williams...

       


      • Sandro Ferretti SANDRO 23 juin 2008 17:41

        Merci du conseil, mais je ne voudrais pas finir comme Charles Williams , qui s’est suicidé en laissant à sa fille une enveloppe avec juste la somme d’argent nécessaire à son incénération...

        Pas si jovial que cela, lui non plus...


      • Imhotep Imhotep 23 juin 2008 18:25

          " Il n’y a pas un seul voyou que j’ai admiré. Ils sont en général symétriquement aussi cons et baltringues que les flics. Je peux dire qu’en 23 ans de police, les seuls vrais mecs que j’ai rencontrés et qui tenaient la distance en sachant rester humains étaient des femmes".

        Ne pouvant être à la place de ce flic écrivain, ni n’ayant son expérience, je ne peux réfuter que par hypothèse. Si la dernière phrase semble assez juste, ou si on l’espère juste, si la femme est la seule à rester " humain " il me paraît un peu facile de parler de symétrie entre les truands et les flics. C’est une sorte d’ellipse littéraire à vocation d’effet frappant.

        Sinon, depuis quelques temps je lis plus de romans policiers que de " littérature " quo que certains peuvent être classés dans cette catégorie notamment Le cercle de Dante par exemple. Voilà un texte qui donne envie d’explorer cet auteur.


        • Sandro Ferretti SANDRO 23 juin 2008 18:36

          Oui, c’est du moins ce que dit Pagan (voir l’interview en lien).

          Ce qui est certain en revanche, c’est que dans les romans de Pagan, la dernière parcelle d’humanité, la brève lueur, émane souvent de femmes tentant de sortir le personnage principal de sa nuit et de sa décrépitude (qu’il s’agisse de Schneider ou de Katz, personnages de flics usés allant d’eux-mémes au devant d’un lent suicide).

          Mais très vite, réalistes ou instinctives, elle décrochent pour laisser l’homme partir dans sa nuit, dans sa déchéance, et ne pas y étre aspirée en spirale.

          Sur les voyous et les flics, pour avoir longuement fréquenté les deux, je dirais quand méme qu’il y a souvent isomorphisme , attraction/ répulsion, singeries réciproques. Pas surprenant, du reste, puisqu’il s’agit du méme milieu de vie, des mémes repères journaliers.

          Mais plus fondamentalement, il demeure, des deux cotés, des exceptions confirmant la régle.

          Pagan lui-méme en est une.


        • Sandro Ferretti SANDRO 10 juin 2012 17:21

          Pfft Sabine...
          Puisqu’on vous le dit dans la dernière phrase de l’article :
          « C’est pas parce qu’on a rencontré une lueur que c’est pas quand même la nuit ».

          Vous vous zêtes égarée chez Pagan.
          Pour votre peine, vous me ferez un billet sur Despentes en ce qu’elle préfigure la fulgurance stylistique d’Angot.Vous pouvez éventuellement ouvrir sur la perspective d’une troisième voie qui serait constituée de Nelly Arcan.
          4 heures, sans documents.
          Je ramasse même pas les copies.


        • Sandro Ferretti SANDRO 10 juin 2012 18:06

          Bon, Pagan n’est plus dans le Sud-Ouest, il a déménagé.
          Bien que n’étant pas son avocat, je vais tenter un compromis.
          Vous laissez tomber « Vaines recherches », vous attaquez directement le meilleur, « dernière station avant l’autoroute » (j’ai déjà dit que c’était le meilleur, mais vous ne me lisez pas..)

          Et là, outre que vous avez le nectar de Pagan, vous l’avez, l’histoire dont vous rêvez qu’elle existe.
          L’histoire à l’envers.
          L’executive women (Alex) qui finit à 36 kgs pour l’ex flic.Il y aura une fin à l’envers, une fin « blowing in the wind », une fin ouverte, comme des poignets.
          Et Pagan, malin, qui savait que ce serait son denrier livre, ne l’a pas vraiment finie, cette histoire.
          Quoique...
          A lire. Vraiment.
          PS : sur Nelly Arcan, je brocardais un peu méchament. Un soir dans une gare, j’avais acheté « Folle » parce que j’avais une certaine viduité des neurones. Et pour sa frimousse aussi, j’dois dire. Et j’avoue que , outre sa noirceur assez peu féminine, j’avais été agréablement surpris. Bon, elle ne risque plus d’écrire, maintenant.
          C’est comme ça.


        • Sandro Ferretti SANDRO 10 juin 2012 19:06

          @ Sabine,
          Bon, faut que je vous laisse, j’ai un personnage à tuer pour demain pour un concours de nouvelles.
          Les personnages, je les tue, parce qu’une fois sortis de ma boîte crânienne, si je les laisse courir, ils risquent de mal tourner ou de faire de mauvaises rencontres...

          Sur Nelly Arcan, ( si vous ne faites pas semblant de ne pas connaître), outre Wikipédia, il y a ce chouette billet écrit dans un quotidien canadien à l’annonce de sa mort.
          Sa noirceur était sans doute plus personnelle que réellement littéraire, reste que cette fille m’avait ébranlé, (là aussi sans jeu de mots, eu égard à sa profession initiale).
          http://www.ledevoir.com/culture/livres/268828/nelly-arcan-1973-2009-ni-putain-ni-folle-juste-brisee


        • Yohan Yohan 23 juin 2008 19:48

          @ Sandro

          Ton article me donne envie de descendre à la cave exhumer des cartons une centaine de polars (J Hadley Chase, Mc Bain, &co) dont le papier commence à jaunir sérieusement et de les relire cet été, à l’ombre de l’érable de mon jardin, avec un petit verre de bourgogne St bris bien frais. http://www.orientation-metiers.fr/reportages/vigneron.html


          • Sandro Ferretti SANDRO 24 juin 2008 08:30

            Yohan,

            Oui, j’ai un peu pondu ce billet parce que, marronier classique, l’approche de l’été est la saison du polar.

            Tu auras cependant compris que Pagan n’est pas spécialement le genre d’auteur qu’on ne lit que d’un oeil, sur un plage ou au bord de la piscine, avac la crème solaire dans une main et le soda dans l’autre.

            Mais tes vieux polars des fifties, pourquoi pas. L’important, c’est d’avoir une cave et de boire frais....


            • Olga Olga 24 juin 2008 10:56

               

              SANDRO

              Je n’ai jamais lu un polar français de ma courte vie. Est-ce bien raisonnable ?


            • Sandro Ferretti SANDRO 24 juin 2008 11:48

              Dans le cas de Pagan, vraiment oui.

              Naturellement, il y aussi J.P Manchette, hélas DCD, comme on dit au SAMU.

              Ce sont vraiment les deux qui n’ont pas à rougir des prestations outre atlantique.

              Je dirais méme avec une recherche sémantique supérieure aux américains, qui se contentent souvant de travailler l’ambiance et l’intrigue, mais un peu laches et "faciles" avec la langue.

              Pour Pagan, je te conseille de commencer avec le dernier, le plus abouti : "Dernière station avant l’autoroute", Rivages noir

               

              Pour Manchette, il y en a beaucoup, mais je pense (et d’autres avec moi) que "la position du tireur couché" (Série noire, gallimard) est un bijou. Pour ton info, on l’avait étudié en khagne, quand j’avais 20 ans.

              Crois-moi, il y a matière à disséquer, pour qui s’y connait un peu.

              Du reste, Pagan comme Manchette mettent en général 3 ans à écrire un roman...


            • Olga Olga 24 juin 2008 12:14

               

              SANDRO

              Je prends note de vos conseils avisés.

              J’ai du Chandler et du James Ellroy qui m’attendent dans ma bibliothèque... En version originale, en plus (je travaille mon anglais/américain en les lisant). Ils vont certainement passer en priorité, mais je suis capable de lire une dizaine de romans en même temps. Je devrais donc pouvoir inclure vos conseils de lecture dans ma liste estivale. J’ai aussi deux ou trois livres de Hubert Selby Jr à lire ou relire. Ça va faire beaucoup, surtout en VO...


            • Yohan Yohan 24 juin 2008 15:15

              Au fait Pagan, c’est du noir à combien de %

               


              • Sandro Ferretti SANDRO 24 juin 2008 15:33

                Aaah que Yohan, je suis bien obligé de te dire que "noir c’est noir", à 120 %.

                Comme Kant faisait dans la critique de la raison pure (et pas dans la raison dilluée), je peux te dire que c’est ce qui frappe en premier chez Pagan, en dehors des qualités stylistiques, c’est la noirceur absolue.

                Revendiquée, disséquée, analysée.

                C’est le Céline du polar ( qu’il cite souvent dans les exergues de ses romans, et parfois méme, disent ses détracteurs, un peu trop dans le texte lui-méme...)

                Manchette était plus elliptique là dessus, plus impersonnel, plus froid et factuel.


              • jack mandon jack mandon 24 juin 2008 17:37

                @ Sandro

                Au plan de l’observation psychologique, le cliché est un montage qui rappelle un Rorshach, une symétrie.

                C’est le test de la personnalité connu sous le nom de « psychodiagnostic »

                Au plan météorologique, la partie visible est un effondrement de strato-cumulus, la partie non visible au-dessus est un cumulo-nimbus capillatus,

                le nuage d’orage par excellence, qui explique d’ailleurs l’agitation des arbres au sol, il y a une pointe de vent en relation avec une forte dépression, dans le pacifique, ce serait une tempête.

                Vois tu cette image est tout à fait représentative du contenu de ton texte.

                Ceci est valable au plan psychologique, météorologique et symbolique. Tu es d’un grand perfectionnisme, je m’honore à l’idée que je parle avec toi...peut être une couche de trop...

                Merci

                Jack


                • Sandro Ferretti SANDRO 24 juin 2008 17:54

                  Merci Jack, je n’aurais pas su en dire tant, la photo m’a juste plu et paru appropriée à l’ambiance du texte, et du polar en général.

                  Merci pour l’éclairage météorologique.

                  D’ailleurs, le titre de cette photo est "Polar", un jeu de mots avec la polarisation de la lumière, je pense.


                • Dancharr 26 juin 2008 08:53

                   

                  Bonjour Sandro,
                  Comme mise en bouche on ne fait pas mieux !
                  S’il sait ce qu’il écrit votre Pagan - inconnu dans mes fichiers - aussi bien que vous dites ce que vous en pensez, je le prends en filature et il ne m’échappera pas.
                  Je vous tiendrai au courant.
                  Merci pour le tuyau.
                   

                  • fdn 27 octobre 2008 14:07

                    Flic moi même, j’ai vecu la nuit, avec PAGAN lui même, puisque nous etions collègues, et amis de surcroit..
                    Je viens de finir ce matin la relecture de DERNIERE STATION AVANT L’AUTOROUTE.
                    Il n’ya rien à retrancher dans ce roman en partie auto biographique. Difficile de sortir intact quand on vit ce qu’on voit et que l’on voit ce que l’on vit. La nuit, complice et destructrice .......
                    A plus, Yan, bonne route pêut être nous reverrons nous du côté de ma ville natale. fred.


                    • Sandro Ferretti SANDRO 28 octobre 2008 09:48

                      Bonjour à vous,
                      J’ai perdu Yves de vue depuis un bon moment déjà. Je sais qu’il vit retiré en Ariège (ou quelque chose comme ça) et qu’il écrit des scenarii pour la Télé, ce qui est plus rémunérateur.
                      Si vous avez l’occasion de le voir, signalez lui l’article, merci.


                      • Sandro Ferretti SANDRO FERRETTI 27 mai 2017 18:03

                        Cela fait bizarre de se retrouver encore ici à tenir le clavier sous cet article, près de 9 ans après l’avoir écrit.

                        Mais après 19 ans de silence, Pagan est revenu au stylo. Avec « Profil perdu », toujours chez Rivages Noir.

                        Dans celui-ci comme dans les autres, nous sommes au début des années 80, mais il y a déjà les germes de ce qui nous a depuis éclaté à la gueule. Dans celui-ci comme les autres, on voit bien le sens de la pente et où court ce petit monde ( accessoirement, c’est le notre).

                        Il y a toujours Schneider, que seul le trench et les amphét .tiennent debout, déjà mort avant que de l’être et qui fait avec rigueur son job de mort vivant, sans compromission. « On ne copine pas. Jamais. Même avec soi-même, même avec le malheur ».

                        Schneider et son âme éraillée au fuel lourd, tailladée comme des poignets et sa voix goudronnée King Size par le prince Camel.

                        Dans ce livre, les pourris le sont excellemment, avant de pourrir eux-mêmes comme les autres, sur le chemin de rien du tout.

                        Et puis il y la belle Cheroquee, juste pour vous faire comprendre, sur le tard ou le trop tard, que la vie aurait pu être fréquentable si on avait lancé les dès autrement.

                        Chez Pagan, il n’y a que les imparfaits du subjonctifs qui tiennent debout, même sur le carreau blanc cassé d’ une morgue. Une élégance surannée à décrire les baltringues et le destin qui distribue ses torgnioles au petit hasard et de grand matin.

                        Un jour maybe, dans une autre vie, Pagan écrira un livre pour les midinettes, les bobos de la Bastille et les bien-pensants de permanence. Un livre dans le move pour dire que rien n’est plus important que de manger 5 fruits et légumes par jour, du boire du jus de goyave avant le yoga, que le plus beau dans la vie, c’est le soleil et le vent qui vont te cuire le mélanome (très) malin qui veut déjà ta peau. Un livre ou les femmes et les illusions reviendraient avant même d’être parties.

                        Mais les plus malins d’entre vous l’auront compris, Pagan n’ est pas près de l’écrire, ce livre.

                        Enjoy...


                        • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 11 janvier 2021 18:25

                          Et pour finir….( épilogue de « mauvaises nouvelles du front  », Ed. Rivages Noir, où Pagan fait un bilan/ testament assez éloquent de son œuvre)


                          « Difficile de parler de soi, surtout quand on se tient soi-même à distance avec le plus grand soin.


                          Difficile d’écrire sur ce qu’on a écrit, surtout lorsqu’on l’a toujours fait pour ainsi dire en état de légitime défense. Une dizaine de nouvelles sur une trentaine d’années, on ne peut parler de saturation, ni du besoin de paraître tout le temps, ni d’occuper le terrain. Pour la plupart, il s’agissait de commandes, plus fortuites les unes que les autres. Souvent, il s’agissait surtout de faire plaisir. « Pagan, t’aurais pas un truc sous le coude, des fois ? Un truc pas trop chiant. Un truc comme ça, un brouillon de cinq ou six pages ?  ». La plupart du temps gratos.


                          J’avais toujours quelque chose sous le coude. Pas tout à fait exact : j’avais toujours un personnage pour faire ses conneries en douce dans son coin. J’ai toujours eu des personnages qui n’en faisaient qu’à leur tête. On m’a souvent dit : tes mecs et tes gonzesses, tu sais pas les tenir. C’est pas faux.

                          Ils vivaient leur vie et moi la mienne. Il leur arrivait des choses et des machins. La plupart du temps, ils venaient à confesse quand ils avaient fait dans leurs braies et c’était en général trop tard pour leur arranger les bidons.


                          Souvent on m’a dit : tu ne les tiens pas assez en laisse. Un personnage, ça ne fait pas ce qu’il veut. C’est jamais qu’un chaouche, un personnage. T’as jamais bien su leur faire comprendre qui était le patron. Ça doit rester dans l’axe, un personnage, même s’il le faut à grands coups de pied au cul. Les miens, c’est vrai, partaient toujours un peu de coté, anciens flics, anciens machins, comme on dit maintenant « limites », mais limites de quoi ? La seule limite qu’il vaille la peine de franchir, c’est celle qui nous sépare un tant soit peu du grand silence. Le reste…


                          Je leur ai toujours foutu la paix, même quand ce grand con de Schneider est allé se faire crever un soir qu’il n’était plus de permanence. Soi-disant, chagrin d’amour. On met des siècles à en mourir, c’est vrai : je suis bien placé pour le savoir, ces chagrins qui durent toute une vie. Mais quand même. Si Cheroquee n’avait pas quitté Schneider ( ou l’inverse), il ne serait pas allé mourir en gare pour rien, très seul un soir de pluie. Il n’y aurait pas eu «  la Mort dans une voiture solitaire » et sans « la mort.. », il n’y aurait rien eu du tout, ce qui, à vrai dire, n’aurait pas fait un bien grand vide. Le seul vrai mystère, la seule question qui aujourd’hui me tourmente encore, c’est pourquoi ils se sont quittés et même quand et comment. Allez savoir.

                          Schneider est mort sans me le dire, c’était de toute façon un taiseux peu porté sur l’introspection. Quant à Cheroquee, elle ne me parle plus. L’hypothèse qui me vient à l’esprit le plus couramment est que ni l’une ni l’autre n’étaient des êtres réellement portés sur le bonheur. Allez savoir.


                          Alors ces nouvelles, disparates, bancales, plus ou moins drolatiques, ces personnages entraperçus, ce sont des portes ouvertes un instant sur des solitudes, des murmures de vies, qui sont les leurs et par voie de conséquence un peu les miens, rien que des petits blues sans portée. Des dérapages mal maîtrisés, des souffrances. Des tristesses. Les leurs, les miennes. Peut être les nôtres. Je n’ai jamais su gérer, j’étais trop occupé à écouter ce qu’ils venaient me raconter au petit matin. En général, ils n’étaient plus très frais, mâles ou femelles, tous à courir toujours derrière la même étoile, pale et ternie dans le gris terne du petit jour.

                          Au vrai, j’ai toujours trop aimé les petites heures.

                          De Chess au goéland électronique, du Divisionnaire sans nom, de Léon à Jésus, une toute petite comédie humaine à ma mesure. S’il fallait recommencer, je referais pareil.


                          Tant pis pour eux. »

                          Hugues Pagan.



                          • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 11 janvier 2021 18:41

                            @Sandro Ferretti .

                            Carvalho cramait les philosophes dans sa cheminée.


                          • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 8 juillet 2022 22:39

                            Il avait dit ou laissé entendre qu’il n’y en aurait pas d’autres.

                            Que ce serait terminus, bout du bout, qu’il fallait « commencer à finir ».

                            Et puis non, il y a encore eu celui-ci.

                            C’est là qu’on en parle le mieux :

                            https://www.youtube.com/watch?v=vqxRwxCadJc


                            • S.B. S.B. 12 juillet 2022 12:20

                              Une autre lueur, qui vient des forêts canadiennes : https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/bondr%C3%A9e-9782743637644


                              • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 12 juillet 2022 18:43

                                Je ne connaissais pas, je jetterai un œil à l’occasion (voire deux).

                                Pour ça comme pour le reste,c’est le temps qui manque.


                                • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 12 juillet 2022 19:16

                                  Puisqu’on est sur Pagan, j’adore cette brève interview (qui a déjà 5 ans..) pour la sortie de « profil perdu ».

                                  https://www.youtube.com/watch?v=gcm12vEGc2o


                                  • S.B. S.B. 13 juillet 2022 09:58

                                    Il a le mérite de parler clair.


                                    • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 13 juillet 2022 22:43

                                      Bon,allez. Une dernière pour la route. Ou la fin de route ;

                                      ttps ://www.youtube.com/watch ?v=o_ezoGOvxb4


                                      • S.B. S.B. 8 janvier 2023 13:17

                                        J’ai eu l’occasion de lire des tapuscrits chez un éditeur et cela faisait peur. Les gens ne se rendent pas compte...

                                        Il y a aussi l’autoédition, qui permet de contourner les obstacles et de laisser une forme livre de ce qu’on a écrit. C’est important de « fixer » les choses dans un objet qu’on pourra garder, donner, transmettre. Vous devez laisser un livre.

                                        Je n’ai pas de « contre-proposition » mais un jour certainement oui.

                                        Prenez soin de vous.

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