Au vu des réactions suscitées par la volonté de certains d’entre nous - victimes d’inceste ou de sévices sexuels dans l’enfance - de donner corps à la diffusion de leurs maux, confrontées aux mots de ceux qui ergotent sur la hiérachie à établir entre « attouchement » et viol, il me semble devoir rappeler certains éléments fondateurs du droit.
Et ces rappels nous dévoilent les éléments fondamentaux, anthropologiques du droit de chacun à vivre dans une société que nos parents ont contribué à bâtir. Que les acteurs de la transmission, les parents, viennent à faillir et l’on soupçonne l’ampleur d’une dévastation
D’un point de vue juridique, la loi écrite, édictée par le législateur, constitue l’une des sources du droit, de même que les lois non écrites comme la coutume, ensemble de règles non écrites, admises comme obligatoires. C’est ce que nous appelons le droit positif par opposition à un droit qui serait antérieur au droit précisé par le législateur. Le droit positif est constitué par l’ensemble de ces règles.
Mais on peut se demander sur quoi se fonde la loi qui émane du pouvoir législatif.
Le législateur n’agit certes pas par intérêt ni par impulsion, mais plutôt selon certaines exigences qu’il est conscient de devoir satisfaire, entre autre son inscription dans la ligne d’une culture rationaliste et matérialiste qui s’est affirmée dans l’histoire européenne avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen - notons en passant, que, concernant l’homme, on ne sait s’il s’agit de l’espèce, l’humanité, ou du genre, le masculin. Il existe donc une double source du domaine législatif ou juridique. Ce que nous nommons droit positif qui repose sur les lois positives écrites ou non écrites, d’une part et , d’autre part, les fondement généraux de ces lois et droits dits positifs, nous parlerons alors de lois et de droit naturels.
On entend par ce terme « naturel » ce qui est indépendant de l’homme, ce qui n’est le produit ni de l’esprit ni de la raison mais qui découle d’une nécessité fondamentale à l’édification d’une société. Le tabou de l’inceste, universel, fait partie de ces fondements.
Il existe des forces naturelles comme le vent ou l’eau, qui sont antérieures à l’œuvre des humains et d’autres forces comme l’énergie nucléaire, l’électricité, etc. qui en sont l’œuvre. « Nous pouvons donc caractériser la loi naturelle et le droit naturel comme antérieurs à l’activité législatrice de l’homme et indépendants d’elle. Ils découlent de la nature même des choses : étant donné ce que sont les choses, ils ne peuvent être autrement. Ils s’imposeraient à tout esprit comprenant bien cette nature ; mais comme elle reste mystérieuse et sujette à discussion, les lois naturelles manquent de la positivité des lois positives ; ce ne sont pas des données de fait, mais des conceptions de l’esprit." » (Paul Foulquié, l’action)
En ce sens, le tabou de l’inceste relève d’un principe qui est antérieur à l’édification de toute culture, il lui est même nécessaire. La transgression de ce même tabou relève alors d’une atteinte faite à l’antériorité du droit positif.
S’échiner à trouver des éléments positifs, matériels, tangibles, pour apporter la preuve du crime d’inceste relève donc d’une aberration au plan du droit constitutif de toute société.
Dans la même lignée, reprocher aux victimes d’inceste de vouloir exercer une sorte de télescopage, voire de vengeance, dans le temps en rapportant au jour de la plainte des faits qui remontent parfois à plus de 20 ans, au prétexte qu’elles porteraient atteinte à une personne qui aura changé, c’est donner crédit et assistance au bourreau et non à la victime dans le préjudice radical quelle aura subi. Il se trouve que les prédateurs sexuels ne changent pas ! Le taux de récidive est le plus élevé qui soit. Regardez, écoutez, SVP !
20 ou 30 ans après la victime subit encore, le prédateur jouit toujours !
C’est aussi douter de leur faculté de discernement, ce que ne manquent pas de souligner certains experts nourris et abreuvés des bréviaires d’une psychanalyse mal digérée...
On pourrait donc dire qu’une loi positive contraire à la nature des choses et/ou au bien commun serait injuste, contraire au droit non positif mais à un droit supérieur et antérieur à toute loi humaine et au droit naturel. Dans la pratique juridique, on voit bien la part de contingence et d’arbitraire inévitable en ce qui concerne les détails des règlements et des procédures dans la construction et l’application de la loi. Or, de ce point de vue, les victimes d’inceste subissent de plein fouet une absence de prise en compte de leur dimension humaine.
Au procès de Bobigny, en octobre et novembre 1972, avec l’accord des prévenues, Gisèle Halimi choisit de faire le procès de la justice. « J’ai toujours professé que l’avocat politique devait être totalement engagé aux côtés des militants qu’il défend. Partisan sans restriction avec, comme armes, la connaissance du droit « ennemi », le pouvoir de déjouer les pièges de l’accusation, etc. (...) Les règles d’or des procès de principe : s’adresser, par-dessus la tête des magistrats, à l’opinion publique tout entière, au pays. Pour cela, organiser une démonstration de synthèse, dépasser les faits eux-mêmes, faire le procès d’une loi, d’un système, d’une politique. Transformer les débats en tribune publique. Ce que nos adversaires nous reprochent, et on le comprend, car il n’y a rien de tel pour étouffer une cause qu’un bon huis clos expéditif. » (GH)
Et, ces mots de Montesquieu sont encore à méditer : « Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. »
C’est dire que ceux qui ont le pouvoir cherchent toujours à justifier le bien fondé de leurs décisions législatives en faisant appel à la raison et aux exigences d’un droit concret. En ce sens aussi, une charte des droits ne fait qu’expliciter ce que l’on considère comme des droits naturels préexistants. Si « la loi naturelle ou le droit naturel se réduisent à quelques principes généraux » (P. Foulquié), concernant la transgression du tabou de l’inceste il reste un long chemin à parcourir.