Emmanuel Macron « et en même temps » l’ordolibéralisme
L’ordolibéralisme peut-il inspirer la future politique économique et sociale d’Emmanuel Macron ?
L’ordolibéralisme est le modèle économique et social « développé après la crise de 1929 par l'école de Fribourg, notamment par les économistes Walter Eucken, Wilhelm Röpke et Alfred Müller-Armack. Il s'est fixé un modèle alternatif au modèle keynésien. Le terme d'ordolibéralisme vient de la revue "Ordo" dans laquelle ces 3 économistes ont publié leurs articles. » 1
C’est ce modèle qui a inspiré celui de l’économie sociale de marché. C'est-à-dire une économie fondée sur le capitalisme de marché – et non sur le capitalisme d’État comme celui des pays communistes. Économie qui est : « hautement compétitive, tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement » comme l'énonce et le rappelle l'Union européenne 2.
Le terme d'économie sociale de marché (Soziale Marktwirtschaft) est un concept de 1946 dû à l'économiste allemand, Alfred Müller-Armack (1901-1978) 3 et « a été développé à partir d'expériences et de traditions allemandes spécifiques. »4. Son contenu a été imposé par Ludwig Erhard (1897-1977) ministre de l'Économie de République fédérale d’Allemagne (RFA) entre 1949 et 1963, et chancelier, de 1963 à 1966. Il présida au redressement économique de la RFA, souvent dénommé : le miracle allemand, dont la création du deutsche mark, le 20 juin 1948, est aussi une partie prenante majeure.
Dans ce type d'économie, né de l'ordolibéralisme, « le principe de la liberté sur le marché s'allie à celui de l'équité sociale. [...]. [...] l'objectif est de combiner, dans une économie ouverte à la concurrence domestique et internationale, la libre initiative et le progrès social, garantis précisément par les performances de l'économie de marché. »5. « L'adjectif "social" sert ici avant tout à empêcher que l'on fasse l'amalgame avec le capitalisme du laisser-faire. »6 dans lequel l'État est faible […] même en cas de concurrence faussée. Pour que les forces du marché puissent s'exercer librement dans une telle économie, il faut avoir, pour prérequis, une monnaie forte et stable, gérée par une Banque centrale indépendante du politique. Ainsi, « l'économie sociale de marché est impensable sans une politique conséquente de stabilisation des prix. »7.
Dans l'économie sociale de marché, typiquement celle de l’Allemande depuis 1949, le fédéralisme permet à l'État central, puissant, mais non omniprésent, d'avoir une influence restreinte dans plusieurs domaines, notamment en matière de politique sociale et salariale, car nombre d’éléments sont laissés à l'initiative de la négociation entre les syndicats des salariés et du patronat.
Qu’en sera-t-il de la future politique économique et sociale d’Emmanuel Macron, grand Européen ?
Sa politique devrait, selon toute vraisemblance, s’il gagne les élections législatives, faire sienne la définition de l’Union européenne : une économie « ... hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ».
Former le vœu d’une économie hautement compétitive ne pose aucun problème à Emmanuel Macron. Idem pour ce qui est de la recherche du plein emploi, c'est-à-dire un taux de chômage proche de 4%. C’est l’une de ses promesses de campagne.
Quant à l’atteinte d’un niveau « élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement », c’est la feuille blanche. Tout est à construire pour le président. Sa campagne électorale de 2ème tour l’a obligé à intégrer le thème de l’écologie et de sa planification, porté par Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, s’il voulait clairement l’emporter face à Marine Le Pen. Cette dernière s’étant tiré une nouvelle balle dans le pied en promettant de démonter toutes les éoliennes installées sur notre territoire, dès son élection, et ce, quel que soit le coût.
Le « progrès social » ?
Le chantier reste inlassablement ouvert, dans toute démocratie libérale et sociale.
Les points à travailler sont, notamment les suivants, pour Emmanuel Macron s’il veut marquer l’histoire comme le président qui aura fait progresser le bien-être social, et non comme le président « des riches » ou celui qui a été à l’origine de la grande crise des Gilets jaunes, notamment.
1° Emmanuel Macron devra faire oublier que durant ses 5 dernières années, il s’est évertué à ignorer les corps intermédiaires, et plus particulièrement les organisations syndicales des salariés, même la CFDT pourtant ouverte au dialogue modéré. Sans ces organisations, l’amélioration du progrès social est improbable, comme l’histoire l’a démontré depuis le 19ème siècle.
2° l’une des premières négociations qu’Emmanuel Macron doit réouvrir est celle de la reconnaissance, dans son entièreté, de la pénibilité du travail. Surtout dans le cadre d’une retraite portée, in fine, à 65 ans.
3° le reengineering et le benchmarking de notre système de santé sont à faire, en urgence. Idem pour les EHPADs et la prise en compte du grand-âge.
4° les pauvres et les très pauvres ont été oubliés pendant 5 ans. Leur pouvoir d'achat a même diminué selon l’INSEE, et l’écart avec les riches s’est encore élargi. Entre 2017 et 2019, l’indice de Gini a progressé de 0.289 à 0.293, constatant une détérioration (l’indice de 2021 sera connu en 2023).
5° la grande convention sur la fin de vie, promise durant sa campagne électorale, devra se faire. 96% des Françaises et des Français y sont favorables !
Le compagnon de route du Parti socialiste qu’a été Emmanuel Macron, avant d’être président, doit inaugurer, en Européen convaincu, une véritable nouvelle politique pour renforcer notre démocratie libérale « et en même temps » sociale. Sans cela, les extrêmes de tous bords se renforceront, et les émeutes recommenceront.
Soulignons enfin, que le « en même temps », de centre droit, n’a aucun avenir dans le pays progressiste des droits de l’homme et de la femme !
Monsieur le Président, vous avez à nouveau 5 années - si vous gagnez les prochaines législatives - pour marquer favorablement l’histoire de France de votre empreinte. Faites de notre pays, un territoire où l’économie sociale de marché est une réalité dans tous ses aspects : compétitivité, progrès social, plein emploi et environnement.
1. Blot Christophe, Chagny Odile et Le Bayon Sabine : Faut-il suivre le modèle allemand, p. 32. Ed. La documentation Française, Paris, 2015.
2. Article 3-3 du Traité sur l'Union européenne et sur son fonctionnement.
3. Hans Tietmeyer (1931-2016) : Économie sociale de marché et stabilité monétaire, Chap. : Le concept d'économie sociale de marché, p. 5.
4. Id. Perspectives, p.296.
5. Id. extraits par Tietmeyer des publications de Müller-Armack (de 1956) et d'Erhard (de 1966 et 1964), p. 6.
6. Id. p. 6.
7. Id. p. 9
crédit photo : ICI, photo recadrée.
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