Ils font pousser les chrysanthèmes d’hiver, le muguet du printemps et les fruits de l’été. Ce sont les « contrats OMI »
Dans les années 60, pour pallier le manque de main d’oeuvre dans l’agriculture, le gouvernement français a conclu des conventions avec le Maroc et la Tunisie, et plus récemment la Pologne, prévoyant l’introduction de travailleurs saisonniers. L’employeur doit d’abord prouver que les offres d’emploi qu’il a déposées à l’ANPE sont restées sans réponse. Il fait ensuite une demande auprès de l’Office des migrations internationales (OMI) pour faire entrer des ouvriers en France pour une durée de 6 mois, exceptionnellement prolongeable de deux mois.
A l’issue du contrat, le saisonnier a 10 jours pour retourner, à ses frais, dans son pays. S’il reste, il se retrouve en situation irrégulière. Chaque année, l’agriculture française emploie ainsi environ 10 000 « contrats OMI ». Dont 4 500 dans le seul département des Bouches du Rhône.
Certes, ce département est le premier producteur de fruits et légumes du pays : 400 hectares de serres du côté de l’étang de Berre, des dizaines d’hectares de vergers dans la plaine de la Crau et plus au nord du département.
Certaines exploitations ont des dimensions quasi industrielles et la main d’oeuvre manque. Mais cela ne suffit pas à justifier une telle concentration de contrats OMI dans une région où le nombre de chômeurs et de Rmistes est parmi les plus élevés de France.
C’est toute une logique économique qui s’est mise en place sur le modèle du servage. Dans l’incapacité de faire valoir leurs droits, logés sur l’exploitation même dans des conditions souvent indignes, les OMI sont taillables et corvéables à merci.
« On est constamment soumis au chantage du patron. Si tu protestes, si tu refuses de faire des heures supplémentaires pas payées, il te menace de ne pas te faire revenir l’année prochaine. Même quand il t’insulte, tu ne peux rien dire, reprend Ali. Et puis, même si tu ne dis rien, tu n’as aucune sécurité pour l’avenir. Si le patron fait faillite ou qu’il part à la retraite, qu’est ce que je deviens ? »
« Notre fiche de paye est exactement la même que celle des salariés résidant en France. On paie les mêmes cotisations sociales et on n’a même pas droit à un jour de chômage. Si on tombe malade pendant les quatre mois où on est au pays, on n’a pas de sécurité sociale. La MSA (mutuelle sociale agricole) nous coupe les droits dès la fin du contrat », lance Abderazak. Ce Tunisien de 39 ans travaille chez le même petit producteur de tomates depuis 13 ans.
...Pendant ce temps, les employeurs, eux, sont exonérés de 97 % des cotisations URSAFF dans le secteur des fruits et légumes. Une aide consentie au départ pour favoriser l’emploi des résidents, mais qui s’étend maintenant à toute la main d’oeuvre. « En plus des exonérations, le secteur touche énormément de subventions de la région et du département, explique Bernard GLEIZE. Mais ils n’en ont jamais assez. Leur nouveau combat, c’est de se faire subventionner la rénovation des logements. Il y a eu trop de scandales dans la presse, ça devenait mauvais pour leur image de marque. Ça ne les a quand même pas empêché de toucher des loyers en liquide pour des taudis. Les contrats aussi, certains les font payer, même si c’est loin d’être la majorité. Ça va de ceux qui se font rembourser la redevance qu’ils doivent verser à l’OMI par les salariés (environ 350 euros par an) aux plus pourris qui exigent carrément la première année de salaire en guise de paiement. Il existe tout un trafic de contrats. Si tu me donnes tant, l’année prochaine, je fais entrer ton cousin, etc. Parfois, c’est le contremaître qui dirige le deal, mais j’ai du mal à croire que le patron ne soit pas au courant. Et si ça se passe comme ça, ce n’est pas le fruit du hasard. La loi dit que les demandes de contrats faites à l’OMI doivent être anonymes. L’employeur doit juste dire : j’ai besoin de X travailleurs. Dans les faits, ici, ils ne sont jamais anonymes mais toujours nominatifs ».