Le vernissage
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À vos marques, prêts, partez !
Voilà bien une rude épreuve que de participer à un vernissage. J’avoue ne pas m’y sentir à l’aise, entouré de gens qui sont venus en tenue de soirée pour s’exhiber tout autant, et sinon plus, qu’admirer les toiles et les œuvres exposées. Il est vrai que le monde qui se presse à l’heure affichée sur le carton d’invitation, ce précieux et indispensable Sésame, empêche de bien les examiner. D’ailleurs, ce n’est pas trop la préoccupation de l’assemblée. L’art n’est ici prétexte que pour se montrer, surtout quand on a un mandat électif !
On se croise, on se salue, on se congratule. On s’enquiert de ce que devient un tel, de ce que fait tel autre. On discute, on converse, on déblatère de tout et de rien en prenant bien garde de glisser, ici ou là, une ou deux remarques sur un artiste découvert dans les salles de cette galerie. Ce n’est qu’une question d’habitude : prendre deux ou trois données biographiques et les sortir au moment opportun. Dans un vernissage, il est prépondérant de briller ; c’est même là, la spécificité étymologique de la chose !
Il convient de respecter quelques données essentielles avant de vous lancer à votre tour dans l’art délicat du vernissage efficace. La première est de ne surtout pas arriver en avance. Vous seriez contraint de flâner dans les salles désertes et, plus redoutable encore, de répondre aux sollicitations d’un artiste en mal de reconnaissance. Grand serait votre malaise si ses œuvres étaient de nature à vous déplaire sublimement ; il vous faudrait quand même passer un peu de brosse à reluire.
Vous trouveriez également le temps fort long car jamais, ô grand jamais, dans ce genre de circonstances, on ne respecte l’horaire indiqué. Si l’exactitude est la politesse des rois, elle n’a sans doute rien à voir avec la ponctualité des mondains et des demi-mondaines, des génies du pinceau ou de la gouge, des prodiges de la performance. Sachez différer votre arrivée, vous n’en serez que plus respecté.
Ensuite, il vous appartient de repérer les lieux stratégiques : ceux-là même qui seront pris d’assaut lorsque les fauves et les ogres seront lâchés. Pour cela, il faut savoir qu’une table munie d’une nappe blanche sur laquelle sont posés des verres à pied constitue un point de repère d'une rare pertinence. L’art consistant à ne pas faire le pied de grue devant la chose alors que les petits fours n’ont pas encore été présentés. Vous auriez l’air d’être un pique-assiette ; ce que vous êtes effectivement, mais sans l’afficher ouvertement.
Apprenez à naviguer dans ce flot d’individus endimanchés, à relative proximité de ce havre de paix. Ni trop proche, ni trop loin. Vous en éloigner trop serait d’ailleurs une erreur funeste car, au moment fatidique, les charognards plongent avec une telle voracité, que vous arriveriez trop tard. Dans pareil cas, les bulles sont de très loin les plus volatiles : étrange phénomène physique qui ne cesse d’interroger les buveurs de jus d’orange !
Il faut cependant attendre les discours. C’est souvent long et fastidieux. C’est encore à vous de trouver emplacement à l’abri du haut-parleur et collègues agréables avec lesquels discuter pendant ce pensum inutile. Que les propos des artistes vous laissent sur votre faim, passe encore, mais ne perdez pas de vue le buffet pour autant. L’heure de l'hallali est proche, il vous faudra bientôt jouer des coudes et écraser quelques arpions.
Quand le feu verre est donné, oubliez tout le reste : amis, œuvres, discours. Foncez, il n’y en aura pas pour tout le monde. Si par inadvertance, les organisateurs avaient oublié de donner la parole à un conteur, feignez de ne rien entendre. La bouche pleine, vous aurez des excuses : la mastication obture le conduit auditif. Goinfrez-vous d’autant plus volontiers, que ce supplément au programme aura ralenti la progression vers le buffet de personnes plus scrupuleuses que vous. C’est une véritable aubaine !
Parlez fort. C’est ce qui se fait de plus convenable dans pareil cas. Le brouhaha des ogres dont vous faites partie couvrira les vaines tentatives du raconteur d’histoires. Il va devoir s’y reprendre à plusieurs fois, cherchant désespérément quelques oreilles attentives. Cela vous laisse tout loisir de faire razzia sur le buffet. Ne vous gênez surtout pas ; vous êtes venu pour ça !
Le pauvre bougre achèvera son numéro sans voix, à force de s’être égosillé pour couvrir le vacarme de la fosse aux lions. L’épreuve le laisse sans force, la gorge en feu. Quand il arrivera à son tour à la table sainte, il ne trouvera que cadavres et assiettes vides. Vous avez fait table rase et avez filé à l’anglaise. Il se jurera de ne jamais recommencer pareille sottise !
Je dédie ce texte ironique, mais ô combien réaliste, aux malotrus distingués, gens de grande réputation qui ont agi ainsi comme des gougnafiers lors de ce vernissage et qui font de même en d’autres occasions. Vos titres et vos fonctions, vos positions sociales ou vos tenues de pingouins ne vous dispensent pas d’un peu d’éducation. Moi qui n’en ai aucune, je me permets ici de vous botter les fesses : c’est bien là tout ce que vous méritez ! Quant aux organisateurs, cessez de penser à moi pour servir d’olive noire sur le canapé ! Merci ...
Craquelurement leur.
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