Une première différence singulière apparaît à propos de l’Idéal du Moi de ces « petites masses artificielles » du mois de mai 1968 avec l’Idéal du Moi décrit par Freud autour des deux masses artificielles que sont l’Église et l’Armée. Freud souligne, au décours d’un chapitre [3][3]« Un stade dans le moi ». important de « Psychologie collective et analyse du Moi », combien l’individu abandonne son Idéal du Moi personnel au profit d’un « chef ».

7Lors des événements du mois de mai 1968, l’Idéal du Moi de ces groupes restait lointain, incertain, très impersonnel, abstrait et ne s’incarnait pas vraiment dans la figure permanente d’un meneur. Certes, des figures charismatiques ont émergé, mais toujours de façon transitoire. Il est fort probable que certains leaders du mouvement de la contestation aient, pour différentes raisons tactiques, politiques, adopté « le refus de toute hiérarchie ». Cependant, les étudiants engagés dans la contestation n’adhéraient pas ou peu à un leader (une représentation d’objet) qui remplacerait ou incarnerait leur Idéal du Moi personnel. Les contestataires préféraient adhérer collectivement à une « idée », à une théorie. Leur engagement était proche d’une croyance la ïcisée.

8Les auteurs nous ont donc suggéré, lors de cette lecture, l’importance d’un Idéal du Moi qui ne s’incarnait pas pleinement en la personne d’un dirigeant. L’abandon de l’Idéal du Moi personnel semblait non pas se personnifier mais se figurer sur une idée mal définie, contradictoire, confuse. Ces déplacements successifs vers une entité abstraite ont un effet d’atténuation, d’effacement du lien de cet Idéal du Moi avec toute représentation paternelle.

9Cette position de l’Idéal du Moi semble être un des éléments qui peut expliquer l’aversion des contestataires pour un programme. Cependant, les « petits groupes » devaient peu ou prou opter pour des « programmes ». Ce qui n’allait pas sans des tensions assez vives. En effet, un programme nécessite des mesures adaptées, une certaine organisation qui implique une forme de hiérarchie, si minime soit-elle ! On ne saurait ignorer que certaines « revendications » [4][4]Elles provenaient de « groupes » très minoritaires qui avaient… se sont traduites dans un second temps (par le jeu des partis politiques organisés et hiérarchisés) par des réformes [5][5]Notamment en médecine avec la séparation de la Neurologie et de… aux effets paradoxaux qui mériteraient encore de nos jours une réflexion approfondie.

10Le refus de toute hiérarchie constituait donc l’un des thèmes du mois de mai 1968. Ce refus se manifestait de façon répétitive dans les déclarations, les slogans, les articles, les « programmes » et interventions des contestataires. Ce caractère itératif associé à l’importance des moyens médiatiques qui amplifiaient toutes ces positions permet aux auteurs d’en démasquer les significations inconscientes. « Il faut faire disparaître la fonction professorale qui a engendré ce type de rapport (le rapport d’autorité). » « Tout enseignant est enseigné et tout enseigné est enseignant. » « L’école dont les maîtres sont des élèves » est le titre d’un journal de l’époque, plutôt favorable à la contestation. Ces slogans caractérisent une position inconsciente : « La négation de l’existence de deux catégories d’individus : les parents et les enfants, catégories dont seule la magie est susceptible d’effacer la différence fondamentale. »