La Taverne des Poètes a dit : « Reste la question de fond : comment mieux protéger l’enfant sans commettre d’injustices (comme la détention provoisoire prolongée dénoncée par les pétionnaires ou la qualification d’attouchements en crimes) ? »
Il me semble que l’article fait dériver les commentaires vers une appréciation juridique, forcément froide, objective et sans le sentiment qui accompagne la victime.
Me plaçant de ce côté-là, j’ai à constater depuis de nombreuses années que le crime d’inceste n’est pas reconnu - comme cela est judicieusement relevé par La Taverne des Poètes -, que loin d’être entendue, la parole des victimes n’est pas prise en compte comme il se devrait.
De ce point de vue, l’affaire postOutreau s’empara d’un problème purement judiciaro-médiatique au détriment des enfants victimes. Ce fut aussi le procès de la stupidité vénale de quelque expert douteux. Car il y eut bel et bien des enfants victimes, comme à Angers et bientôt ailleurs. Que le législateur ait eu à doser et à hiérarchiser les délits relève d’une forme de vision objective et matérialiste : le fait, rien que le fait... Si bien qu’en effet, après 38 ans, c’est une parole contre une autre. Et, à ce jeu, compte tenu des outils donnés à l’instruction, le doute bénéficie souvent à l’accusé. Et je ne cite pas le nombre considérable de fois où l’expert commis par le juge s’en prend à la victime qu’il accusera de simulation, dont il dira à coup sûr les tendances bipolaires, marquées d’un profond narcissisme, et j’en passe...
Et si les experts se perdent en débats stériles c’est que nous subissons, en France, des effets d’une sorte d’archaïsme qui imprègne profondément les Sciences humaines. La nomenklatura neofreudienne n’est pas prête à consentir que l’inceste existe, qu’il n’est pas un fantasme ni l’expression d’un « désir de l’enfant ». Les gérontes commis en experts ne peuvent admettre que leurs bréviaires n’aient pas envisagé ces monstruosités.
Cependant, il existe une autre génération d’experts, qui, formée à l’expérience du terrain, ne peut plus consentir à entendre ces dogmes d’un autre âge. Et nous disposons d’outils performants pour dire si telle personne, même 50 ans après a subi viol ou attouchement et de quel ordre est le préjudice sur sa vie.
Il me semble devoir rappeler maintenant que l’exercice du droit et la sanction qu’il définit se fondent aussi sur l’évaluation du préjudice subi par la victime. De ce point de vue, loin des rhétoriques de salon et plus habitué au terrain qu’aux signatures d’ouvrages savants, j’ai à témoigner que les préjudices subis par des enfants sont considérables quand un parent abuse d’eux. Et ce n’est pas la notion de violence de l’acte qui fait la différence entre viol et attouchement, c’est la profondeur du préjudice, sa durée et, toutes les victimes s’accordent sur ce point, le climat malsain, glauque dans lequel la victime est tenue qui imprègne un marque profonde dans la psyché au point de la marquer si profondément qu’on en retrouve les séquelles parfois plus de 60 ans après.
Pendant que vous, mesdames et messieurs, férus de droit, vous jonglez avec les mots, d’autres ramassent les miettes sanglantes de nombreuses âmes volées.
Illel Kieser ‘l Baz, psychologue clinicien.