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Commentaire de C’est Nabum

sur Petite et fort utile


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C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 17:01

@Sergio

Merci

Mais j’ai déjà traité le dossier

Du lavoir à mère Denis


À quelques pas de chez nous, il y avait un lavoir, un abri au bord du Ru d’Oison avec une dizaine de planches pour que les femmes - il n’y avait qu’elles à œuvrer en cet endroit - puissent rester debout à battre le linge. C’était le premier d’une série de trois lavoirs sur ce petit ruisseau qui allait bientôt se jeter dans la Loire. De l’autre côté, il y avait une grande fosse pavée, pensée pour que les chevaux puissent s’abreuver ; il y avait longtemps que les grenouilles avaient élu domicile en ce lieu abandonné.

Ma mère bénéficiait de la dernière planche, la plus en aval qui lui était toujours réservée. Elle devait ce privilège à l’activité de mon père matelassier. C’est ainsi qu’en plus du linge de la famille, elle venait laver la laine fraîchement tondue avant qu’elle ne soit séchée dans de grandes cages en fer puis cardée par mon paternel afin de rembourrer un matelas.

Les autres laveuses n’ayant guère envie de profiter des odeurs de la laine fraîche avaient relégué ma mère en cet emplacement. Bientôt elle ne se rendit plus rue de la Blanchisserie. D’une part, les animaux disparaissaient tous dans les fermes. Bientôt le bourrelier aurait à se reconvertir et sa femme cessa de venir au lavoir.

C’est à cette époque qu’elle bénéficia d’un tour de rôle pour l’usage de la machine à laver collective, chez elle cette fois. En attendant ce grand progrès, elle portait son linge à sécher chez les dames Bruno et Bertrand, des maraîchères chez lesquelles nous achetions tout au long de l’année nos fruits et nos légumes. C’est avec elles que je pris l’habitude de suivre le rythme des saisons.

Une association familiale avait effectué un achat libérateur, en tout cas pour la femme au foyer. La machine révolutionnaire était installée sur une remorque à bras et passait de maison en maison. Le matin chez l’une, l’après-midi chez l’autre, chacune ayant sa demi-journée de lessive pendant la semaine. Ce balai dura quatre ans avant que ma chère mère ne fasse l’acquisition de sa propre machine, un modèle bleu, léger et pas vraiment efficace.


Cette intrusion de la modernité coïncida avec l’arrivée dans la famille d’une étrange petite lucarne. Jusqu’alors, nous devions traverser la rue pour nous rendre chez monsieur Bourassin, l’heureux possesseur d’un écran de télévision. La Piste aux étoiles provoquait la migration le mercredi soir des enfants du quartier. Puis ce fut notre tour d’avoir des visiteurs, pour les retransmissions de football. Les curés des Bordes et de Neuvy profitaient de ce prétexte pour retrouver mon père. Dans les mêmes années, un appareil en bakélite noir avec une étrange manivelle fit son apparition dans la boutique. Nous avions hérité du numéro 87 qu’une opératrice quelque part dans un lieu mystérieux mettait en branle. Les habitants de la maison s’arrêtaient alors de respirer quand résonnait l’appel strident du lointain.


Le monde bascula tout à fait en 1970 quand des travaux d’importance mirent à nu la maison de la cave au grenier afin d’installer enfin le chauffage central et un réseau d’eau capable de supporter une salle de bains. Jusqu’à ce bouleversement, nous allions aux bains douches le samedi soir et nous faisions le reste du temps nos ablutions dans une grande bassine.


La télévision couleur, une véritable machine à laver le linge, l’estafette nous firent passer dans un autre monde, celui de la modernité sans avoir besoin de recourir aux services des voisins. La fosse aux grenouilles avait été bouchée, le lavoir ne recevait plus personne, le Ru d’Oison devenait petit à petit ce mince filet d’eau qu’il est désormais même si en juin 2016, il montra à tous qu’il était encore capable de déborder.

En une dizaine d’années tout au plus, le monde avait changé de braquet, le confort et la modernisation étaient passés par chez nous. Nous ignorions alors que ce n’était que le début d’un mouvement qui n’allait cesser de s’accélérer en enfermant les consommateurs dans une logique d’achats individuels. Finis les tours de rôle, les visites chez les voisins, les services rendus, chacun chez soi et les moutons n’avaient plus à être gardés dans les champs, ils étaient tous bloqués devant leur poste de télévision.


Fort heureusement pour nous, la boutique demeurait un lieu de rencontre et de discussion, d’accueil et d’échanges. C’est là que je conçus mon amour de la langue et des récits avec ces gens qui venaient s’asseoir autour du métier de ma mère, devenue tapissière, pour dialoguer des heures durant. C’est ainsi que j’ai constitué ce capital qui fera de moi un conteur bien plus tard en dépit de ce changement de Monde que je subissais comme les autres.



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