Avec le poids des hiérarchies et des réseaux d’influence dans un milieu comme la recherche, c’est évident que seuls des « chefs » peuvent se permettre de fabriquer des faux. Et pas seulement pour des questions de moyens matériels, qui se posent également.
Un « marginal » ou un « petit chercheur » qui tente d’annoncer un résultat ou une idée d’une certaine importance se fait aussitôt démolir par un milieu qui ne tolère guère « ceux qui n’étaient pas prévus ». Jamais un faux fabriqué par un « hors circuits » ne franchira la barrière des comités de lecture, ni ne sera admis par les instances d’évaluation.
Les faux résultats scientifiques passent facilement les comités de lecture à cause de la logique corporatiste : « Tu est chef, je te crois ; je suis chef, tu me crois ». Autrement dit : si je suis chef, je peux t’inviter ; si tu es chef, tu peux m’inviter, et on va se rencontrer dans tel comité d’organisation, etc... Un corporatisme qui, sur le plan politique, est parfaitement « transversal ». Devant un « outsider », en revanche, les lobbies feront barrage.
Autant ceux qui « n’ont pas le droit » sont très sévèrement évalués et bloqués, autant lorsqu’une « personnalité » influente ou un protégé présente un résultat qui peut paraître contestable, on l’écoute avec la plus grande bienveillance et on attribue ce qui apparaît tiré par les cheveux à la « puissante personnalité » de l’auteur, à sa « créativité parfois excessive », au sujet « très difficile », etc... tout en disant que « les aspects positifs l’emportent largement », et bla bla bla...
Si on en arrive à présent à ce genre de scandales qui témoignent d’une crise très grave du système scientifique mondial, c’est parce que depuis 1984 environ, dans tous les pays et quels que soient les partis qui ont gouverné, toutes les « réformes » de la recherche sont allées dans le sens du renforcement du pouvoir des hiérarchies et des lobbies. Y compris la loi française de 2006.
Le tournant de 1984 a certainement été lié à des tendances marco-économiques et macro-politiques liées à la « construction européenne », aux premières négociations en vue de la mise en place effective de l’Organisation Mondiale du Commerce, etc... C’était la fin des apparences de démocratie dans les milieux professionnels : il fallait que chercheurs, universitaires, intellectuels, avocats, journalistes, écrivains... rentrent dans les rangs de la pensée unique et de la politique unique.
En France, les années 1980 ont aussi été marquées par la montée en puissance de l’ENA avec son « savoir tout gérer », et c’est loin d’être une coïncidence fortuite. Précisément, les « chefs » de la recherche sont devenus au fur et à mesure de plus en plus « gestionnaires » et de moins en moins « scientifiques », et se sont dotés de puissantes administrations. L’équivalent s’est également produit dans les autres pays, sous des formes qui dépendent du tissu institutionnel local.