Un petit Air de rien…
Les chants de ma Mémoire.
Il est un élément de notre passé qui se dérobe en dernier quand tout part et s'évapore dans la perte de mémoire. Il demeure solidement enregistré, marquant le temps d'un souvenir enchanté, empreint de nostalgie et de quelques souvenirs intimes. Il suffit de quelques notes de musique pour que ressurgisse des abysses, ce petit moment d'éternité…
La chanson Française a accompagné mon chemin, elle l’a jalonné de milliers de refrains qui sont autant de bornes, d'indicateurs du bonheur ou de marqueurs des heurts de l'existence. Il en est même qui se sont installées avec tous les couplets, elles peuplent mon imaginaire, ma nostalgie, ma vision du Monde, elle m'a totalement plongé dans l'amour fou d'une langue et de ses expressions poétiques...
Quand j'ai une histoire de vie à raconter, des chansons s'imposent comme autant d'évidences. Elles font danser les yeux, les conduisent immanquablement vers ces temps de jeunesse où elles furent écoutées pour la première fois. Des phares immenses seront à jamais mes guides sublimes, Brassens, Brel, Vian, Aznavour, Trenet, Ferré, Perret, Lapointe, Dassin… et combien d'autres encore, parfois pour une seule chanson, merveille fugace qui sera mienne jusqu'à mon dernier souffle de vie.
Ce sont ces auteurs que l'on dit mineurs qui m'ont initié au culte des mots, à la gourmandise d'une expression, à la justesse d'un refrain capable de symboliser toute une situation. Combien de fois, admiratif, jaloux, j'ai prononcé cette phrase stupide mais oh combien sincère « : « On peut mourir quand on a écrit un joyau pareil ! ». Car la chanson est une extraordinaire alchimie magnifique et magique, simple et si complexe. Elle est la fusion de paroles ordinaires, d'une petite histoire qui se déroule comme un film, un roman ou un conte flanqué d'une mélodie qui la sublime pour lui donner son habit d'éternité.
Cela semble si facile et simple alors que parvenir à ce degré de perfection est d'une complexité rare pour cette efficacité magique tout en imprégnant durablement la mémoire. J'ai rencontré en maintes occasions des personnes frappées par cette abominable maladie qui vous prive de votre propre passé, de la mémoire de pans entiers d'une vie pour qui, un petit air de musique, permet un bref moment de retrouver la joie de vivre et des souvenirs que l'on pensait disparus.
La chanson a ce privilège rare de fédérer longtemps après, ceux qui l'ont partagée alors. La fortune, la culture, la santé ne sont plus ces frontières infranchissables : quelques paroles simples deviennent cures de jouvence et réconciliation sublime, le plus souvent par le truchement du simple refrain qui dépasse toutes les frontières temporelles.
J'ai également constaté que la chanson semble être en capacité de mettre à mal l'illettrisme quand ses paroles défilent sur un écran. Emporté par le double effet de la mélodie et des souvenirs anciens, les paroles jaillissent aisément, sans faute de lecture. Jamais je n'ai vu un enfant ne pas savoir lire les paroles d'un air qui accompagne sa lecture. J'ai souvent usé de ce support pour travailler en classe, pour ouvrir les esprits, aborder des thèmes délicats, emmener les élèves loin de leurs difficultés supposées.
J'ai pensé que les karaokés allaient redonner la joie qui manque à ce pays. Je suis si attristé d'entendre dans nos tribunes sportives cette Marseillaise guerrière qui monte des travées pour exprimer la joie d'un peuple vainqueur, incapable de disposer d'autres rengaines communes. Ailleurs, les nations ont des chants traditionnels que tous connaissent encore et entonnent en chœur.
Hélas, les karaokés deviennent souvent l'occasion de briller en société, d'établir un jeu de dupe, une micro-société de spécialistes qui se gaussent des petits dérapages des maladroits. Notre Monde ne supporte pas les erreurs, les fausses notes, les imperfections. Il convient d'être parfait pour obtenir le droit de chanter en public sans être moqué. Il est alors recommandé d'être jeune, jolie, mince et bien habillée, riche ou célèbre dans son quartier pour ne pas subir la malveillance d'un animateur à ses manettes, capable de ridiculiser encore plus le pauvre candidat qui n'a pas la voix ni la tête de l'emploi.
Nous ne disposons plus de ce répertoire collectif qui fut jadis partagé par l'école communale par le biais d'une radio scolaire qui avait l'ambition de former le futur citoyen. Cette carence, cette fragmentation du répertoire, cette liberté de ne pas apprendre les mêmes chansons dans tout le pays, interdit de faire société. Rassurez-vous, ce ridicule point de détail n'afflige guère les ministres successifs de l'éducation nationale qui eux, ne font que passer sans laisser de trace.
Alors, en France on ne chante plus en public ou seulement cet hymne si réducteur racoleur et détestable quand on s'attache à ses paroles belliqueuses. Même au Rugby, je déplore le recul de cette belle tradition ovale du chant repris à tue-tête, à l'exception de quelques stades qui se font encore une gloire de reprendre des chansons qui deviennent leur signature et font leur fierté.
Pourtant, vous n'avez qu'à organiser une soirée avec le support des textes pour soutenir les hésitations et une guitare pour donner le « la » ou toute autre note utile à la fête et le miracle se reproduira tandis que les yeux brilleront d'une flamme jubilatoire. Chanter fédère les gens, les engage dans une communion collective et la langue française, tant qu'elle restera notre héritage en partage assurera ce lien formidable. Ne vous y trompez pas, la volonté d'associer bien des célébrations avec des chansons en anglais n'est pas innocente et contribue à la fragmentation du tissu social.
Mais revenons à nos canards ! Tout a commencé, pour moi, avec Henry Salvador et Ce lion qui se mourait sur les ondes 'crachotantes' d'une TSF d'alors. Je me revois, emporté par les paroles, rêvant d'un ailleurs que je ne connaissais pas. Nous n'avions ni télévision ni voiture et pourtant qu'est-ce que j'ai pu voyager loin avec cette modeste chanson qui beaucoup plus tard, fut reprise. Je ne puis vous décrire l'émotion et le bonheur de la retrouver aussi vivace qu'en ma toute petite enfance, me retrouvant plongé au plus profond de mes souvenirs avec ce petit air de rien.
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