Randonneur
En rang d'oignons…
Une file indienne qui, ça de va de soi, suit consciencieusement des flèches et des signaux, avance sur des chemins escarpés. Les rangs d'honneur sont là, ceux qui arpentent nos sentiers à la recherche d'une communion avec une nature enfin préservée des furieux qui ne cessent de la souiller. Ce serait là, symbiose parfaite si de nouveaux venus, perchés sur des bicyclettes nucléaires, traçaient la piste tels des éclaireurs de l'apocalypse.
Ce rang donné sait qu’il ne fait qu'emprunter l'endroit, qu'il lui appartient de le restituer dans l'état sans creuser des ornières ni laisser les traces odieuses du passage de consuméristes négligents, abandonnant à plaisir les reliefs de leur nécessaire alimentation sportive en emballages qui se sèment à tout vent...
Le randonneur, de leçon n'a pas besoin. Il communie avec le théâtre de ses admirations. Il prend le temps de flâner, de baguenauder parfois, sans se soucier de la vitesse et des rendez-vous. Point de compteur sur lui pour lui indiquer en permanence sa performance, parfois un conteur pour prendre le temps de marcher sur les pas de nos traditions anciennes.
Il faut bien concéder une entorse à la modernité, ils disposent de téléphones qui les suivent à la trace, leur servant de cartes, de boussole et de balise de sécurité. Trait détestable d'une époque où même celui qui va à pied a recours au service d'un satellite perdu dans l'espace. Les étoiles ne suffisent plus à la tâche, hélas pour trouver sa voie.
Fort heureusement il demeure l'errant d'honneur, celui qui se fie à l'air du temps, à sa seule bonne étoile ou à son désir d'aller vers les autres. Celui-ci ne dispose pas nécessairement de l'équipement estampillé par les grands magasins sportifs, ceux qui imposent des standards onéreux pour mettre un pied devant l'autre.
Lui se passe de toute la panoplie qui place même le randonneur dans la vaste cohorte des consommateurs compulsifs. La simplicité de l'activité devrait se complaire dans la modestie de l'équipement. La vêture en la matière synthétique et technique fait des prouesses que le pauvre errant ne peut s'offrir.
Reste à laisser un pauvre hère en donnant peu de cas de sa misère. Qu'il marche au diable, lui le vagabond, le chemineux, le clochard puisque prendre son pied désormais n'a de sens qu'en dehors d'une locomotion qui ne cherche plus à aller d'un point à un autre mais se contente du seul point G comme unique but à atteindre. L'hédonisme passe par là…
Le randonneur doit rentrer dans le rang, se faire tout petit et accepter de se faire marcher sur les pieds sur des chemins désormais partagés par d'autres utilisateurs usant à plaisir de mobilités dites douces et toutes fort habilement motorisées et implicitement prioritaires. Puis, rien n'est pire pour lui que de se retrouver au cœur de la cité, là où l'espace jadis dédié à ses déplacements et qu'on nomme encore trottoir, se trouve désormais sous la coupe des hordes électromotrices.
Le trottoir qui doit sa construction au francique « Trotton » qui signifiait tout simplement « marcher » ce qui aurait dû devenir un marchoir au lieu d'être en passe de devenir un rouloir. Le trottoir fut jadis le lieu où se montrer, se mettre sur le devant de la scène villageoise. Depuis peu, ce promontoire suppose une élévation supplémentaire, une selle pour retrouver la domination des cavaliers sur les gueux allant à pied.
Le marcheur ne sait plus où donner de la semelle, sans même s'aventurer à battre le pavé qui lui aussi a disparu de la circulation. Il tente vainement de se retrouver en petits troupeaux archaïques pour continuer d'aller de l'avant en dépit de la dimension totalement obsolète de ce mode de déplacement. Je tenais à me dresser ici sur la pointe des pieds pour lui rendre hommage tant qu'il est encore permis d'avancer dans cette société au pas de l'humain sur ses membres inférieurs.
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