@Massada
« Il dînait vite au réfectoire d’entreprise en lisant l’article de tête du journal, qui disait toujours de la même voix administrative que l’on était en marche, en plein progrès, en plein essor, incomparablement, victorieusement, malgré tout, pour la grandeur de la république, le bonheur des masses laborieuses, témoin les deux cent dix usines ouvertes en un an, l’éclatant succès du stockage des céréales et...
»Mais moi, se dit un jour Romachkine en avalant sa dernière cuillerée de semoule froide, je pressure la misère.«
Les chiffres l’attestaient. Il perdit sa tranquillité. Tout le mal vient de ce que l’on pense, ou plutôt de ce qu’il y a en vous un être qui pense à votre insu, puis tout à coup émet dans le silence du cerveau une petite phrase acide, insupportable, après laquelle on ne peut plus vivre comme auparavant. Romachkine fut terrifié de cette double découverte : qu’il pensait et que les journaux mentaient. »
Un extrait de « l’affaire Toulaïev », de Victor Serge. Un aparatchick né à Paris, de descendance Russe, et filant en Russie dés le début de la révolution...Ce livre est un chef d’oeuvre, retraçant le fonctionnement de la machine soviétique, et dénonçant les purges aberrantes, alors qu’en France, la plupart des intellectuels endoctrinés, refusaient de voir la réalité d’un régime totalitaire. Membre de l’opposition de gauche animée par Léon Trotski, Victor Serge dénonce la dégénérescence stalinienne de l’État soviétique et de l’Internationale communiste et ses conséquences désastreuses, notamment pour la révolution chinoise de 1927. En 1928, il est exclu du PCUS pour « activités fractionnelles ». Il est placé sous surveillance et sa situation matérielle se dégrade.
Victor Serge interné au goulag et sera libéré après une campagne internationale. Exilé au Mexique, il mourra isolé, malade et encore très jeune.