Le mur du son
Il y avait de quoi leur faire une scène.
Il y a des comportements qui provoquent tout d'abord l'interrogation, poussent ensuite à l'exaspération avant de sombrer dans une colère noire et sourde si je puis me permettre cet adjectif en la circonstance présente. Ce serait d'ailleurs aller bien vite en besogne que de prétendre que ceux qui méritent ici de tenir le haut du billet aiment à se faire tirer l'oreille. De ce côté-là, ils aiment à franchir allègrement le mur du son.
Je manque ici à mes devoirs de clarifier une situation que mon propos liminaire rend particulièrement obscur. Il est vrai que j'ai eu maille à partir avec de sombres idiots ce qui justifie amplement de tourner autour du pot sans me montrer explicite. Déjà que nous avons failli en venir aux mains, porter haut et fort leurs façons de se comporter quand ils font spectacle va encore les mettre en pleine lumière sous une avalanche de décibels.
Lors d'un festival en bord de Loire, une scène avait été dressée pour recevoir durant la journée les petits artistes locaux ou régionaux qui se contentent modestement de raconter ou de chanter leur chère rivière avant qu'un groupe locomotive ne vienne satisfaire les attentes du plus grand nombre, un public résolument dans le vent, candidat à une surdité précoce.
Les étoiles bruyantes de la scène tonitruante dont je me ferai un devoir de ne pas évoquer le nom afin de ne pas servir une fois encore leur incommensurable ego, s'accaparèrent la scène en dépit du programme initial afin prétendaient-ils de soigner une balance qui se transforma bien vite en répétition bien avant l'heure de leur passage.
Non seulement ils n'entendaient rien aux plaintes des exclus de la place mais qui plus est ne permettaient à personne qu'on leur adresse la parole. C'est sans nul doute pour ne pas entendre nos plaintes qu'ils poussèrent la sono à fond au point que sur la fête, il était devenu impossible de se parler. Il fallait de manière spectaculaire que chacun sache dans le pays que ce groupe, jadis issu de la région, revenait auréolé d'une notoriété internationale.
Leur carte de visite devait ainsi clouer le bec à ces misérables artistes régionaux qui avaient l'outrecuidance de vouloir se faire entendre loin d'une scène qui avait été prise en otage par ces grossiers collègues. Quoiqu'ils se soient éloignés de la forteresse sonorisée, les malheureux n'avaient aucune chance de se faire entendre pas plus du reste que les spectateurs d'éviter les acouphènes.
Le son poussé à fond par un ingénieur du son issu du groupe, imbu de son immodeste personne et incapable de jouer de la nuance pour une balance qui prenait l'allure d'une tentative de briser les tympans du plus grand nombre. Le furieux, poussant les manettes toujours plus haut n'acceptant pas la moindre remarque qui du reste aurait dû lui être hurlé aux oreilles.
J'ai tenté en toute subjectivité de décrire une situation qui a laissé sans voix bien des bénévoles qui se trouvaient confrontés à ce qui se fait de pire dans le monde du spectacle et à bien des acteurs de cette fête, pris en otage par les décibels et le total manque de respect d'une troupe qui ajouta à ce comportement totalement honteux, une succession d'exigences matérielles témoignant de leur incomparable mégalomanie et de l'hypertrophie conjuguée de la tête et des chevilles.
Leur spectacle achevé, leur fièvre de reconnaissance retombée, satisfaits d'avoir ainsi empêché d'autres de faire des représentations certes bien plus modestes, ceux qui jusqu'alors ne méritaient que des baffles réalisèrent qu'ils avaient quelque peu dépassé les bornes de la bienséance, de l'éducation et de la politesse. C'était bien trop tard pour échapper à mon courroux et à un billet - dont chacun interprétera le titre selon sa sensibilité - qui se terminera comme il se doit dans pareil cas, par une formule évasive certes, mais particulièrement éloquente :
« À bons entendeurs, salut ! »
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