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Petite et fort utile

La Fourchette

De la fourche à la fourchette, l'humanité a fait soudain un grand pas vers la cuisine. Doit-on considérer que ce fut un progrès décisif ? Je ne m'aventurerai pas sur ce terrain d'autant plus que les usages en sont fort différents.

Mais revenons à l'origine de ce transfert de compétence, de l'étable à la table. La fourche qui soulevait des montagnes de foin et de fumier s'offrit soudain une forme de respectabilité en entrant dans la demeure des gens. Elle débuta timidement la chose, se contentant de deux dents, histoire de devoir le respect à sa grande sœur qui en disposait de trois.

Puis piquant dans le vif ou le gras de la viande, la demoiselle eut la folie des grandeurs, mettant les petits plats dans les écuelles, elle voulut asseoir son emprise en se parant de trois dents. Elle entra ainsi dans les palais comme dans les masures quoique des accidents domestiques firent grand bruit à l'époque sur les réseaux sociaux.

Puis arriva le temps des jacqueries et des révolutions. La fourchette aimait à piquer les mauvaises têtes qu'elles fussent de veau ou de cochon. Le trident fleurait trop l'outil du diable, elle se dit qu'il serait temps de passer à quatre pour ne pas piquer les verres. La mesure eut un succès immédiat !

La fourchette s'imposa et mit définitivement à pied les doigts qui jusqu'alors avaient rempli cet office. Les innocents comme les coupables pouvaient avoir les mains pleines sans qu'elles fussent sales. Le repas prenait de la distinction tandis que l’étiquette imposa un code d'usage. La fourchette dans la main gauche pour que le couteau puisse tailler dans le vif.

Guy Degrenne prétend avoir introduit le beau dans la chose. Si jusqu'à lui, l'ustensile était second quoique parfois en argent, après lui, mettre le couvert c'était afficher son entregent et sa bonne fortune, celle qui ne dépend pas du pot et encore moins de l'impôt. Comme les jardiniers sont tout comme les cordonniers, les plus mal chaussés, la jardinière est réservée aux grosses légumes.

Les mots ont souvent double usage tandis que la fourchette ne s'use que d'une seule manière. L'assertion pour générale qu'elle puisse être, ne tient pas compte de particularismes locaux ou familiaux. Ce n'est pas avec le dos de la cuillère mais bel et bien avec le manche de la cuillère, que chez certains, on mange le fromage blanc ou l'on touille le sucre dans le café.

Les ethnologues noteront cette particularité qui échappe à nombre d'entre vous qui préfèrent la petite cuillère. Si ceci est un détail pour vous, il n'est pas anodin pour qui est ainsi renvoyé à des souvenirs d'enfants, quand l'assiette retournée servait de réceptacle au dessert. J'avoue à ce stade du récit, ne plus savoir comment conclure ce billet indigeste.

JPEG La langue me fourche et les mots me manquent pour aller plus loin dans ce défi qui me réclamait de vous imposer un pensum sur un sujet aussi essentiel à la compréhension de notre mode de vie. Je vous abandonne donc, je dois désormais penser au prochain texte sur ces objets essentiels à notre mode de vie à l'occidental. Mais avant, il convient de ne pas omettre la fourchette du Rugby qui, tout comme la cuillère, évoquent des gestes qui laisseront les béotiens sur leur. faim

À contre-emploi.

 


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17 réactions à cet article    


  • Gégène Gégène 23 décembre 2021 14:25

    « l’assiette retournée servait de réceptacle au dessert »

    ça fait remonter de vieux souvenirs . . . smiley


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 16:56

      @Gégène

      Vous aussi
      Merci
      Je suis moins seul


    • Gégène Gégène 23 décembre 2021 18:25

      @C’est Nabum

       smiley mais il fallait d’abord essuyer l’intérieur avec du pain !!!


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 19:36

      @Gégène

      Qu’importe le sens, une assiette s’essuie toujours avec du pain
      C’est du moins ainsi qu’on m’a élevé


    • Lynwec 23 décembre 2021 14:31

      Source de progrès notables dans l’hygiène des repas, elle est à mettre au rang des inventions bénéfiques à l’humanité, suffisamment rares pour être mises en avant.

      Cependant,statistiquement et à l’échelle du temps, au nombre d’utilisateurs,les fourchettes sont probablement battues à plates coutures par les baguettes utilisées dans les pays comme la Chine entre autres.

      A table, fourchette ou baguettes, pas besoin d’en faire tout un plat.


      • Fergus Fergus 23 décembre 2021 15:45

        Bonjour, Lynwec

        Les baguettes, rien à dire.
        En revanche, que l’on puisse encore manger à la main  comme cela se pratique notamment dans certaines contrées arabes et indo-pakistanaises n’est pas hygiénique et n’a plus de raison d’être.
        Je note à cet égard que la fourchette gagne du terrain, y compris sur les baguettes.
        Cela dit, « pas besoin d’en faire tout un plat », en effet.


      • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 16:57

        @Lynwec

        Je me charge du dessous de plat

        Ce sera pour vous faire plaisir


      • Giordano Bruno - Non vacciné Giordano Bruno - Non vacciné 23 décembre 2021 15:22

        En lisant le titre j’ai craint un instant un article graveleux autobiographique. Ouf !


        • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 16:58

          @Giordano Bruno - Non vacciné

          Ne craignez rien

          Ni graveleux ni en auto


        • Sergio Sergio 23 décembre 2021 15:31

          La roue, l’aigrette ubérisée, la gazette de Renaudot, la fourchette, vous nous faites les petites histoires de notre évolution ou ’involution’. Vous remarquerez que je suis vos écrits avec intérêt, et parfois taquin. Je vous proposerai donc la machine à laver, sérieusement l’invention du XXème siècle, parait-il. Comment vous y prendriez-vous, ce n’est pas une commande mais pourquoi pas ?


          • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 17:01

            @Sergio

            Merci

            Mais j’ai déjà traité le dossier

            Du lavoir à mère Denis


            À quelques pas de chez nous, il y avait un lavoir, un abri au bord du Ru d’Oison avec une dizaine de planches pour que les femmes - il n’y avait qu’elles à œuvrer en cet endroit - puissent rester debout à battre le linge. C’était le premier d’une série de trois lavoirs sur ce petit ruisseau qui allait bientôt se jeter dans la Loire. De l’autre côté, il y avait une grande fosse pavée, pensée pour que les chevaux puissent s’abreuver ; il y avait longtemps que les grenouilles avaient élu domicile en ce lieu abandonné.

            Ma mère bénéficiait de la dernière planche, la plus en aval qui lui était toujours réservée. Elle devait ce privilège à l’activité de mon père matelassier. C’est ainsi qu’en plus du linge de la famille, elle venait laver la laine fraîchement tondue avant qu’elle ne soit séchée dans de grandes cages en fer puis cardée par mon paternel afin de rembourrer un matelas.

            Les autres laveuses n’ayant guère envie de profiter des odeurs de la laine fraîche avaient relégué ma mère en cet emplacement. Bientôt elle ne se rendit plus rue de la Blanchisserie. D’une part, les animaux disparaissaient tous dans les fermes. Bientôt le bourrelier aurait à se reconvertir et sa femme cessa de venir au lavoir.

            C’est à cette époque qu’elle bénéficia d’un tour de rôle pour l’usage de la machine à laver collective, chez elle cette fois. En attendant ce grand progrès, elle portait son linge à sécher chez les dames Bruno et Bertrand, des maraîchères chez lesquelles nous achetions tout au long de l’année nos fruits et nos légumes. C’est avec elles que je pris l’habitude de suivre le rythme des saisons.

            Une association familiale avait effectué un achat libérateur, en tout cas pour la femme au foyer. La machine révolutionnaire était installée sur une remorque à bras et passait de maison en maison. Le matin chez l’une, l’après-midi chez l’autre, chacune ayant sa demi-journée de lessive pendant la semaine. Ce balai dura quatre ans avant que ma chère mère ne fasse l’acquisition de sa propre machine, un modèle bleu, léger et pas vraiment efficace.


            Cette intrusion de la modernité coïncida avec l’arrivée dans la famille d’une étrange petite lucarne. Jusqu’alors, nous devions traverser la rue pour nous rendre chez monsieur Bourassin, l’heureux possesseur d’un écran de télévision. La Piste aux étoiles provoquait la migration le mercredi soir des enfants du quartier. Puis ce fut notre tour d’avoir des visiteurs, pour les retransmissions de football. Les curés des Bordes et de Neuvy profitaient de ce prétexte pour retrouver mon père. Dans les mêmes années, un appareil en bakélite noir avec une étrange manivelle fit son apparition dans la boutique. Nous avions hérité du numéro 87 qu’une opératrice quelque part dans un lieu mystérieux mettait en branle. Les habitants de la maison s’arrêtaient alors de respirer quand résonnait l’appel strident du lointain.


            Le monde bascula tout à fait en 1970 quand des travaux d’importance mirent à nu la maison de la cave au grenier afin d’installer enfin le chauffage central et un réseau d’eau capable de supporter une salle de bains. Jusqu’à ce bouleversement, nous allions aux bains douches le samedi soir et nous faisions le reste du temps nos ablutions dans une grande bassine.


            La télévision couleur, une véritable machine à laver le linge, l’estafette nous firent passer dans un autre monde, celui de la modernité sans avoir besoin de recourir aux services des voisins. La fosse aux grenouilles avait été bouchée, le lavoir ne recevait plus personne, le Ru d’Oison devenait petit à petit ce mince filet d’eau qu’il est désormais même si en juin 2016, il montra à tous qu’il était encore capable de déborder.

            En une dizaine d’années tout au plus, le monde avait changé de braquet, le confort et la modernisation étaient passés par chez nous. Nous ignorions alors que ce n’était que le début d’un mouvement qui n’allait cesser de s’accélérer en enfermant les consommateurs dans une logique d’achats individuels. Finis les tours de rôle, les visites chez les voisins, les services rendus, chacun chez soi et les moutons n’avaient plus à être gardés dans les champs, ils étaient tous bloqués devant leur poste de télévision.


            Fort heureusement pour nous, la boutique demeurait un lieu de rencontre et de discussion, d’accueil et d’échanges. C’est là que je conçus mon amour de la langue et des récits avec ces gens qui venaient s’asseoir autour du métier de ma mère, devenue tapissière, pour dialoguer des heures durant. C’est ainsi que j’ai constitué ce capital qui fera de moi un conteur bien plus tard en dépit de ce changement de Monde que je subissais comme les autres.



          • Sergio Sergio 23 décembre 2021 17:41

            @C’est Nabum

            C’est super et sympa, je me permets de vous souhaiter à vous et les vôtres, et à Juluch votre fidèle partisan : la SANTE, et aussi la sérénité d’esprit 


          • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 17:59

            @Sergio

            Merci mon ami

            Joyeuses fêtes à vous aussi


          • Jjanloup Jjanloup 23 décembre 2021 17:01

            Merci à Catherine de Médicis qui introduisit l’usage de la fourchette en France... smiley

            et à Nabum pour sa faconde.


            • C'est Nabum C’est Nabum 23 décembre 2021 17:02

              @Jjanloup

              Merci

              Je ne connais pas cette Catherine qui ne m’a jamais invité à sa table


            • juluch juluch 23 décembre 2021 21:29

              Je vais de ce pas à table !!!!

              merci nabum pour ce texte d’une fourche à quatre dents !!

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