C’est la rançon de Pénélope...
Tout le monde connaît le nom de Pénélope, ce personnage de l'Odyssée, symbole de fidélité, elle qui voue à son époux Ulysse une loyauté et un attachement sans faille, elle qui repousse les assauts des prétendants, dans l'épopée primitive...
Certains auteurs ont revisité ce mythe antique : on songe à Giono, qui, dans son roman Naissance de l'Odyssée, se livre à une parodie et transforme les personnages...
Brassens, lui aussi, met en scène cette héroïne, dans une de ses chansons : il s'adresse dans un discours direct à une Pénélope moderne qui pourrait rêver de vivre d'autres amours, et s'évader du quotidien par l'imagination... Il lui parle familièrement, en la tutoyant, ce qui permet d'actualiser le personnage.
Le mythe est, ainsi, détourné, c'est ce qui fait toute l'originalité et la saveur du texte de Brassens.
Le décor et les personnages sont revisités et modernisés : on voit des "rideaux, une robe de mariée sans accrocs, un Ulysse de banlieue"...
On retrouve les caractéristiques du personnage antique, dans une apostrophe : "Toi, l'épouse modèle, Le grillon du foyer", mais avec un supplément d'âme, peut-être une envie de s'épanouir autrement... C'est du moins, ce qu'imagine le poète...
On retrouve une sorte d'épithète homérique dans l'expression : "Toi, l'intraitable Pénélope".
La question oratoire qui suit, avec sa forme interro-négative, suggère des tentations, des désirs inavoués, dans un style tout en nuances, empreint de poésie, grâce au verbe "bercer" et à l'association inattendue des adjectifs : "jolies, interlopes"...
"Ne berces-tu jamais
En tout bien tout honneur
De jolies pensées interlopes
De jolies pensées interlopes..."
On retrouve, aussi, l'image d'une Pénélope traditionnelle puisqu'on la voit "penchée sur ses travaux de toile...", en train d'attendre un "Ulysse de banlieue."
Et le poète la questionne à nouveau, sur la même tonalité poétique et lyrique, avec l'évocation de sentiments nouveaux : "Les soirs de vague à l'âme
Et de mélancolie"....
Cette nouvelle question oratoire fait appel à des images emplies de charmes : le ciel de lit suggère des étoiles, symboles d'évasion, de rêves amoureux, peut-être un septième ciel...
"N'as tu jamais en rêve
Au ciel d'un autre lit
Compté de nouvelles étoiles
Compté de nouvelles étoiles..."
Les questions s'accumulent, avec insistance, évoquant des tentations possibles et suggérant par leur forme interro-négative le fait qu'elles sont inévitables et inhérentes à la fidélité : "L'amourette qui passe, Qui vous prend au cheveux, Qui vous conte des bagatelles"..., d'autant que ces amourettes sont personnifiées, et qu'elles sont dotées de force, comme le suggère le verbe "prendre", et même de paroles : elles permettent, ainsi, de transfigurer la réalité et de voir pousser "la marguerite au jardin potager..."
On retrouve là des symboles traditionnels de l'amour, "la marguerite que l'on effeuille, la pomme défendue aux branches du verger..."
Une autre interrogation évoque même le souhait d'un nouvel amour annoncé par la rencontre d'un dieu, à la fois ange et démon, "qui décoche des flèches malignes".
Brassens suggère à merveille toutes les ambiguités de l'amour : tourment et ravissement se mêlent...
Cet ange tout puissant peut en venir à bouleverser l'ordre des choses : il peut faire basculer les êtres humains, "arracher leurs feuilles de vigne".
Mais, le rêve ne prête pas à conséquences, comme le montre l'expression renouvelée : "Il n'y a vraiment pas là
De quoi fouetter un cœur
Qui bat la campagne et galope..."
Le rêve est permis, c'est "un péché véniel" et c'est la "rançon de Pénélope", le prix à payer, sans doute, de la fidélité : une forme d'insatisfaction et de recours à l'imagination, à des rêveries inabouties.
La mélodie, toute en douceur, lente, monotone est ponctuée de légères envolées vers le rêve...
Dans cette chanson, on retrouve tout l'univers du poète : une culture renouvelée par des expressions familières, de nombreuses allusions mythologiques, un certain humour dans la façon de déconstruire quelque peu le mythe, des images originales...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2016/06/c-est-la-rancon-de-penelope.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9n%C3%A9lope
Vidéo :
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