• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de

sur Gare (du Nord) au gorille... réponse au « Train sifflera deux fois »


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

(---.---.250.73) 3 avril 2007 16:57

Les peines plancher pour les multirécidivistes ou la justice vue par Mr Bilger qui roule pour Mr Sarkosy.

L’argumentaire fait une page, et a de quoi laisser le juriste perplexe, et le pénaliste proche de l’apoplexie.

Le Code pénal fixe pour chaque infraction une ou plusieurs peines. On les appelle peines principales. Il s’agit de peines d’amende et d’emprisonnement.

Chaque infraction se voit ainsi affecter une peine, mais il s’agit d’une peine maximum.

Ainsi, l’article 311-3 du Code pénal dispose-t-il que :

Le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.

Cela ne signifie pas que tout voleur sera puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros. Cela signifie que tout voleur peut être puni d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans ainsi que d’une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 45000 euros, les deux cumulativement ou l’une de ces deux peines seulement.

C’est le rôle du juge de fixer la peine la plus adéquate. C’est un principe fondamental, qu’on appelle individualisation des peines. Le principe est posé à l’article 132-24 du Code pénal, mais le Conseil constitutionnel en a fait un principe à valeur constitutionnelle.

La récidive, enfin, s’entend d’une personne condamnée définitivement, c’est à dire qui n’a pas fait appel ou a épuisé les voies de recours, qui commet à nouveau des faits similaires. L’effet de la récidive est de doubler la peine encourue (le vol en récidive est ainsi passible de six années d’emprisonnement et de 90.000 euros d’amende).

Maintenant, voici le magnifique argumentaire proposé par l’UMP

L’INSTAURATION DE PEINES PLANCHER POUR LES MULTIRECIDIVISTES POURQUOI, COMMENT ?

1. Pourquoi ? Même si le taux de récidive globale n’est que de 14,5% (personnes condamnées successivement pour deux délits de même nature), parmi les 357 440 personnes condamnées en 2004 pour un délit, 111 156 avaient déjà été condamnées au moins une fois depuis 2000, soit un taux de recondamnation de 31%.

Les analystes oublient de dire que le taux de récidive chute encore plus bas (environ 5%) quand le condamné a bénéficié de mesures d’aménagements de peine ou d’une libération conditionnelle. La bataille contre la récidive se mène très discrètement dans les cabinets des juges d’application des peines. Ce n’est clairement pas le but de ce projet, la phrase suivante le démontrant de manière fort comique.

Ces taux sont beaucoup plus élevés lorsqu’ils sont analysés précisément :

En clair : sans rien changer à la réalité des faits, nous allons élever ces taux par une analyse précise. Magie des chiffres...

-71% des personnes condamnées à de la prison ferme avaient déjà été « averties » par une décision judiciaire au moins une fois ;

Superbe exemple de manipulation des chiffres. Pour qu’un juge prononce de la prison ferme, il faut soit que les faits soient extraordinairement graves au point de faire de la prison la seule peine adéquate (c’est rare : ce sont les crimes ou des délits très graves), soit que la personne ait déjà été condamnée.

D’où un taux forcément très élevé de personnes déjà « averties ». Plus d’un condamné à de la prison ferme sur deux réitère dans les cinq ans suivant sa libération. Ce taux atteint 70% pour les personnes condamnées pour violences volontaires avec outrage, et même 72% dans le cas des personnes condamnées pour vol avec violence ;

Le réitérant n’est pas le récidiviste. Le réitérant est celui qui commet une nouvelle infraction après avoir été définitivement condamné, mais de nature différente de la première.

Mais en tout état de cause, ce ne sont des multirécidivistes concernés par les peines plancher. Bref, un hors sujet pour le plaisir de citer des chiffres qui vont bien : un sur deux, 70%, 72%... Ca passe bien au vingt heures. ...Donc, prononçons directement une peine de prison, et tant pis pour les 40% qui ne réitéraient pas. Une réflexion sur les TIG pour les réformer ? Pourquoi faire. La prison, y’a que ça qui plaît à l’électorat.

La moitié des crimes et délits connus en France sont commis en réalité par une infime minorité de délinquants (5%).

Si le reste des chiffres cités dans cet argumentaire sont aussi fiables, on est déjà dans le domaine du fantasme.

Ces niveaux de réitération traduisent l’impuissance de la justice à offrir des sanctions dissuasives.

L’impuissance de la justice et le fantasme de la dissuasion absolue, du délinquant terrorisé qui devient honnête mû par la peur. A se demander pourquoi il y a encore de la délinquance en Iran ou en Chine, où la justice est loin d’être impuissante.

Les délinquants ne doivent pas tous être traités de la même façon par la justice. Quelqu’un qui commet pour la première fois une infraction ne peut être traité comme un délinquant d’habitude.

Peut être parce que ce n’est PAS un délinquant d’habitude ?

La société doit protéger ses citoyens et se montrer intraitable vis-à-vis de ceux qui ne respectent rien, ni personne en réitérant des infractions en dépit d’avertissements judiciaires. Elle doit, pour cela, instituer des peines plancher pour les multirécidivistes.

Multirécidiviste... Voyons : récidiviste, qui commet un deuxième délit. Multirécidiviste, cela s’appliquerait donc à trois infractions, minimum, non ? Et bien non, comme on va le voir. C’est juste pour ajouter un multi- en préfixe, pour accentuer la menace.

Le niveau des peines plancher serait de plus en plus important en fonction du niveau de la récidive.

Les peines plancher ne s’appliqueront donc pas aux personnes innocentes, voilà qui est une bonne nouvelle.

Si un juge estimait devoir descendre assez bas dans l’échelle de la peine, c’est en vertu de la personnalisation. Le lui interdire contrevient à cette personnalisation. Dire le contraire, c’est mentir. Le barème cité en exemple le démontre d’ailleurs :

Un article du code pénal pourrait établir l’échelle des peines plancher de la manière suivante :

- à la première réitération, la peine plancher serait fixée à moins de la moitié de la peine encourue ; - à la deuxième réitération, la peine plancher serait fixée à 75% de la peine encourue ; - à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue.

Où est la personnalisation quand le plancher est égal au plafond ? Notons le terme de réitération, définie à l’article 132-16-7 du Code pénal : le réitérant n’est pas le récidiviste. On est donc dans l’hypothèse où le juge n’a plus le choix, ce n’est pas entre le maximum encouru pour le délit simple et le double de ce chiffre du fait de la récidive, c’est bien le max automatiquement, sans discussion possible sauf sur un point de détail : la culpabilité.

Quand le plancher touche le plafond, la maison devient inhabitable, ses habitants meurent étouffés...

Reste à justifier de la légalité de cette aberration. C’est indiscutablement le meilleur morceau.

Ce système de peines plancher est parfaitement conforme à nos principes juridiques : Avec Guy Canivet au Conseil constitutionnel, je doute que la chose paraisse aussi évidente rue Montpensier.

- il est conforme au principe de l’individualisation des peines. Les peines plancher ne portent en aucune manière atteinte à la marge d’appréciation reconnue au juge quant à la culpabilité du prévenu.

Trois lignes après avoir écrit « à la troisième réitération, la peine plancher serait fixée au maximum de la peine encourue »... Il faut se relire, parfois.

- des peines minimales obligatoires existent déjà en matière criminelle (même si elles sont très basses). L’article 132-18 du code pénal dispose ainsi que, lorsqu’une infraction est punie de la réclusion criminelle, la cour d’assises peut prononcer une peine de réclusion criminelle pour la durée encourue (ou inférieure), mais aussi une peine d’emprisonnement qui ne peut alors être inférieure à deux ans ou un an (suivant la peine encourue). Il s’agit donc bien de peines minimales, qui peuvent certes être assorties du sursis ;

Savez vous dans quel type d’affaire les cours d’assises se heurtent à ce plancher qu’elles ne peuvent pas perforer ? Les affaires d’euthanasie, comme celle jugée il y a peu par la cour d’assises de Périgueux. C’est d’ailleurs la peine qui a été prononcée à l’encontre du médecin, l’infirmière ayant été acquittée. Ce sont les seules. On voit bien que ce système de peine plancher ne fait qu’entraver une juridiction qui aurait sans doute voulu aller plus bas pour montrer sa compréhension du geste en même temps que le nécessaire respect de la loi.

Car si le Dr Tramois recommençait à aider un patient à mourir, cette fois, ce serait une peine plancher de quinze ans qui s’appliquerait à elle. Elle vous paraît toujours aussi belle, cette idée de peine plancher ?

- le système des peines plancher existait sous le régime de l’ancien code pénal en vigueur jusqu’en 1994. L’ancien code pénal exprimait les peines sous forme d’intervalles, avec un minimum et un maximum. Ce n’est que depuis le nouveau code pénal, entré en application en 1994, qu’il n’est prévu, pour chaque infraction, qu’une peine maximale ;

J’adore la référence à un texte abrogé. Si on l’a abrogé, c’est qu’il y avait peut être une raison, non ? Surtout, c’est faire montre d’une ignorance crasse.

L’ancien code pénal prévoyait en effet un intervalle de peines. Le vol était ainsi puni selon l’ancien article 381 de trois mois à trois ans de prison. MAIS ce que les rédacteurs ignorent (je ne veux pas croire qu’ils l’aient tu sciemment...) c’est qu’un article 463 dans ce même code permettait au juge de reconnaître des « circonstances atténuantes » permettant alors de prononcer une peine moindre à ce plancher. Ainsi, le vote par la cour d’assises des circonstances atténuantes à un assassin lui faisait échapper à la guillotine. De fait, les planchers de l’ancien Code pénal n’étaient plus que symboliques, les juges ayant depuis longtemps pris l’habitude de fixer la peine qui leur semblait convenir, et de préciser le cas échéant qu’ils accordaient les circonstances atténuantes. C’est cette pratique que le législateur a consacré en juillet 1992 en votant le nouveau code pénal et son système de peines maximum sans minimum, abrogeant au passage le système des circonstances atténuantes.

J’ajoute pour conclure que le Code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994. Nicolas Sarkozy était donc ministre (du Budget) dans le dernier gouvernement à avoir appliqué l’ancien Code pénal et le premier à avoir appliqué le nouveau. Pour son ignorance, je ne lui trouve pas de circonstances atténuantes.

Il n’y a pas de liberté totale, contrairement à l’ancien régime. Le juge ne peut prononcer que des peines prévues par la loi, dans la limite de leur maximum légal. Il jouit d’une liberté dans l’indulgence. Parce que lui, contrairement au législateur, est dans le prétoire, il voit et entend le prévenu, il entend les témoins, il entend la victime, et il a des éléments soutenus par un avocat justifiant une éventuelle clémence.

Par ailleurs, afin de limiter davantage la récidive, il faut trouver des solutions pour les personnes arrivées en fin de peine, mais toujours dangereuses pour la société car refusant de se soigner (notamment les délinquants sexuels) : soit ces personnes acceptent de se faire soigner et la société doit pouvoir contrôler que tel est le cas, soit il faut prévoir leur maintien en milieu fermé avec un contrôle judiciaire, comme cela existe dans de nombreux Etats démocratiques.

Le meilleur pour la fin. Le rétablissement de l’embastillement. La privation de liberté au delà de la peine, par décision administrative, juste au cas où, pour ne pas prendre de risque. J’aimerais bien connaître la liste de ces « nombreux Etats démocratiques ». J’aurais tendance à penser qu’un pays qui a ce genre de politique cesse de pouvoir porter ce titre.

Je n’ose soulever le fait que si un condamné refuse tout soin avec obstination, ça peut être aussi parce qu’il est innocent, et que par l’effet de cette loi, il ne recouvrerait jamais la liberté. En France, on ne poursuit pas d’innocents pour des accusations de crimes sexuels. Ca se saurait, non ?


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès