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Commentaire de Claude Courty

sur Louis-Ferdinand Céline ou la damnation de l'écriture


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Claude Courty Claude Courty 15 août 2023 13:33

Merci à l’auteur de cet excellent article.

Je me permets d’y ajouter, la note de lecture suivante, à l’intention des célinistes qui pourraient ne pas avoir lu « D’un Céline l’autre », ce remarquable ouvrage composé par David Alliot et édité par ROBERT LAFFONT (2011) :  

Valant la biographie la plus fouillée, cette somme impressionnante de témoignages, tant par le nombre que par la qualité, ne pourra qu’être appréciée, non seulement des célinistes mais des amateurs de littérature curieux de son évolution au cours du siècle écoulé, de même que de ceux qu’intéresse l’histoire de la France sous l’occupation.

Si l’ouvrage de David Alliot est particulièrement précieux pour parfaire l’idée d’un Céline encore difficile à situer, dès lors qu’il s’agit d’aller au-delà de son style, il laisse pourtant en suspens nombre d’interrogations : Son originalité était-elle naturelle ou forcée ? Que doit-elle à une mode intellectuelle influencée par le Front populaire, possible promoteur d’un argot dont Céline use d’ailleurs moins que d’un vocabulaire qu’il crée, même s’il s’en inspire. Dire qu’il préfère manifestement inventer sa propre langue, à base de gouaille parigote, ce qui lui donne des allures d’argot, serait plus juste. D’ailleurs, comme sa pratique de l’argot, la comparaison avec Rabelais est sujette à réserves et il suffit de penser à sa frugalité pour la relativiser ; langage populaire, affecté ou non, voire vulgarité, n’est pas truculence. Céline a-t-il été prisonnier de son rôle ou s’est-il exprimé avec toute la liberté qui lui est assez généreusement prêtée ? Peut-être aussi était-il de bon ton, dans un milieu artistique et intellectuel revendiquant à tort ou à raison des origines, voire une « culture » faubourienne, de faire peuple, en avant-garde de bien des bobos d’aujourd’hui, dont certains ont cherché, avec un succès inégal, à lui emprunter son style. S’expliqueraient ainsi, au moins pour partie, mœurs libres, tenue débraillée et langage plus ou moins argotique. Ce pouvait être aussi, afficher ce parisianisme dont ont toujours été préoccupés les artistes les moins maniérés.

Léautaud a-t-il tort quand il qualifie le style de Céline de fabriqué ? Il a en tout cas le droit de dire que les inventions littéraires ne l’intéressent pas, comme sujet ni comme forme, quitte à se tromper lourdement quant au manque d’avenir qu’il promet à ses écrits. Ils ont depuis, indéniablement marqué plusieurs générations de lecteurs, comme d’écrivains, par cette forme qui, renchérissant sur le fond, exacerbe les sentiments exprimés. Quoi qu’il en soit, D’un Céline l’autre permet de compléter et de préciser ne serait-ce que des impressions, parmi lesquelles le sentiment qu’un auteur, servi par des circonstances qui s’y sont particulièrement prêtées, s’est composé sa vie durant un personnage que son succès littéraire incontestable l’a grandement encouragé à endosser puis à cultiver avec force et assiduité.

Quant à l’antisémitisme de Céline, il paraît, avec le recul du temps, être surtout le résultat d’une provocation servie par l’abus de langage chez lui fréquent mais qui, dans le contexte de l’époque, l’a piégé et placé dans une situation qu’ont aggravé et en quelque sorte consolidé ses pamphlets, dans lesquels la gesticulation verbale tient souvent lieu d’arguments. En fait, l’antisémitisme de Céline ne relevait-il pas moins du racisme que d’un ressentiment à caractère socio-culturel et économique, comme il semble que ce soit encore le cas aujourd’hui chez de nombreux antisémites ?

La fulgurance est en tout cas présente chez Céline et paraît même constituer une des traits majeur de sa pensée. Cette fulgurance qui est autre chose que la prémonition. Mais Céline fut peut-être, avant tout et simplement, un anticonformisme, inquiet, anxieux, taraudé par les épreuves qu’il a connu à la guerre, outre la misère côtoyée au quotidien dans son exercice de la médecine de dispensaire. Maladivement excessif et agité. Il est à la fois visionnaire, lucide et affabulateur comme se doit de l’être un romancier. Il est aussi un imposteur, davantage entraîné par son personnage de fiction que par sa propre nature, sous l’effet du pouvoir que lui confère un succès littéraire et une notoriété qui autorisent les pires extravagances de la plupart de ceux qui en sont atteints et s’en font un outil de communication promotionnelle. Servi par un environnement et un entourage dont les membres partagent un certain snobisme d’époque : la Butte, la bohème, un fantaisie débridée tout à la fois inspirée et influencée par 14-18, la défaite de 39-40 et l’ordre imposée par les vainqueurs ; le populisme, les convenances en particulier littéraires et plus largement artistiques, etc. Céline est aussi un besogneux méticuleux ; un révolté par compassion et un provocateur, sans aller jusqu’à l’anarchie, trop soucieux de son propre quotidien pour aller jusque là. Le choix du Danemark pour y cacher son magot, bien avant, semble-t-il qu’il ne soit menacé par la résistance et bien avant aussi le naufrage du Reich, n’est-il pas, autant qu’une démonstration de l’aptitude de Céline à pressentir les évènements, la preuve de la reconnaissance par lui-même de la crainte des conséquences de prises de positions dont il mesurait parfaitement la portée ? Il serait alors, outre le naïf inventeur d’un nouveau langage, bel et bien le propagateur d’une idéologie dont il reconnaît implicitement le caractère condamnable.

Il semble que les contempteurs de Céline comme de bien d’autres écrivains et artistes, succombent au charme de ce qui est avant tout de l’agitation, alors que la sérénité est la première exigence de la lucidité prêtée à nombre d’entre eux, dont Céline précisément. Qu’une curiosité d’ordre sociologique, voire anthropologique puisse porter à considérer de tels individus comme dignes de l’intérêt qui leur est porté est une chose, l’originalité de leurs styles respectifs en est une autre, mais en faire des héros des lettres ou d’autres domaines fut-ce au nom du progrès, en est une autre encore.

Notons enfin que si Céline était à la recherche d’une plus grande simplicité du langage, comme en atteste son avis au sujet de l’emploi du ( ;) qu’il partage d’ailleurs avec Léautaud, il est permis de s’interroger quant à la mesure dans laquelle il y parvient. En effet, ceux qui ont fait son succès, à force d’éloge ou de dénigrement, ont appartenu à un cénacle ; ont représenté une élite ne devant en aucun cas être confondue avec le peuple au nom duquel Céline se serait exprimé en prétendant transcrire son parler. Pour ceux au nombre desquels je me trouve,qui l’ont abordé et le lisent encore sans culture littéraire particulière, Céline n’a jamais été d’un abord facile.


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