Il y a maintenant exactement 600 ans, le 15 juillet 1410 s’est tenu au lieu dit Tannenberg situé dans la partie Nord est de la Pologne autrefois dénommée Prusse Orientale une bataille voyant l’affrontement d’effectifs gigantesques pour l’époque et dont l’issue allait avoir des conséquences considérables pour les siècles à venir.
Le nom de Tannenberg résonne assez peu à des oreilles françaises, il en va tout autrement pour des oreilles allemandes, polonaises ou lituaniennes, pour ces peuples d’Europe de l’Est le déroulement de cette bataille fut bien plus capital que pour nous Crécy ou Azincourt, une sorte de conflagration devant marquer à jamais l’histoire !
A noter que Tannenberg est le terme le plus souvent retenu en français et en allemand, en polonais on emploie généralement l’appellation de Grunwald et les Lituaniens utilisent le terme de Zalgiris (traduction de Grunwald).
1) un conflit vieux de plus de 2 siècles
L’histoire de l’ordre des Chevaliers Teutoniques se confond avec celle de la Prusse et pour une grande part avec celle de l’expansion germanique dans l’actuelle Pologne et les états Baltes, elle est à l’origine une conséquence indirecte des Croisades, en effet lorsqu’il semblait de plus en plus évident que les Croisés n’avaient plus d’avenir en Terre Sainte, de nombreux Ordres à la fois militaires et religieux dont le fameux Ordre des Chevaliers Teutoniques (fondé en 1198) se trouvèrent en quelque sorte comme « mis au chômage » et en quête d’une nouvelle mandature. Une occasion allait justement leur être fournie par le duc polonais Conrad de Mazovie qui invita l’ordre des Chevaliers en 1226 à venir lui prêter main forte contre les incursions des « Prussiens » peuple balte encore païen à l’époque qui effectuait de fréquentes razzias sur son duché chrétien. Cette date marque le début de l’implantation des Chevaliers Teutoniques dans les terres baltes, ceux ci du fait de leur supériorité militaire viendront assez rapidement à bout des « Prussiens » ou Baltes de l’ouest, lesquels curieusement donneront ensuite leur nom aux futurs colons allemands de la région.
Puis dans un mouvement naturel d’expansion, les mêmes Chevaliers pensaient naturellement assujettir les Baltes de l’est ou Lituaniens, pris en tenaille avec les Chevaliers Porte-Glaive partant de Riga, or le destin allait en décider autrement ;
En 1236 les Chevaliers Porte-Glaive (de Riga) sont gravement battus à Saulé (nord de la Lituanie) par les troupes lituaniennes coalisées ce qui oblige les tenants de cet ordre très affaibli à fusionner un an plus tard avec les Chevaliers Teutoniques pour ne pas disparaître, en 1260 nouvelle défaite des Chevaliers Teutoniques cette fois contre toujours les mêmes Lituaniens coalisés à Durbé dans la province de Courlande (sud ouest Lettonie), il s’agit de combats n’opposant guère plus que quelques milliers d’hommes mais où les Lituaniens démontrent une bravoure et un sens tactique mettant en échec ces guerriers endurcis que sont les Chevaliers Teutoniques, ainsi jusqu’en 1410, en dépit d’incessants raids les forces teutoniques ne parviendront jamais à bout des irréductibles seigneurs de guerre lituaniens, pourquoi cet échec constant face aux Lituaniens après cette victoire totale face aux Prussiens ?
D’abord les Lituaniens n’avaient pas subi le 1er choc germanique et avaient eu le temps de s’instruire grâce au désastre subi par leurs voisins, ensuite le XIIIème siècle voit l’effondrement de la Russie (chute de Kiev en 1240) sous le coup des hordes tartares ce qui a ouvert un immense noman’s land politique (en gros la Biélorussie et le nord de l’Ukraine) aux appétits des guerriers lituaniens, ceux-ci sauront en profiter comme une sorte d’Hinterland naturel, réservoir humain et abri stratégique face aux assauts des Chevaliers Teutoniques qui n’oseront pas aller se risquer aussi loin, cantonnés dans leurs forteresses de Königsberg ou de Marienburg, ils réussiront toutefois à s’emparer de la Samogitie, région balte correspondant en gros au tiers ouest de l’actuelle Lituanie mais qui n’était qu’une très faible portion de l’ensemble des territoires désormais contrôlés par les princes Lituaniens, en effet le Grand-duché de Lituanie (à ne surtout pas confondre avec la Lituanie actuelle) est désormais une zone immense que les Chevaliers Teutoniques seraient bien en peine d’espérer soumettre.
Le XIVème siècle voit le renforcement de ces différentes puissances, expansion à l’est et au sud du Grand-duché de Lituanie, affermissement de l’autorité des Chevaliers Teutoniques dans les territoires qu’ils contrôlent, enfin en 1386 un événement majeur allait sceller le destin de plusieurs nations : le grand duc de Lituanie Ladislas II Jagellon épouse Hedwige d’Anjou reine de Pologne en se convertissant au catholicisme et devint du même coup roi de Pologne, bouleversement géopolitique essentiel après lequel l’Ordre Teutonique allait se retrouver sur la défensive face à la pression slave et balte environnante, en plus les Chevaliers Teutoniques ne pouvaient plus se targuer du prétexte de la croisade, les élites lituaniennes s’étant à la suite de leur suzerain converti au catholicisme (à souligner ce fait tout à fait remarquable que jusqu’à la fin du XIVème siècle les Lituaniens étaient parmi les Européens le seul peuple encore païen !).
2) une bataille d’une dimension colossale
Il faut rappeler les circonstances qui présidèrent au déclenchement de la Bataille, depuis un demi-siècle la Samogitie, coincée entre Königsberg et Riga, était sous dénomination Teutonique, en 1409 les Samogitiens (très proches des Lituaniens de l’est) se révoltèrent contre les Chevaliers de l’Ordre, en dépit de traités d’alliance l’actuel roi de Pologne Ladislas II d’origine lituanienne ainsi que son cousin Vytautas actuel Grand duc de Lituanie (cette « répartition » de suzeraineté avait fait l’objet d’un accord entre eux qq. années plus tôt) ne purent que se manifester solidaires des insurgés de la province en révolte.
S’ensuit une période de flottement de plusieurs mois où chaque partie bat le rappel dans son camp, à ce niveau les Polono-Lituaniens basés sur un immense territoire ont un avantage, les Chevaliers Teutoniques sont obligés d’en appeler à « l’ouest » s’ils souhaitent des renforts, au printemps les armées se constituent, le 2 juillet les Polonais et les Lituaniens font leur jonction et commencent à avancer en territoire ennemi en vue de la prise de Marienburg (Malbork en polonais), l’armée teutonique se sert de la rivière Drewencz pour leur barrer la route, les armées coalisées remontent alors son cours qu’ils franchissent près du lieu dénommé Tannenberg où le Grand maître de l’Ordre Ulrich von Jungigen a concentré ses troupes, nous sommes le 15 juillet 1410 en territoire teutonique !
Il s’agit pour l’époque d’une bataille d’une dimension colossale, selon les auteurs ou les sources, les chiffres des effectifs de chaque côté varient considérablement, de quelques 25 000 hommes jusqu’à plus de 100 000 hommes, quoiqu’il en soit chaque partie au conflit avait « mis le paquet », conscient que l’affrontement en question allait être la Bataille, ce qui est certain c’est que les effectifs coalisés des Polono-Lituaniens étaient nettement supérieurs en nombre à ceux des Chevaliers Teutoniques, de 1,5 à 2 fois supérieur, bizarrement on retrouvera ce même rapport au XXème siècle où lors de la contre offensive de Joukov contre les divisions de von Manstein, quelque chose comme 1,5 Russe sera nécessaire pour vaincre 1 Allemand (mieux instruit et mieux équipé), enfin à titre de comparaison au Moyen âge à Azincourt ou à Bouvines étaient présents environ 20 000 combattants au total. Pour en revenir à notre affrontement en question les sources les plus sérieuses sont celles des historiens allemands :
- côté teutonique, jusqu’à 27000 combattants sous la direction de Ulrich von Jungigen
- du côté des coalisés, il y aurait eu 39000 combattants soit 1,5 fois plus, pour l’époque compte tenu d’une densité de population très faible, de méthodes d’enrôlement aléatoire, il s’agit là d’effectifs absolument considérables, c’est la bataille des batailles !
Si les troupes teutoniques sont assez homogènes, les troupes coalisées sont nettement plus hétéroclites, d’abord le commandement est bicéphale, Ladislas II à la tête des Polonais se tient plus en retrait, Vytautas Grand duc de Lituanie est plus sur le terrain, il commande à la fois aux Lituaniens, à de nombreux Russes et à des Tartares (lesquels sont tantôt alliés, tantôt adversaires des Lituaniens), ces 2 armées gigantesques pour l’époque se font donc face en ce matin du 15 juillet 1410 ..
Sur le déroulement de la bataille on peut se reporter aux croquis (hélas en allemand) indiquant la disposition des troupes et leurs mouvements, durant plusieurs heures l’issue de la bataille sera incertaine, les Chevaliers Teutoniques auront longtemps l’initiative et la sensation de dominer, d’abord ils enfoncent les positions lituaniennes, puis isolent les troupes tartares et enfin se retournent contre les Polonais mais sans qu’à aucun moment ces attaques soient absolument décisives, avec la durée les coalisés qui s’étaient éparpillés mais n’étaient pas exterminés se regroupent et finissent par encercler, puis par avoir complètement le dessus sur les Chevaliers Teutoniques en nette infériorité numérique, enfin soudain les combats étant de plus en plus rapprochés, le Grand maître Ulrich von Jungigen est tué, à partir de là le sort de la bataille est scellé, (c’est comme à Hastings lorsque Harold le saxon prit une flèche dans l’œil) les troupes teutoniques cernées de toute part sont décimées ou faites prisonnières, seule une petite portion parvint à s’enfuir en direction de Malbork, le soir de ce 15 juillet 1410 certes au prix de pertes assez lourdes c’est une victoire totale pour les armées slaves et baltes réunies, de ce jour l’Ordre teutonique ne constituera plus jamais la menace qu’il représentait auparavant pour les souverains polonais ou lituaniens !
3) une victoire incomplètement exploitée
Dès le 17 juillet les Polono-Lituaniens vainqueurs partent à la conquête de leur but initial, la forteresse de Malbork (toujours visible de nos jours car très bien restaurée) devant laquelle ils mettent le siège le 26 juillet, espérant en finir définitivement avec cette menace germanique constante, dans la forteresse s’étaient réfugiés ceux qui avaient réussi à fuir le champ de bataille, quelques milliers d’hommes tout au plus, cependant ne disposant pas d’équipement militaire suffisant, les coalisés lèveront le siège le 18 septembre de la même année.
Un an plus tard, le traité de Thorn sera très favorable aux vainqueurs mais sans toutefois éliminer la présence teutonique des 2 places principales de Marienburg et Königsberg, la Samogitie est définitivement abandonnée (et ne sera plus jamais germanisée) la Prusse occidentale revient à la Pologne qui est désormais la grande puissance régionale, enfin une énorme indemnité dut être versée.
Cependant si la région de Danzig passe sous influence polonaise, la Prusse orientale avec Königsberg pour capitale demeure germanique, le duc puis roi de Prusse affirmera son autonomie puis indépendance progressivement au point de devenir avec la reconquête de la Prusse occidentale sous le règne de Frédéric II un royaume d’une grande puissance et le noyau fondateur de ce qui sera au XIXème siècle l’empire allemand.
Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les Allemands population civile, seront définitivement chassés vers l’ouest manu militari de ces terres de l’Est qu’ils avaient colonisées durant des siècles, pourquoi a t il fallu attendre plus de 500 ans pour aboutir à ce résultat ?
Cette victoire écrasante de Tannenberg n’offrait elle déjà pas une telle opportunité ?
Très certainement si les Polonais et Lituaniens coalisés avaient voulu au XVème siècle totalement éradiqué la présence germanique de ces territoires, ils auraient pu y parvenir certes après encore d’âpres combats mais ils étaient alors dans une situation de supériorité écrasante, ils s’en sont abstenus à l’époque certainement en raison de rivalités internes, Ladislas et Vytautas se craignaient mutuellement et chacun se méfiait de la puissance de l’autre, aussi la présence d’un tiers persistant (l’Ordre Teutonique) permettait un jeu d’équilibre dans cette rivalité, et cette situation perdura au bénéfice des Allemands jusqu’au jour la Pologne fut définitivement dissoute lors du 3ème partage en 1795.
Cette bataille de Tannenberg ou Grunwald (ou Zalgiris) a fait l’objet de nombreux récits et représentations (surtout de la part des vainqueurs) à de nombreuses époques, cette monumentale peinture à l’huile de Jan Matejko (fin XIXème siècle) et conservée au musée de Varsovie représente le Grand duc Vytautas au milieu de la mêlée, elle correspond bien à l’exaltation des sentiments patriotiques de résistance du peuple face à l’envahisseur, beaucoup plus encore que les Polonais, les Lituaniens petit pays à l’histoire tourmentée sont farouchement attachés à l’évocation de ce haut fait d’armes de leurs supposés ancêtres, le terme de Zalgiris est pour eux plus qu’un symbole, c’est quasi le fondement de leur identité nationale !
Hiéronymus, juillet 2010
Liens :
en français mais imprécis ;
version allemande beaucoup plus complète ;
un site original dû à un français résidant sur place ;