par Thierry Meyssan
Contrairement à une idée répandue, les Français n’ont jamais
été partisans de la colonisation, mais un groupe de pression,
auto-proclamé « Parti colonial », est parvenu à utiliser leur armée pour
se lancer à la conquête de débouchés économiques. Ce groupe de pression,
réanimé par les présidents Valéry Giscard d’Estaing, François Hollande,
Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, a posé les éléments de la crise
actuelle à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Si la politique qu’ils ont
imposée continue, les populations de ces territoires seront contraintes à
la guerre pour retrouver leur dignité, comme ce fut le cas en Indochine
et en Algérie.
Le président François Hollande place son quinquennat sous les auspices de
Jules Ferry, le chantre du colonialisme français. Il choisit simultanément le
général Benoît Puga comme chef de son état-major particulier. Ce dernier
n’est pas un militaire comme les autres, mais un grognard du colonialisme
ayant sauté sur Kolwezi (sur ordre du président Giscard d’Estaing), supervisé
les travaux du Mur de séparation en Palestine, et déjà servi comme chef
d’état-major particulier (pour le président Nicolas Sarkozy).
La révolte kanak en Nouvelle-Calédonie et l’insécurité grandissante à
Mayotte mettent en évidence la difficulté de la France avec son ancien
Empire.
Les deux France et la colonisation
Pour comprendre ce qui se passe, il faut garder en tête que la
colonisation française n’a aucun rapport avec les formes de colonisation
du Royaume-Uni, du Portugal, de l’Espagne ou des Pays-Bas. L’idéal
républicain, qui est celui de la France depuis le XVIIe siècle (Henri IV
est le premier monarque à s’être déclaré républicain), lui interdisait
de coloniser exclusivement pour s’enrichir. Les chantres français du
colonialisme prétendaient tous « faire œuvre de civilisation ». Par
république, j’entends le fait de gouverner dans l’intérêt général et non
dans celui d’une caste ou d’une classe sociale.
Du XVIe au XIXe siècle, la plupart des peuples colonisés ne
disposaient ni de l’éducation des Européens, ni de leurs techniques.
Certains souhaitaient combler ce fossé, d’autres, au contraire pensaient
à l’exploiter. Tout au long de l’épopée coloniale, deux courant se
combattaient en France, l’un pour l’émancipation, l’autre pour la
colonisation. Cette bataille interne trouva son expression dans le débat
parlementaire opposant le socialiste Jules Ferry au radical républicain
Georges Clemenceau, le 31 juillet 1885 à l’Assemblée nationale.
Écoutons un instant le discours de Georges Clemenceau :
« Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit
qu’elles exercent, et ce droit, par une transformation particulière, est
en même temps un devoir de civilisation ». Voilà les propres termes
de la thèse de Monsieur Jules Ferry et l’on voit le gouvernement
français exercer son droit sur les races inférieures en allant guerroyer
contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la
civilisation. Races supérieures ! Races inférieures, c’est bientôt dit !
Pour ma part, j’en rabats singulièrement depuis que j’ai vu des savants
allemands démontrant scientifiquement que la France devait être vaincue
dans la guerre franco-allemande [1870] parce que le Français est d’une
race inférieure à l’Allemand. Depuis ce temps, je l’avoue, j’y regarde à
deux fois avant de me retourner vers un homme et une civilisation, et
de prononcer : homme ou civilisations inférieurs (…) Race inférieure,
les Chinois ! avec cette civilisation dont les origines sont inconnues
et qui paraît avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes
limites. Inférieur Confucius ! En vérité (…) on y peut voir des
documents qui prouvent assurément que la race jaune (…) n’est en rien
inférieure [à celle des Européens].
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/kanaky-colons-mais-pas-colons-254871