Une mise au point utile :
« Tous les progrès actuels dans la connaissance des relations entre l’inné et l’acquis, la nature et la culture, montrent qu’il y a des interactions réciproques et continues entre les gènes et l’environnement, et que ce sont ces interactions qui participent à la construction progressive d’un enfant et d’une personne. Et le premier environnement dans les collectivités humaines, ce sont les autres ! », précise le médecin biologiste Jean-Claude Ameisen, président du comité d’éthique de l’Inserm et membre du Comité consultatif national d’éthique.
C’est dire que l’identité et les comportements futurs d’une personne ne peuvent être inscrits dans ses gènes dès la conception, ni lisibles dès la naissance. Pas plus pour la pédophilie que pour la tendance au suicide. Ou que pour les troubles du comportement de l’enfant, dont le ministre de l’intérieur, s’appuyant sur une expertise hautement controversée de l’Inserm, avait préconisé le dépistage, dès l’âge de 3ans, dans le cadre de son projet de prévention de la délinquance. Dans tous ces cas, « le préjugé répandu d’une causalité réductrice et unidimensionnelle n’est justifié par aucune donnée scientifique », insiste M. Ameisen, en soulignant que « le principal danger de cette obsession de prédire est la stigmatisation : enfermer l’individu dans un destin figé à l’avance, et porter sur lui un regard qui sera source de souffrances ».
Inné, acquis : s’il est un domaine où la science devrait imposer une attitude prudente et modérée, c’est donc bien celui-ci. Pourquoi, dès lors, la persistance de cette tendance déterministe, qui prévaut notamment aux Etats-Unis, et qui accorde à l’hérédité une emprise dominante ? Du fait, essentiellement, du terreau idéologique sur laquelle elle s’est développée. Un terreau répandu en premier lieu par le sociologue Herbert Spencer, contemporain de Darwin et auteur du concept de « sélection des plus aptes ».
« L’idée très ancienne et très réductrice selon laquelle l’homme est essentiellement déterminé par ses gènes est bien en adéquation avec le discours d’un homme de droite, pour qui ce n’est pas à la société de régler les problèmes comportementaux des individus », commente le généticien Bertrand Jordan, fondateur de la Génopole de Marseille. Une optique selon laquelle la société doit avant tout veiller à ne pas fausser le libre jeu de la concurrence en pénalisant les meilleurs pour aider les moins bons.
Mais une optique qui, au regard des connaissances actuelles, ne tient plus la route sur des bases scientifiques. Car « le monde vrai, constate M. Kahn, n’est pas constitué de gens qui sont constitutionnellement résistants à l’obésité, au cancer et aux malheurs de la vie ».
Pour ce chercheur, « se satisfaire d’une société qui ne soit propice à l’épanouissement que de quelques-uns et s’exonérer par avance de sa responsabilité quant aux accidents qui peuvent survenir chez les autres, ce n’est pas acceptable ».
La génétique traverse les débats de société et ne doit pas être invoquée à la légère en politique.
Catherine Vincent (Le Monde)