Un bel héritage
La viole de l'arrière-grand-mère.
Aline était née en 1890 dans les Hautes Alpes. Elle a grandi dans une petite ferme qui permettait tout juste de joindre les deux bouts. Elle avait pourtant cette gaieté ancrée en elle qui permet de surmonter toutes les difficultés tout en se donnant les moyens de profiter de cette joie qu'elle transmettait autour d'elle pour améliorer les existences de ses proches.
Elle était de ces gens qui apportent autour d'eux un rayon de soleil, quelles que soient les circonstances, une bouffée de joie de vivre qui les place au-dessus du commun des mortels. C'est un don merveilleux que la charmante Aline cultiva toute son existence pour le plus grand bonheur de ses enfants, ses petits-enfants et tous ceux qui croisèrent sa route.
Ceci elle le dut en grande partie à celui qui allait partager sa vie : Marius, un paysan lui aussi, né dans le même village, dans une ferme qui était dans le petit bourg de Ventavon ( Hautes - Alpes) entre Sisteron et Gap, près de Laragne. Quand ils unirent leurs vies, ils trouvèrent normal de s'installer chez Marius d'autant qu'Aline avait dans l'idée d'ouvrir un café.
La pratique était à l'époque courante. Le coiffeur avait son bar tout comme l'épicier ou bien le droguiste. Un quatrième café dans ce petit village se devait de marquer sa différence pour attirer les clients, ne s'appuyant pas sur un second commerce comme les concurrents. Mais il y avait Aline, sa bonne humeur, son sourire et ses yeux pétillants de malice.
Il fallut cependant un ingrédient supplémentaire, une acquisition que le couple alla faire à Marseille en 1920. Ils équipèrent leur estaminet d'une viole : un piano mécanique de fabrication française ça va de soi. Ce fut un succès immédiat puisque de ce jour, on venait danser dans le troquet de la belle.
Pour les plus jeunes, il faut rappeler que la radio n'existait pas pas plus que le juke-box et autres chaînes Hifi. Pour danser, il fallait des musiciens qui ne venaient que dans de rares occasions. Avec la musique mécanique de la viole, la musique survenait à la commande, un miracle qui fit le succès de la maison et l'enchantement de tout un village.
Du jour de cette acquisition, le café devint le passage obligé pour qui voulait danser et qui sait, trouver l'âme sœur. Les occasions n'étaient pas si fréquentes alors que de se distraire après cette grande guerre qui avait exercé une odieuse ponction sur la gent masculine. La viole scella bien des unions tout en laissant un profond souvenir chez ceux qui la connurent.
C'est ainsi que lorsque Aline quitta ce monde en 1974 la viole échoit chez son arrière-petite-fille, un héritage chargé d'affects pour beaucoup de personnes de ce petit coin des Hautes-Alpes qui s'offraient une plongée dans leur jeunesse en passant voir l'héritière pour lui demander d'entendre le piano mécanique.
L'arrière-petite-fille d'Aline se faisait un devoir de leur offrir ce plaisir d'autant que l'instrument ne cessa jamais de fonctionner. Elle pouvait alors voir les yeux s'embrumer ou même laisser couler quelques larmes. Puis le temps effectuant son inexorable marche, les témoins du café vinrent tous à manquer tandis que la viole demeure.
Quand la viole fonctionne à nouveau, c’est tout un cortège de défunts qui vient se mêler au son aigrelet du vieil instrument. Pour l'héritière, cela demeure un moment d'une rare émotion qui fait revivre non pas que sa seule arrière-grand-mère mais toute une époque qui se glisse dans les notes mécaniques.
Ce témoignage m'est parvenu par la magie des commentaires à propos d'un texte qui n'avait rien à voir. J'ai demandé la permission de l'exploiter pour vous ouvrir ce petit fragment de vie en pensant à des amis de Menetou-Salon qui espèrent bien ouvrir un musée de la musique mécanique. Puissent-ils réussir dans cette belle entreprise.
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