De la Foire à la Loire
Quand le vice versa-t-il ?
Tenter l'aventure au vingt et unième siècle, à l’ère du numérique, de l'écran vissé à l'œil, du casque sur les oreilles de raconter ou de chanter la Loire, son histoire, sa faune, sa flore, ses mariniers d'antan n'est pas une sinécure. Il faut faire avec la bouche avide des consommateurs de la multitude qui n'ont d'autre objectif que de se remplir le gosier, ce réceptacle qui a définitivement pris la place du cerveau.
Si la foire fait face à la Loire, si elle draine cette foule immense, si elle est prétexte à se retrouver entre amis, à vivre un moment de convivialité, il serait bon cependant que ceci s'accompagne de quelques nourritures spirituelles, d'un effort à profiter de ce moment de liesse pour acquérir quelques connaissances, découvrir ce qui fait prétexte à cet immense rassemblement.
Mais point de tout ça. L'appétence pour l'essentiel se limite à la bière, aux saucisses et aux frites tandis que ceux qui s'arrêtent aux stands qui proposent des informations, des livres, des tableaux, des productions artisanales ne sont qu'une petite minorité. La question se pose alors de trouver le truchement ou la méthode pour amener les convives à se faire, l'espace de brefs instants, des individus gourmands de culture.
Bien sûr, nous avons un auditoire ; dans cette foule, il se trouve toujours des gens qui prêtent leurs oreilles, prennent le temps de se poser pour rompre avec ce flot frénétique d'une masse mouvante qui suit le mouvement collectif. Les autres, emportés par la houle humaine, passent devant nous en ayant juste le réflexe d'attraper leur téléphone pour immortaliser ce qui n'est pour eux qu'un cliché dénué de sens.
Plus surprenants encore sont les adeptes du travelling qui filment tout en suivant ce déplacement compulsif qui les pousse à suivre celui qui les précède en espérant ne pas être doublé par ceux qui sont derrière. Ils gravent un fragment, un instantané dénué de toute signification et qui ira se perdre dans le disque dur et les datas inutiles.
L'œil a perdu sa connexion avec le cerveau. Il ne regarde plus pour comprendre, enregistrer, apprendre, se nourrir par le miracle de la curiosité. Non, désormais, il se contente de repérer ce qui pourra venir encombrer un appareil qui les prive de tout jugement sur ce qu'il regarde. Filmer ou photographier attestera de leur présence sans que jamais ils n'y ajoutent la nécessité impérieuse jusqu'à maintenant dans l'histoire de l'humanité de donner du sens à ce que l'on vit.
Il suffit désormais de capter l'instant pour attester qu'on l’a vécu ou du moins traversé sans pour autant avoir fait réserve d'information. L'image a pris le relais de la compréhension, elle se suffit à elle-même tandis que l'artiste doit se satisfaire pour son ego, d'avoir été la cible de tous ces œilletons sans réflexion.
La nourriture de l'esprit ne remplissant pas son office, la bedaine prend le relais pour faire une petite pause roborative et éventuellement prendre le temps de recharger les accus. La Foire a cependant le mérite de se retrouver, de vivre un moment de partage autour d'une table, d'un verre. Elle pourrait tout aussi bien permettre de prolonger ce plaisir par quelques acquisitions d'une autre nature si cela n'était pas si compliqué.
Où sont nos veillées d'autrefois ? Il y avait alors une harmonieuse répartition entre le plaisir de la table, le bonheur des retrouvailles, le temps de l'échange et le moment du silence pour écouter le conteur ou le voyageur. Écouter autre chose que du bruit passe parfois pour un exercice impossible. Le silence qu'impose cette pratique ferait prendre le risque totalement prohibé dans notre société consumérisme de la réflexion. Circulez, il ne faut surtout rien comprendre.
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