@Séraphin Lampion
Ce qui a permis à l’économie américaine de redémarrer après
la crise de 29, ce ne sont ni les théories de Keynes, ni celles de l’école de
Fribourg, mais le fait que les outils de
production de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France se détruisaient
consciencieusement entre eux, l’outil de production américain était demeuré intact
et que les investisseurs ont compris qu’il suffisait d’injecter de l’argent
pour produire des armes, des avions, des bateaux et des locomotives pour les
utiliser à une intervention décisive et impérialiste, mais aussi de les vendre
à crédit aux belligérants épuisés sous la forme du plan Marshall, présenté comme
une providence alors qu’il mettait en place les fondations d’une hégémonie
aujourd’hui vacillante mais toujours active.
Pour ce qui est du « miracle allemand » (Wirtschaftswunder),
ce ne sont pas non plus les idéologies susmentionnées qui en sont la cause,
mais la remise de dette scellée avec
l’accord signé le 27 février 1953 à Londres entre la RFA et 21 pays ayant pris
part aux négociations. Outre les Etats-Unis, la plupart des pays européens
ainsi que la Suisse en faisaient partie. L’accord, ratifié par une loi le 24
août de la même année, a été reconnu par une douzaine de pays supplémentaires,
y compris Israël en 1955. La RFA a pu obtenir ces conditions « miraculeuses »
parce que les Etats-Unis voulaient pouvoir compter sur la RFA, non seulement
comme client mais surtout comme rempart contre le bloc
communiste, et aussi grâce à la capacité de négociateur du banquier Hermann
Josef Abs, qui avait siégé dans une trentaine de conseils d’administration
d’entreprises et qui finira par présider la Deutsche Bank dans les années 1960.
A part l’allemand, il parlait couramment plusieurs langues dont le français,
l’anglais et le néerlandais, et il raisonnait plus comme un comptable que comme
un politicien. Cette approche pragmatique ainsi que la distance qu’il avait su
garder avec le régime nazi durant la guerre, jugée suffisante par les Alliés, ont
sa crédibilité auprès de ses confrères banquiers américains. Peu importe s’il
avait aussi siégé dans les conseils de plusieurs entreprises qui avaient
employé des prisonniers de guerre. Et l’ »ordolibéralisme », il n’en
avait rien à secouer.