Cet article est totalement déconnecté de toutes les réalités propres à une élection présidentielle, comme il l’est de cette identité française, dont tout le monde parle, quand bien même très rares sont ceux qui savent précisément de quoi il retourne !
Si l’auteur décortique avec volupté, donc longuement, toutes les tares du dialogue direct entre électeurs et candidats, il se garde bien de préciser ce qu’apporteraient des débats contradictoires et pourquoi il croit à ce qu’ils apporteraient...
Me rendant alors sur le site de Bellaciao, j’y découvre cette perle de la plus belle eau utopisante : « Les projets de société doivent être confrontés pour que les citoyens se forgent leur opinion. » C’est à hurler de rire !
PROJET DE SOCIETE
1° les candidats présidentiables n’ont pas de projet de société. Le projet de société est l’apanage de petits candidats n’ayant aucune chance de concrétiser leur projet, ce qui évidemment est létal pour la crédibilité dudit projet.
2° si les candidats présidentiables se réclamaient d’un projet de société à peine précis, les téléspectateurs ne lui accorderaient aucun crédit.
3° si les candidats présidentiables affichaient des projets de société crédibles, ils en résulteraient des votes de rejet beaucoup plus nombreux que les votes d’adhésion.
Imaginons que Royal, poussant sa logique gauchère à ses ultimes conséquences, inscrive, dans son programme, des hausses massives de prélèvements fiscaux au titre de la solidarité nationale et avec le tiers monde...
Cela signifie qu’en termes de projet de société, la marge de manœuvre des candidats présidentiables est extrêmement faible, puisqu’il s’agit de ne pas se couper de cette part fluctuante de l’électorat qui est indispensable au rassemblement d’une majorité absolue au deuxième tour.
ELECTORAT ET DEBATS CONTRADICTOIRES
L’auteur situe la campagne actuelle « à mi-chemin entre la Star Ac’ et la tribune à la fascination phallique (sic) du démagogue », sans se rendre compte que le débat contradictoire n’est rien d’autre qu’une forme différente du spectacle politique. Le dialogue direct est au débat contradictoire ce que la Star Ac’ est au catch. Rien de plus, rien de moins.
Le célèbre débat Giscard-Mitterrand de 1981, fait maintenant rire au théâtre, alors que son contenu n’est ni suranné ni anachronique, que l’immense talent des acteurs - et, en particulier de Jean-François Balmer - n’y est pour rien et que les deux protagonistes ne correspondent pas vraiment à l’image qu’on se fait du gai luron...
Lors du débat contradictoire, les téléspectateurs comptent les coups, admirent les prises de leur champion, dénigrent le comportement de l’adversaire, ou alors se font une opinion définitive, à partir de considérations émotionnelles, sans rapport avec le contenu d’un débat OBLIGATOIREMENT sans surprise quant au fond.
En 1960, un autre débat fameux avait opposé Richard Nixon John Fitzgerald Kennedy, qui ne devait l’emporter que pour une poignée de votes : « John Kennedy et Richard Nixon s’assirent face à face dans un studio de télévision, un petit voyant rouge s’alluma au-dessus d’eux et on sut tout de suite que c’était fini pour Nixon (...) On prétendit que le maquillage et les éclairages étaient responsables de cet échec, mais le problème de Nixon était bien plus profond que cela. Ce problème, c’était Richard Nixon lui-même. Non pas ce qu’il disait, mais l’homme qu’il était, et dont la caméra fit ce soir-là un portrait parfaitement fidèle * ».
Au sujet de ce duel, Marshall MacLuhan devait déclarer : « ...c’est la télévision elle-même qui devait finalement arbitrer cette confrontation, en provoquant un véritable désastre pour le candidat Nixon dont le visage était trop dur de traits et trop intense, tandis que John Kennedy, plus chevelu, plus rond de traits et de manières, en tirait un immense bénéfice*. »
Vous avez dit « projets de société » ? Soyons sérieux...
Pris en main par des spécialistes qui avaient tout compris de la mécanique du succès, Nixon, le looser à répétition, allait l’emporter haut la main, en 1968... MacLuhan observe encore : « Le débat sur les grands problèmes, la stratégie politique, qui relevaient d’un ordre trop précis, voire spécialisé, n’occupent plus le devant de la scène en période électorale. Là où jadis on discutait, on confrontait des points de vue, on s’efforce avant tout, aujourd’hui, de faire surgir et d’imposer l’image des candidats.* »
Et ça tombe bien, parce que cette image, c’est justement ce qu’attend l’électeur. Pourquoi cela ? Un membre de l’équipe Nixon, William Gavin, un intuitif de la communication politique, écrivait avec une pertinence absolue : « L’électeur est fondamentalement paresseux, et on ne peut en aucun cas espérer qu’il fera le moindre effort pour comprendre ce qu’on lui dit. Raisonner exige un haut degré de discipline et de concentration ; faire impression est plus facile. Le raisonnement repousse le téléspectateur, ou bien l’agresse, exige qu’il acquiesce ou qu’il refuse ; une impression peut au contraire l’envelopper, l’inviter sans le placer devant une exigence intellectuelle.* »
Vous avez dit « projets de société » ? Soyons sérieux...
Un autre membre de l’équipe Nixon, Harry Treleaven, écrira après l’élection de George Bush père : « La plupart des grands problèmes nationaux sont aujourd’hui si complexes, si difficiles à comprendre, et sujets à tant de controverses qu’ils intimident la masse des citoyens, ou qu’ils l’ennuient (...) Rares sont les hommes politiques qui osent le reconnaître.* » Alors, en France, sans le reconnaître, lorsque les médias leur offrent le dialogue direct, ils saisissent la perche à deux mains, et ne la lâchent plus.
Vous avez dit « projets de société » ? Soyons sérieux...
PRESIDENTIALISME A LA FRANCAISE
« ...l’élection du président de la République au suffrage universel n’en finit pas d’empoisonner nos institutions... » écrit l’auteur de l’article, pour parachever ses errances. C’est qu’il croit que cette élection est le fruit d’une volonté, celle de De Gaulle, approuvée à l’aveuglette par un électorat abusé... Or, ce n’est pas ça du tout.
L’élection du président de la République au suffrage universel est inscrite au plus profond de l’identité nationale d’une France fondamentalement « monarchiste » et qui le restera tant qu’elle ne sera pas submergée par des identités culturelles venues d’ailleurs. Que le « Roi » s’appelle Henri IV, Napoléon, Clémenceau, Pétain, De Gaulle, Mitterrand, les mêmes foules l’ovationnent, les mêmes foules l’adulent comme un souverain, et le dépècent comme un monarque déchu, dès qu’elles ont le sentiment qu’il a failli...
Mais qu’est-ce que des universalistes de gauche peuvent comprendre à ces choses-là qui vont contre toutes leurs croyances, tous leurs dogmes, toutes leurs théories et toutes leurs superstitions, au sens premier ?
* Comment on « vend » un président, Joe McGinnis, Arthaud, 1970 (le livre n’a pas pris une ride, mais la technique s’est considérablement améliorée encore, dans le sens de plus d’efficacité)
28/05 20:32 - ddacoudre
exellant article. J’espère que tu n’en resteras pas là. je crois que sans sous (...)
12/04 13:06 - Guillaume
Foncel est un grand oracle : il connait « l’identité française »... J’imagine la (...)
22/03 11:46 - JL
J’oubliais, évidemment, tout est fait pour nous inciter à croire que l’on élit un (...)
22/03 11:32 -
D’accord sur l’analyse, pas sur la conclusion. Par ailleurs, la lecture fait bien (...)
22/03 01:07 - Romain Baudry
21/03 20:53 - Nicolas Foutrier
A foncel : Quelle véhémence ! Je vais vous faire un aveu ; je ne suis pas moi-même très (...)
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