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Accueil du site > Culture & Loisirs > "Shutter Island : une parabole du Cinéma

"Shutter Island : une parabole du Cinéma

Lorsque Walpole chercha ce que voulait dire « Shutter » dans le titre « Shutter Island  » de Martin Scorsese, il fut surpris de sa traduction : « volets ». Il remarqua aussi que le film était une sorte de voyage kafkaïen et que, lors d’une séquence, l’un des personnages faisait même référence à l’écrivain pragois. Walpole se souvint alors avoir lu un petit dialogue entre Gustav Janouch et Franz Kafka sur le mot « volets ». Gustav Janouch parlait cinoche avec Franz et lui rappelait un proverbe tchèque : « L’œil est la fenêtre de l’âme ». A quoi, l’homme de Prague rajouta énigmatiquement : « Oui, et les films sont des volets de fer ».

« Shutter Island » : un film à volets. Une île comme un volet de fer.

Un matin de 1954, le Marshal Teddy Daniels et son nouveau coéquipier, Chuck Aule, débarquent sur Shutter Island, une île au large de Boston. Là, un ancien fort de la guerre de Sécession a été reconverti en hôpital psychiatrique pour criminels particulièrement dangereux. Les deux policiers doivent retrouver une patiente, internée après avoir noyé ses trois enfants. Elle a mystérieusement disparu. Les deux enquêteurs fédéraux vont devoir affronter la méfiance des médecins, la violence d’un ouragan qui submerge l’île et ils vont devoir – particulièrement pour Léonardo Di Caprio – faire face à leurs propres démons.

Il eut l’île au Trésor, l’île du Docteur Moreau, l’Île nue de Kaneto Shindô, espaces privilégiés pour construire une intrigue accrocheuse. « Shutter Island » s’ouvre magnifiquement sur un bateau de ligne émergeant dans le blanc de l’écran et dans la blancheur de la brume. Cette île est comme le Prague de Kafka, immense, petite, omniprésente, endroit d’où l’on cherche à partir, à s’évader. Scorsese aurait pu écrire à l’instar de Kafka : « Cette île [Prague] ne nous lâchera pascette petite mère a des griffes » ou encore : « Dans ce petit cercle est enfermée toute ma vie », « Les recoins obscurs continuent de vivre en nous ».

Du coup, cette île n’est pas un bout de terre singulier, un espace hors-temps mais elle est le Monde tout entier. Rien de ce qui est humain (ou inhumain) n’y est absent. Tout de l’Histoire humaine s’y concentre : la Vérité, les Mensonges, les Camps d’extermination (Di Caprio, ex-soldat US, se souvient à plusieurs reprises de son expérience de tuer les responsables allemands du Camp de Dachau), le Réel, la Fiction et l’arête Bien/Mal sur laquelle s’échine l’acteur (et le spectateur).

On pourrait se laisser aller à l’intrigue, aux multiples rebondissements, aux flashbacks ( il y en a beaucoup. Trop ?), aux coups de théâtre. On pourrait rester à cette Question finale du film, au dilemme du héros, prêt à se faire lobotomiser ou énucléer : « Que vaut-il mieux ? Vivre en monstre ou mourir en Homme de bien ? »

On peut aussi émettre l’hypothèse que cette « Shutter Island  » aux volets de fer, cette île d’où Leonardo Di Caprio ne ressort pas car il découvre que c’est le Monde (un mélange inextricable de fictions et de vérités) est pour Martin Scorcese… le Monde du Cinéma.

On y décèle nombre de séquences qui rappellent les films hitchcockiens (l’intrigue se passe dans les années 50-60, années terribles de la Guerre froide, quasi-atomique), séquences filmées en successions de plans qui rappellent les premiers trucages scéniques (au fond, les falaises, la tempête ; au premier plan bien découpé : le héros dans tous ses états). Les Oiseaux d’Alfred sont ici remplacés par les rats. L’arrivée du bateau (en noir sur fond blanc), le phare, les flics très hitchcockiens, les vues sur la mer, le Fort mystérieux (aussi mystérieux que le Château de Kafka) évoquent les films de jeunesse noire de Scorcese, dévoreur de pellicule et historiographe du Cinéma.

Cette île, c’est le Cinéma avec ses caciques, ses volets de fer, ses contraintes d’airain, ses contraintes policières d’Hollywood, puissance maléfice de ceux qui le gouvernent. C’est aussi le Cinéma dans sa Signifiance, dans son Intertextualité ( le film rappelle « Shock Corridor » de Samuel Fuller et le « Vol au dessus d’un nid de Coucou » dans leur logique infernale et similaire : qu’est-ce qui est vrai ? faux ? de la fiction ? du Réel ? Où est ce qui est vrai ? ce qui est faux ?) Le Cinéma permet de faire plonger un personnage dans une trame, de le mettre en scène pour qu’il croise et affronte cette Épreuve humaine par excellence : qu’est-ce – singulièrement, universellement – le Bien et le Mal ? Et non moins important : «  Où se mettre ? Où se pencher ? »

A la fenêtre de l’Âme pour l’ouvrir ? Derrière les volets de fer pour les fermer ?

A vous évidemment de voir et d’aller (au cinéma)… y voir.

Walpole ( http://www.pensezbibi.com)


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7 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 2 mars 2010 12:59

    J’ai adoré l’ambiance vraiment glaçante du film ! un Di Capprio excellent dans ce rôle pas facile !


    • vivien françoise 2 mars 2010 14:04

      Bonjour LE CHAT,
      le film fini comment ? l’histoire est-elle cohérente du début à la fin ? ce que je reproche à certains films c’est une excellente histoire mais une fin nulle à pleurer. J’aime ce genre de films mais à condition qu’ils me donnent aussi à réfléchir ;
      VF


      • LE CHAT LE CHAT 2 mars 2010 14:22

        et bien , toute l’enquête au sujet de la disparition n’était que du pur délire dans la tête de ce pauvre type , enfermé sur l’île prison depuis deux ans avoir assassiné sa femme elle même aliénée qui avait tué leurs 3 enfants , ce qui en plus de la libération du camp de Dachau explique le traumatisme et la folie en résultant .

        Les apparences sont parfois trompeuses , c’est cela en vérité que l’on entrevoit dans ce scénario ! c’est aussi ce qui m’a fait aimer le film , certains reprochent aux cinéastes de faire des films à intrigues trop prévisibles , là on ne s’ennuie pas !


      • vivien françoise 2 mars 2010 14:35

        Je vous remercie. J’avais déjà vu ce genre d’intrigues dans un film à la télévision et j’avoue que j’ai aimé ;
        J’espère que le fait d’avoir dévoilé la fin ne gênera pas d’autres cinéphiles. Mon plus gros défaut que j’ai du mal à corriger, c’est de regarder la fin du livre pour savoir si les héros du début se retrouvent à la fin.
         VF


        • jakback jakback 2 mars 2010 23:36

          L’adaptation du livre eponyme de Denis Lehane, me parait impossible. J’ai trop souvent constater que d’excellents livres, devenaient de mauvais film


          • FilmStream4 FilmStream4 11 octobre 2014 23:45

            Tres bon film comme quasi tout les film de leonardo ! ;)

            J suis d’accord ,il y a trop de flash back ! 
            Il en faudrait un peut moins mais bien placés ! 

            • bob de lyon 24 janvier 2017 17:01

              Excellente critique d’un excellent film.

              Petite remarque insignifiante : je lis ici où là, trop ou pas assez de flash-back ! Pour en juger il faudrait que je le revois ; mais à ma première vision, j’avais l’impression qu’ils arrivaient comme des murs de verre de labyrinthe qui obligeaient le personnage à changer d’itinéraire ce qui déstabilisaient le spectateur… à revoir donc !

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