@popov
« Depuis saint Augustin, nous savons qu’il y a deux manières de concevoir la vérité (Confessions, livre XI). Il distingue deux acceptions de la vérité : celle où la lumière éclaire ce qu’il s’agit de connaître et celle où la lumière accuse celui qui connaît. Il s’agit, en effet, de comprendre pourquoi, si en principe tout le monde souhaite connaître la vérité, dans bien des cas, lorsqu’on la connaît, on la refuse. Réponse : parfois, elle ne dévoile pas seulement des choses du monde mais aussi, surtout, notre attitude vis-à-vis de ces choses ; elle met en cause aussi celui qui voit, en révèle les actions, souvent mauvaises. Ainsi en va-t-il dans les textes bibliques : quand Dieu se révèle, ce qu’il montre et dit de lui-même met aussi en cause celui qui L’entend ou le voit : la sainteté divine fait apparaître par contraste l’homme comme pécheur. Pour accepter Dieu, il faut donc aussi se mettre soi-même en cause. Il n’y a pas de réception de Celui qui se découvre sans conversion de celui à qui la révélation advient. On comprend ainsi qu’il appartient à la définition même de la Révélation non seulement qu’on puisse y résister, mais surtout qu’on y résiste d’autant plus qu’elle se manifeste plus évidemment (et non pas parce qu’elle se manifesterait obscurément).
Dans le monde des sciences, je comprends l’objet du monde et, après seulement, je l’admets. Au contraire, dans les choses de Dieu (et certaines de l’homme aussi), je dois d’abord les admettre et les aimer, pour ensuite commencer à les connaître. Ainsi, le témoin est-il certain de ce qu’il a vu même s’il ne comprend pas ce qu’il a vu. Car, dans le monde de l’événement, donc de la Révélation, il peut arriver qu’on éprouve quelque chose avec une parfaite certitude sans comprendre exactement d’où cela vient ni ce qu’il veut lui dire. Voilà une bonne définition de la foi. Elle n’est pas un doute sur ce qu’elle croit, mais consiste à ne pas comprendre complètement ce qu’on sait pourtant certainement. Le témoin passe dès lors son temps à découvrir le sens de ce qu’il a vu. »
(Jean-Luc Marion, philosophe)