Le venin présidentiel
Le site Bellaciao vient de mettre en ligne une pétition pour exiger des débats contradictoires à la radio et à la télévision dans le cadre de la campagne électorale. Il n’est guère besoin en effet de suivre assidûment les émissions politiques consacrées aux élections présidentielles pour s’apercevoir que depuis le début de cette campagne la plupart d’entre elles ont décidé de ne plus organiser de véritables débats contradictoires, substituant à ces derniers la fiction d’une rencontre entre les Français et des candidats à leur écoute.
Les émissions télévisées les plus populaires, telles qu’ A vous de juger ou J’ai une question à vous poser sur TF1, pour ne citer qu’elles, organisent, avec toute la bêtise complaisante que l’on reconnaîtra à ces médias officiels, l’intoxication de la vie politique en France et se font ainsi les alliés objectifs d’un régime présidentiel contribuant depuis longtemps à « dépolitiser » la politique, transformée en un spectacle à mi-chemin entre la Star Ac’ et la tribune à la fascination phallique du démagogue. Sous couvert de vouloir faire revivre l’intérêt des Français pour la politique, les médias ne font que reproduire, par « l’invention » de nouvelles formes de participation des citoyens au débat politique, de vieilles recettes éculées aux ressorts populistes. Ces émissions, qui mettent en scène, jusque dans les moindres détails, un pouvoir politique aux prises avec la réalité quotidienne des Français, visent en particulier à créer chez le téléspectateur, par un phénomène d’identification, le sentiment d’être écouté par des candidats penchés, comme de bons pères, à leurs chevets. Placé dans une arène digne du Circus maximus, le candidat est tenu de répondre aux préoccupations de Français ordinaires dont les questions, quelle que soit leur pertinence, finissent par échouer dans les filets d’une rhétorique conçue pour affronter de plus redoutables adversaires.
Dans cette mise en scène, où le candidat tend un miroir aux téléspectateurs, les débordements pathétiques sont non seulement admis mais encouragés. Ainsi, certains se sont émus, lors de la dernière émission de J’ai une question à vous poser, du geste trempé d’humanité et d’esprit charitable de Ségolène Royal lorsque, submergée par la compassion, elle a posé sa main sur l’épaule d’un paralytique en larmes. Quelle déception - avouez-le - de ne pas avoir vu cet homme se relever pour se jeter dans les bras du candidat thaumaturge en s’écriant « vive la très chrétienne Ségo 1ère, elle m’a guéri des écrouelles ! » L’absence de miracle ne fait ici que dévoiler les rouages d’une farce qui se joue des citoyens réduits à être des moutons de Panurge prêts à se jeter dans l’océan du populisme.
Fondamentalement, ces émissions politiques tentent de nous habituer à une conception de la politique où l’espace de la confrontation est structuré, non plus par des débats opposant des idées, des visions, voire - pardonnez-moi ce ton cavalier - des idéologies, mais par un dialogue fictif entre des candidats tenus de révéler des oracles rassurants et les Français « ordinaires », impatients d’inscrire leurs doléances dans la programmation empirico-bordélique des « pactes présidentiels » et autres « contrats d’avenir » des présidentiables. Je ne doute pas qu’il existe des candidats « honnêtes », avec des programmes bien conçus et des idées à en revendre, mais la légitimité d’une démocratie où le peuple est souverain ne repose pas sur l’addition d’une série de programmes et de projets politiques, mais sur leur nécessaire confrontation. Ces shows télévisés, où chaque candidat est sommé de répondre aux attentes de Français disposés à écouter n’importe quel évangile politique pour peu qu’il caresse leurs peurs et flatte leur ego, consistent au final à évacuer du débat politique la dimension agonistique qu’il revêt nécessairement pour laisser la place à une grotesque mise en scène de la prise en mains par les candidats des problèmes quotidiens des Français.
Ceci dit, n’a-t-on pas tort de s’étonner d’une telle dérive quand l’élection présidentielle est l’occasion d’élire un seul homme qui prétend être allé à la rencontre du peuple ? Que faut-il voir dans ces émissions sinon le symptôme inquiétant d’un régime présidentiel adossé à une conception personnalisée et bonapartiste de la vie politique ? Notre régime n’est certainement pas l’unique procréateur de cette monstruosité populiste et il y a fort à parier que l’avènement en France d’une véritable démocratie parlementaire, fondé sur un rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif, ne dissuaderait pas nos médias de continuer à nous abreuver de la même bouillie. Il n’en reste pas moins que l’élection au suffrage universel direct d’un président dont les prérogatives le rapprochent davantage d’un roi thaumaturge que d’un représentant de la souveraineté populaire, dessine une conception personnalisée du pouvoir dont s’accommode très bien l’appareil médiatique tout attaché qu’il est à consacrer ses stars et autres challengers de la tribune.
La
responsabilité dans l’organisation de cette mascarade
politico-médiatique n’incombe d’ailleurs pas totalement aux médias
concernés, plusieurs candidats, dont certains passent une partie de
leur temps à taper sur le lobby médiatique, ayant jusqu’à présent
refusé de s’affronter de crainte sans doute d’hypothéquer leurs chances
de remporter les élections. Pourquoi se priveraient-ils en même temps
de participer à ce type d’émissions qui leur offrent une occasion
unique de déployer leur éloquence sans avoir à souffrir des aléas d’un
débat contradictoire ? On nous dit que Sarkozy s’en est très bien
sorti, que Ségolène a été brillante, que les autres étaient « à la
hauteur ». Faut-il vraiment s’en étonner quand ces émissions n’ont
précisément pour but que de conforter l’autorité magistrale des
candidats et, par là même, de consacrer une élection forte du soutien
de l’opinion ?
Le venin répandu dans les veines de la république depuis le coup d’Etat du 13 mai 1958 et l’élection du président de la République au suffrage universel n’en finit pas d’empoisonner nos institutions et l’ensemble de la sphère politique française, à commencer par les partis rongés par ce mal sournois. L’investiture de Ségolène Royal en novembre dernier, à la faveur d’un Coup d’Etat orchestré sur les ruines du fameux, du terrible, du désormais mythique « 21 avril » dont il n’est d’ailleurs plus besoin de situer la date exacte tant sa charge émotive et culpabilisatrice a réussi à anesthésier la gauche et à étouffer tout débat véritable au PS, ne marque-t-elle pas la consécration du projet gaulliste déterminé à achever des partis politiques gangrenés par la rhétorique du chef charismatique ? A l’instar de De Gaulle qui entendait placer l’action du président de la République, organisant pour ce faire son irresponsabilité politique, au-dessus des partis, Ségolène Royal a ravi l’investiture au PS en se hissant au-dessus de son parti et de ses courants. Il est certes évident qu’une victoire de Jospin en 2002, ou à défaut son maintien à la tête du PS, n’aurait certainement pas permis de créer les conditions favorables à un « 18 Brumaire royaliste », mais le sort en a décidé autrement et la situation inédite créée par le 21 avril n’a fait que révéler le pacte faustien que le Parti socialiste a signé depuis longtemps avec la Ve République.
La contamination des partis politiques par l’esprit de la Ve République n’a pas seulement atteint le Parti socialiste, elle a aussi empêché l’unification des forces de la « gauche radicale ». Son incapacité à choisir un candidat unitaire pour se présenter aux élections présidentielles témoigne à cet égard de sa difficulté à s’accommoder d’une élection où la désignation d’un chef étouffe l’expression d’un véritable débat démocratique. D’autres facteurs déterminants, dont il ne s’agit pas ici de sous-estimer le poids, ont joué dans cet échec. En particulier, la méfiance de Besancenot à l’égard d’un Parti communiste tenté de renouveler l’expérience de la « gauche plurielle » et les craintes plus profondes, chez une partie des élus communistes, de subir les conséquences électorales d’une rupture avec le PS ont entraîné le départ d’Olivier Besancenot. Pourtant, force est de constater, après le départ de Besancenot, que la candidature unitaire a achoppé en dernier ressort sur un affrontement de personnes. Quoique l’on puisse penser de la candidature de M.G. Buffet, il est pour le moins étonnant que ses concurrents aient attendu aussi longtemps pour la remettre en cause sous prétexte qu’étant à la tête du Parti communiste, elle risquait de réduire la « gauche radicale » à un dernier avatar du PC.
Au final, on ne s’étonnera pas qu’au terme de cet exercice de style imposé par l’élection présidentielle, celui qui s’en sort le mieux soit Nicolas Sarkozy, sacré à la tête d’un parti où la place accordée au chef est sans doute l’unique et dernière trace de l’héritage gaulliste à l’UMP. La collusion de Sarkozy avec des médias, aussi impartiaux que le Pape est infaillible, n’est bien entendu pas étrangère à l’indéniable fascination exercée par le candidat de l’UMP. Pourtant, n’est-ce pas dans ce parti, baptisé à l’origine Union pour une Majorité Présidentielle, que s’incarne avec le plus d’éclat la figure gaulliste de « l’Homme présidentiel », ultime déclinaison de « l’Homme providentiel » ? N’en est-il pas en un sens le digne héritier à la différence près que, contrairement à ce dernier, « L’Homme présidentiel » n’assoit pas sa légitimité contre les institutions mais la construit avec elles ?
Il est temps de s’apercevoir, quitte à créer quelques désillusions chez certains militants de gauche armés de la meilleure volonté du monde que l’élection présidentielle est foncièrement une élection de droite et qu’il est vain pour la gauche d’attendre, sinon au prix d’un renoncement à ses valeurs démocratiques, un quelconque salut dans une élection bonapartiste et anti-démocratique qui nous condamne à ces pitreries médiatiques et populistes.
Nicolas Foutrier - AGIT LOG
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