Un bien bel article, mais qui repose sur une conception effectivement utopique du libéralisme. Si celle-ci partait d’un bon sentiment (mais c’était également le cas du communisme), elle a été tronquée par le désir de domination qui est profondément ancré dans la nature humaine (le libéralisme n’est donc pas plus fautif qu’une autre philosophie économique), et entretenue par les stéréotypes de « supermen » qui réunissent des qualités extraordinaires dont les autres sont dépourvues. Tous les films, toutes les émissions télés glorifient l’individu. Et c’était le cas de l’Histoire qui s’apprenait autrefois par les rois. On en est revenu depuis.
Le seul pays qui soit aujourd’hui libéral est la Russie, et il suffit de s’y rendre (par exemple, l’affligeante St-Petersbourg) pour en voir les catastrophes. Les US, contrairement à ce qui est véhiculé, n’est pas un pays libéral, et l’Etat y exerce un pouvoir réel : il soutient ses agriculteurs, promulgue des « acts » en faveur de tel ou tel secteur économique. Bref, l’Etat est interventionniste.
Si le libéralisme exclut le vol comme moyen de s’emparer des richesses, on ne peut pas dire que cet objectif soit atteint. D’ailleurs, tout pouvoir est à l’origine une violence réussie envers le peuple. Ce fut le cas de la noblesse au bas Moyen-Age (les nobles étaient à l’origine des bandits qui ont spolié les paysans de leurs terres par la force, avant de se sédentariser). Ce fut le cas lors de la constitution de grandes fortunes aux Us, pendant la 2è GM et dans l’immédiat après-guerre (voir les biographies sur les milliardaires américains, leurs liens avec les maffias, et les différentes « techniques » (meurtre, etc.) pour s’emparer des richesses d’autrui). C’est aujourd’hui le cas avec les milliardaires russes, ceux qu’on appelle « les nouveaux russes ». Et lorsque les compagnies pétrolières achètent pour une broutille des terres pétrolifères en Afrique, il n’y a peut-être pas vol, mais dol, parce qu’elles détiennent des informations que le petit paysan ignore, et emploient des techniques argumentatives pas toujours honnêtes. Il n’est pas certain que si on expliquait à ce petit paysan la valeur réelle de ses terres il la vende au prix offert. De même, lorsque dans une publicité on me présente une tomate appétissante (avec mention « document non contractuel ») associée à un vocabulaire mélioratif qui va flatter mes bas instincts et qu’en réalité ladite tomate est insipide, n’y a-t-il pas eu vol ? Et si cette tomate est importée du Maroc, qui va payer le prix de la pollution ? Ni le producteur, ni le consommateur, ni les intermédiaires, mais l’ensemble de la population !
Liberté, droit à la propriété, encouragement du travail et du talent, d’accord. C’est sain, et sans la possibilité qu’ont les hommes à être récompensés de leurs efforts, nous retomberions inéluctablement dans la barbarie. Mais il faut borner ces récompenses, limiter la propriété, or cela est doit être du ressort de l’Etat qui défend non pas un collectif de propriétaires, mais l’ensemble des administrés. Sinon l’Etat deviendrait lui-même une propriété privée.
La concentration excessive des moyens de production nuit à l’ensemble de la société et crée un déséquilibre dans les rapports sociaux et économiques. Dans les rapports économiques en plaçant, par exemple le sous-traitant sous la coupe du donneur d’ordre (ou voir la politique des hypermarchés) ; dans les rapports sociaux en privant bon nombre de nos concitoyens de la possibilité de se loger, par exemple (cf spéculation sur la hausse de l’immobilier).
Ce déséquilibre qui provient d’un excès de puissance des grands groupes n’a aucune utilité et obère la recherche de la performance, ce qui est contraire à la philosophie libérale. Un seul exemple : il a fallu plus de 10 ans à Dyson pour sortir ses aspirateurs en Europe (ils sont d’abord sortis au Japon, pourtant Dyson est anglais), parce que les producteurs d’aspirateurs en place on tout tenté pour conserver le marché des sacs d’aspirateurs, très juteux. Les entreprises les plus dynamiques, celles qui innovent le plus, sont les PME, or ce sont également celles qui cumulent le plus d’handicaps et qui bénéficient le moins d’aides. Voilà une autre raison de mettre des limites à la puissance d’une entreprise : quand elles sont trop importantes, elles sont une nuisance pour la société parce qu’elles retardent son développement.
Parler de liberté est très beau, mais quelle liberté ont ceux qui ne travaillent pas (en raison, notamment de la concentration des moyens de production), ceux qui travaillent mais ne gagnent pas suffisamment pour s’assurer une existence décente ? Leur récompense tient au mieux dans l’image de looser qu’on leur colle (au contraire des publicités qui mettent en scène de belles gens), au pire dans la criminalisation de ces individus. La sanctification du droit à la propriété peut également être considérée comme une violence dans la mesure où on donne envie (ah les belles vitrines) tout en privant un nombre toujours croissant de gens d’y avoir accès. Bref, la version moderne du supplice de Tantale.
Un nouveau modèle économique reste à inventer (et c’est possible), qui assure le droit à la propriété, la liberté, et qui ne laisse pas de côté les millions d’exclus. Mais ceux qui disposent aujourd’hui du pouvoir n’y ont aucun intérêt. Le modèle économique actuel est condamné à l’extension du droit de la propriété sans aucune limite, sinon il s’effondre sous lui-même pour la simple raison qu’il y aura un excès de capitaux qui diminuera la valeur de ce capital. Pour conserver une valeur, ce capital doit être constamment réinvesti. Cette extension de la propriété passe par la propriété sur les futurs produits et services (donc l’innovation), comme sur la privatisation. Et je gage que l’Etat ne disposera même plus d’autorité régalienne et disparaîtra, entraînant avec lui notre citoyenneté. Naturellement, pour privatiser, il faut faire croire que l’Etat fait mal son travail. Mais tout le monde sait que le service assuré par France Télécom est aujourd’hui de bien meilleur qualité, non ?
28/03 14:09 - Jip
merci demos. Si nos fondements ne sont pas trop éloignés, alors la distance cognitive qui nous (...)
28/03 01:22 - demos
En tout cas, même si nous ne sommes pas du même avis, il me semble que nos fondements ne sont (...)
27/03 20:44 - Jip
« Vous pourriez être Keynésien tel que votre pensée est exprimée ». Vous avez raison je ne me (...)
27/03 02:09 - demos
Jip, en considérant que l’État a une certaine légitimité, vous pourriez êtes un libéral (...)
25/03 23:46 - Milla
@ JL (IP:xxx.x9.73.200) le 22 mars 2007 à 21H06 Le libéralisme est pur, comme un enfant ! Mais (...)
25/03 23:24 - Milla
ar JL (IP:xxx.x9.73.200) le 20 mars 2007 à 08H44 ah ! bon, moi qui ai déjà des soucis de (...)
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