Depuis dix semaines, Maurice Papon rejette sur son supérieur
ou son subordonné ses responsabilités dans la déportation des juifs
bordelais, qu’il ait ou non signé des documents.
« Le rapport
entre un homme et un système plus complexe doit être posé. » Il y a sur
ce « rapport » un éclairage. Il nous vient de la déclaration d’Edgar
Faure (1), procureur général adjoint au procès de Nuremberg (18 octobre
1945-1er octobre 1946). En voici de significatifs extraits.
« … Les
actions criminelles n’apparaissent donc pas comme des hasards ou de
regrettables fatalités de la guerre ou de l’Occupation. On ne doit pas
les imputer à des initiatives désordonnées et subalternes dues à l’excès
de zèle ou à l’indiscipline.
« L’élimination des adversaires étant
recommandée par la doctrine, elle sera réalisée en fait par le
fonctionnement normal et régulier de l’appareil administratif. Si le
nazisme a une philosophie de l’action criminelle, il a aussi, à
proprement parler, une bureaucratie de l’action criminelle. La volonté
qui inspire cette action se transmet de l’un à l’autre des centres
principaux et secondaires de l’organisme étatique. Chacun des forfaits
ou chacune des séries de forfaits, dont on vous a parlé ou dont il vous
sera encore parlé, suppose toute une suite de transmissions : les ordres
qui vont des supérieurs aux inférieurs, les demandes d’ordres ou les
comptes rendus qui vont des inférieurs aux supérieurs, et enfin les
liaisons qui sont assurées entre échelons correspondants des différents
services. Cette organisation administrative de l’action criminelle nous
paraît une donnée très importante quant à la détermination des
responsabilités et quant à la preuve des imputations qui sont formulées
par l’acte d’accusation contre les dirigeants supérieurs et contre les
organisations collectives.
« La responsabilité de l’un quelconque
de ces dirigeants supérieurs au sujet d’une action criminelle déterminée
n’exige nullement, en effet, que l’on produise une pièce ou un document
signé de cette personne elle-même ou la mettant en cause par une
désignation nominale.
Le fait qu’un tel document existe ou
n’existe pas dépend du hasard. La responsabilité du dirigeant supérieur
est directement établie par le fait qu’une action criminelle a été
réalisée d’une façon administrative par un service, dont la hiérarchie
aboutissait à ce dirigeant.