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Commentaire de

sur M. Julien Dray, venez donc prendre un train de banlieue à la Gare du Nord


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(---.---.67.201) 30 mars 2007 01:05

Je suis un utilisateur quasi-quotidien depuis une quinzaine d’années de la Gare du Nord. Pendant 5 ans, habitant et travaillant en Seine-Saint-Denis, je laissais ma voiture auprès d’une gare du RER B ou E pour me rendre à Paris pour mes loisirs ; puis j’ai emménagé à Paris 18e, vendu ma voiture et utilisé le RER pour me rendre sur mon lieu de travail quatre fois par semaine ; enfin depuis deux ans j’ai obtenu une mutation dans une ville plus proche de Paris, où je me rends en bus, en attendant une prolongation du métro (ligne 12) ; et j’utilise la Gare du Nord fréquemment pour mes déplacements sur Paris ou en banlieue. Ces précisions nombrilistes sont nécessaires pour préciser que les remarques qui suivent sont inspirées par un vécu.

Les échauffourées du 27 mars 2007 à la Gare du Nord ne m’ont pas surpris, et elles sont amenées à se reproduire de plus en plus fréquemment parce que des décideurs à mon avis incompétents ou vénaux ont laissé faire ou organisé un environnement aliénant et criminogène. Voici un certain nombre de gouttes d’eau qui, emplissant jour après jour le vase des usagers de cette gare, ne peuvent que déborder. Il m’est arrivé d’avoir envie de « tout casser » dans ce trou à rats inhumain, alors comment s’étonner qu’avec des jeunes un peu plus nerveux que moi, on en arrive à ces extrémités !

1. Observez un plan du métro de Paris, et comptez le nombre de stations de RER B au nord de Paris et au sud de Paris. Tout au sud, la station Cité internationale dépose les honnêtes citoyens directement auprès du riant Parc Montsouris ; un peu plus au nord, les stations Denfert-Rochereau, puis Port-Royal au nom si prophétique, puis Luxembourg, enfin Saint-Michel, déposent l’usager au pied de son appartement cossu. Le RER est comme un métro. Au centre de Paris, Châtelet permet de changer de ligne ou de profiter du centre commercial que naguère le maire de Paris Jacques Chirac a installé au centre de la plus belle ville du monde ; puis on a Gare du Nord pour déverser ses foules de pauvres, et point barre. 5 stations au sud, une au centre, une seule au nord. L’habitant des quartiers populaires (10e, 18e, 19e) n’a pas la chance du bourgeois des 14e et 5e arrondissements : il lui faut entamer ou terminer son trajet biquotidien dans des bus ou métros bondés, mais surtout, les centaines de milliers d’habitants de ces quartiers s’ajoutent à ceux des banlieues nord et est pour se fondre dans une des plus grandes gares du monde. Comment s’étonner alors des conséquences inévitables d’une telle concentration de personnes issues pour une grande part des classes populaires ?

2. Pourquoi traîne-t-on les pieds pour entamer les travaux pour créer des stations intermédiaires qui réduiraient cette concentration et soulageraient les usagers d’un quart d’heure à une heure de trajet par jour ? La future station de la porte d’Aubervilliers sur la ligne E est enfin programmée pour 2012 je crois, alors qu’elle est envisagée depuis une dizaine d’années. Je n’ai jamais entendu un seul politicien parisien évoquer un pendant de la station Cité Internationale au nord de la ligne B, à la Porte de la Chapelle. Les habitants des quartiers populaires et populeux du XVIIIe et du XIXe, qui fournissent pourtant un grand nombre des travailleurs à bas salaire de la zone de Roissy (ou de la Plaine Saint-Denis, etc.), sont obligés de descendre Gare du Nord, puis de remonter sur Roissy. Ce sont peut-être leurs enfants qui ont causé les émeutes. Il est vrai que ces parents qui rentrent tard et épuisés du travail, et pour cause, ont sans doute moins le temps de s’occuper de leurs enfants que les riverains de la station Port-Royal.

3. Les récents travaux d’aménagement de la Gare du Nord, en sous-sol puis en surface, n’ont pas consisté en l’amélioration de la vie des usagers, mais à créer de toutes pièces un immense centre commercial souterrain, avec entre autres un Monoprix et la litanie des franchisés qui pourrissent déjà tous les centre-ville de toutes les villes de France ; avec sans doute dans le cahier des charges secret, de retarder au maximum la création d’autres stations, pour pourvoir aux actionnaires de ces magasins le maximum de clientèle. J’ai tendance à ne pas les plaindre, et si je ne me réjouis pas des émeutes, parce que j’en serai forcément la victime un jour ou l’autre, je constate tous les jours ce qu’on aurait dû faire pour éviter cette situation, et qu’on a fait exactement le contraire. Comment peut-on avoir tout fait pour retenir un maximum de gens dans ce sous-sol glauque, pour enrichir les actionnaires des chaînes de distribution, et s’étonner que des jeunes aiment s’y réunir ? Les travaux qu’aurait engagés un véritable service public, au lieu de créer un centre commercial, auraient consisté par exemple à créer une sortie directe à l’extrémité nord des quais. (Je ne parle pas de la belle vitrine du parvis, mais de ce qui se cache en sous-sol, la où grouillent les banlieusards des lignes B, D, E). Au lieu de cela, l’usager est obligé d’emprunter le couloir interminable de correspondance avec la station La Chapelle de la ligne 2. Un couloir avec des angles morts, où les caméras n’empêchent pas les agressions. Les flux ainsi créés permettent de transformer l’usager de la SNCF en client de magasins privés. La sortie par ascenseurs côté rue du Faubourg Saint-Denis, propose des appareils inadaptés, en verre, à fonctionnement manuel, donc constamment cassés et en panne pendant des semaines, voire des mois. On peut se demander pourquoi, dans un lieu de passage si intense, la SNCF n’a pas installé des ascenseurs à fonctionnement automatique, avec habillage métallique et non en verre, beaucoup moins fragiles, comme il y en a par exemple à la station Auber (RER A).

4. On peut évoquer encore le type de rames choisi pour le RER D : longues rames à deux étages, avec seulement 2 portes, qui créent des bousculades quotidiennes et ralentissent le trafic et les voyageurs. Erreur rattrapée pour les rames plus modernes du RER B (un seul étage et 4 portes) et du RER E (deux étages et 3 portes), mais pendant combien d’années les usagers de la ligne D (la ligne la plus populaire et la plus bondée de toutes, comme par hasard) vont-ils supporter ces bousculades créées par un matériel inadapté ?

5. Il faudrait aussi réfléchir à un moyen pour que tous les clochards et toxicomanes du nord de Paris n’investissent pas les escaliers et quais de cette immense gare. On réfléchirait utilement à la décision à mon avis stupide de la RATP de supprimer les sièges des stations de métro des quartiers nord de Paris. Par exemple à la station Marx-Dormoy, il n’y a pas un seul siège, soi-disant pour éviter les personnes indésirables. La RATP n’aurait jamais osé agir de cette manière dans le XVIe arrondissement. Comme si, dans les quartiers nord, il n’y avait pas non plus de personnes âgées et de femmes enceintes qui auraient besoin de sièges. Le problème est qu’en agissant ainsi, toutes ces personnes se concentrent à Gare du Nord. Les habitants des quartiers populaires sont toujours plus mal servis que les autres. Par exemple la station citée ci-dessus est actuellement en travaux pour remplacer l’escalier mécanique, ceci jusqu’en juin 2007 (alors qu’elle avait déjà été fermée pour rénovation il y a trois ans !) L’unique escalier d’accès, réduit à 1m50 de large, engendre des bousculades tous les jours, parce que cette station est une des plus fréquentées de Paris, mais jamais on n’a investi dans la création je ne dis pas d’une sortie à l’autre bout de quai, pourtant fort nécessaire, mais simplement d’un autre escalier qui éviterait de traverser le carrefour gris et dangereux baptisé ironiquement « Place Paul Eluard ». On pourrait faire un effort, quand on compare avec le luxe inouï que la RATP a déployé pour creuser d’immenses tunnels déserts pourvus de luxueux trottoirs roulants pour créer des accès directs aux Galeries Lafayette depuis le RER E à Saint-Lazare.

6. Les usagers de la Gare du Nord habitant ou travaillant dans le quartier n’ont pas digéré l’escroquerie dont ils ont été victimes il y a une dizaine d’années, quand les billets terminus en gare du Nord (pareil pour les autres gares) ont été supprimés, avec obligation d’acheter un billet couplé train + métro dit « section urbaine ». En outre, ces billets obligent à utiliser le métro et non le bus. Dans le cas de Marx-Dormoy, au lieu de prendre le 65, direct et rapide aux heures creuses, il faut prendre le métro n°4 pour 3 stations, puis emprunter l’interminable couloir de Marcadet-Poissonniers, puis la ligne 12 pour une station, tout ça pour ne pas se faire arnaquer d’un billet qu’on nous a forcé à acheter. Autre escroquerie, quand vous avez une carte orange et que vous voulez dépasser votre zone, depuis quelques années, il faut payer le trajet entier. Avant, on ne payait que le dépassement. Les adultes des classes populaires ont accepté ça sans broncher, mais sans doute leurs enfants ont-ils entendu leurs récriminations, jour après jour, depuis des années...

7. Enfin, cerise sur le gâteau, depuis plusieurs années, sur les quais des stations de RER E et B, depuis la gare du Nord ou Haussmann jusqu’en terminus de réseau, est diffusé sans aucune interruption, le programme d’une radio commerciale privée, informations et publicité comprises, en l’occurrence RFM. Le volume est suffisamment élevé pour qu’une personne normalement constituée ne puisse plus se concentrer sur aucune autre activité intellectuelle, par exemple lire un livre. Vous me direz : « Quelle importance, puisqu’il s’agit uniquement de l’attente du train ? » Je vous répondrai que, si l’on rate un train en soirée, et que le train suivant est annulé, ce qui, si l’on est un utilisateur quotidien, vous arrive au moins une fois par semaine, cela entraîne entre quinze et trente minutes d’attente sur le quai. Trente minutes, quand on a entre les mains un livre passionnant et dans les oreilles une ritournelle dont on n’a aucun moyen de se protéger, certains spécialistes de la torture n’auraient guère imaginé plus sadique comme conditionnement. De plus, la radio choisie est RFM, une radio privée qui appartient sans doute encore au groupe Lagardère.

Les gens qui ont décidé d’obliger les usagers de la Gare du Nord à écouter la radio d’un vendeur d’armes, ou qui ont laissé faire, sont sans doute parmi les premiers à s’offusquer des émeutes. Quant à moi, quand on me parle de violence et de délinquance, j’ai tendance à étendre le concept, et à chercher des solutions. Je sais bien que l’on va me traiter de doux rêveur politiquement correct. Je ne nie pas que nous sommes dans une époque de brumisation. Je me souviens du drame du stade du Heysel en 1985. Certes, on peut, au café du Commerce, gloser sur la sauvagerie des supporters de football comme sur celle des jeunes usagers de la Gare du Nord. Un commentaire pourtant m’avait marqué : si les sorties du stade avaient été protégées par des larges colonnes de béton situées devant et non sur le côté des portes, les gens ne se seraient pas écrasés les uns les autres. Du lien entre urbanisme et urbanité... À voir s’accumuler ces gouttes d’eau, on ne s’étonne pas que le vase déborde. En résumé, après avoir laissé hurlé les loups, si vous voulez réduire le nombre d’émeutes, construisez de nouvelles gares plus respectueuses des flux de voyageurs, de nouvelles sorties, utilisez un matériel plus adapté, encouragez la SNCF et la RATP à rester des fournisseurs de transports et non des fournisseurs de clients pour des centres commerciaux.

http://www.altersexualite.com/spip.php?article3


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