@eau-pression
La France contre les robots. Ca tombe bien, non ? Ecrit avant 1947. On vénère l’explication frelatée d’Orwell, on a un Orwell bien français sous la main, totalement ignoré.
Extraits :
L’idée qu’un citoyen, qui n’a jamais eu affaire à la Justice de son pays, devrait rester parfaitement libre de dissimuler son identité à qui lui plaît, pour des motifs dont il est seul juge, ou simplement pour son plaisir, que toute indiscrétion d’un policier sur ce chapitre ne saurait être tolérée sans les raisons les plus graves, cette idée ne vient plus à l’esprit de personne.
Et lorsque l’État jugera plus pratique, afin d’épargner le temps de ses innombrables contrôleurs, de nous imposer une marque extérieure, pourquoi hésiterions-nous à nous laisser marquer au fer, à la joue ou à la fesse, comme le bétail ? L’épuration des Mal-Pensants, si chère aux régimes totalitaires, en serait grandement facilitée.
ce mot de révolution, par une comique chinoiserie du vocabulaire, signifiait la Révolution Socialiste, c’est-à-dire le triomphal et définitif avènement de l’État, la Raison d’État couronnant aussi l’édifice économique, la Raison d’État faisant face au Monopole d’État, comme en une de ces allégories pyrotechniques qui précédaient jadis le « bouquet » des feux d’artifices. Ils n’avaient que le mot de Révolution dans leur gueule pourrie, mais ce n’était pas la leur, qui se préparait — imbéciles ! — c’était celle de l’État qui allait faire sa propre Révolution à leurs dépens, aux dépens de ce qui leur restait de liberté.
les chimistes découvriront peut-être un jour dans les veines du dernier homme libre, avant que la médecine totalitaire l’ait rendu inoffensif par quelque futur ingénieux procédé de stérilisation…
Et d’ailleurs il est sans doute vain de distinguer la Société moderne de la Guerre Totale : la Guerre Totale est la Société Moderne elle-même, à son plus haut degré d’efficience.
sorte de foire universelle où la canaille internationale des Palaces et des Wagons-lits venait cuver son or à Montmartre, comme un ivrogne cuve son vin. La température ambiante était, même sous la pluie de février, celle d’un salon de bordel ; mais le franc, lui, tombait au-dessous de zéro et les éditeurs, rendus hystériques par leur propre réclame, à la manière d’un badaud qui voit son image reproduite à l’infini dans un jeu de glaces, découvraient un génie par jour. Qui n’a pas vécu en ce temps-là ne sait pas ce que c’est que le dégoût.
Le premier venu, aujourd’hui, du haut des airs, peut liquider en vingt minutes des milliers de petits enfants avec le maximum de confort, et il n’éprouve de nausées qu’en cas de mauvais temps, s’il est, par malheur, sujet au mal d’avion… Oh ! chère lectrice, inutile de vous agiter ! Sans doute votre mari ou votre amant — l’homme de votre vie — appartient-il à ce corps de bombardiers, en porte le martial uniforme.
Ce qui me fait précisément désespérer de l’avenir, c’est que l’écartèlement, l’écorchement, la dilacération de plusieurs milliers d’innocents soit une besogne dont un gentleman peut venir à bout sans salir ses manchettes, ni même son imagination. N’eût-il éventré dans sa vie qu’une seule femme grosse et cette femme fût-elle une Indienne, le compagnon de Pizarro la voyait sans doute parfois reparaître désagréablement dans ses rêves. Le gentleman, lui, n’a rien vu, rien entendu, il n’a touché à rien — c’est la Machine qui a tout fait ; la conscience du gentleman est correcte, sa mémoire s’est seulement enrichie de quelques souvenirs sportifs, dont il régalera, au dodo, « la femme de sa vie », ou celle avec laquelle il trompe « la femme de sa vie ». Comprenez-vous maintenant, imbéciles ?