« 28 semaines plus tard » : un cinéma... mis en quarantaine ?!
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J’ai vu 28 semaines plus tard, ditribué par
28 semaines plus tard, ça ressemble à un jeu vidéo, mais c’est nettement plus réussi qu’un Silent Hill par exemple, d’autant plus que la fuite en avant frénétique du film trouve vite ses mots d’ordre, ses injonctions, la chercheuse scientifique casse-cou et sexy (Scarlet, qui finira bouffée) le dit, il y a 3 étapes : 1) éliminer les contaminés ; 2) le confinement ; 3) l’extermination totale (alerte maximale, le code rouge est enclenché). Et voilà donc le cahier des charges de ce film qui, sur fond de chasse à l’homme et de course-poursuite (façon slasher) pour sauver sa peau face à des monstres sanguinaires, sans en avoir l’air et sans grosse prétention non plus, distille la peur, soit de manière brut de décoffrage - il y a des scènes jouissives, à la lunette infrarouge (guidant à un moment une jeune fille, Tammy, et son petit frère, Andy, petit mais ô combien vaillant !) qui transforme bientôt le parcours de ces combattants de l’ombre, de ces survivants, de cette armée des ombres (un sniper dit d’ailleurs à ses "ouailles" de le suivre comme son ombre) en train fantôme, le film finit d’ailleurs dans les couloirs du métro, noirs comme l’enfer -, puis d’autres séquences viennent épouser avec brio l’ultra-rapidité des assaillants, en ce sens, la scène d’exposition est remarquable, tout se passe très vite, on dirait la séquence finale du clip Thriller, mais défilant, cette fois-ci, de manière hyper accélérée, quasi sur un mode hystérique, et pourtant la topographie du lieu est respectée, hautement lisible, et, en tant que spectateur, on suit ces pérégrinations dans l’effroi et dans l’excitation de ce qui va bien pouvoir se passer, nous invitant à un voyage au bout de la peur.
Le film est violent, très violent. En ce moment, pour être franc, j’en ai ras la casquette des montages cut téléfilmesques, de type MTV ou de la plupart des séries américaines à la téloche, puis là, ça fait vraiment plaisir, on a un réa espagnol, Juan Carlos Fresnadillo, cinéaste géographe-topographe-urbaniste, qui sait cadrer, qui sait filmer la ville de Londres, jusque dans ses abstractions (des plans panoramiques en plongée, en survol, jouent bien avec l’architectonique high-tech des lieux, tracés au cordeau, notamment avec le tracé des lignes de chemins de fer, des rues et de la ballistique), et qui sait alterner une vitesse sidérante avec un tempo qui se ralentit, pour laisser vivre et quelque peu respirer ses personnages, avant l’assaut final. Romero n’est jamais très loin, John Carpenter non plus.
Et le film, dans son ensemble, est flippant, ce réa sait filmer la peur et la faire naître chez son spectateur. Je craignais le pire quand j’ai vu l’affiche française, compo et typo d’une banalité confondante, et pourtant le film, 28 semaines plus tard, vaut nettement mieux que ça, il va au-delà du tout-venant audiovisuel. Son réa a une vraie maîtrise du langage cinématographique (sens du filmage, maîtrise notamment dans la lumière générant une angoisse insidieuse et imparable - le film finit d’ailleurs dans le noir complet -, et dans des mouvements de caméra au millimètre qui épousent parfaitement le côté confiné du film, on est bel et bien ici dans un espace clos, une ville dévastée en état de siège, et il va bien falloir trouver une sortie de secours, un sentier libérateur pour se tirer de ce bourbier infernal). Alors c’est pas l’objet filmique du siècle non plus (la décapitation de zombies à l’hélico est d’un goût douteux, et le rouge sang sur les hautes herbes sent la sauce ketchup de série Z et le traitement numérique à plein nez !), on a déjà vu ça aussi, tout ce côté film d’horreur old school, mais sur fond de déferlement de violence extrême, on peut penser à d’autres films anglais horrifiques comme Creep, The Descent ou encore 28 jours plus tard. Certes, 28 semaines plus tard a un parfum de déjà-vu.
On a encore des trucs en filigrane qui, limites tarte à la crème, se veulent quelque peu politiques, sociétaux, comme si l’on voulait tirer ce film vers le documentaire in situ. De toute évidence, le rejet des non-contaminés à l’égard des contaminés chargés à bloc joue bien avec la peur de l’autre, celle de l’étranger, du réfugié ou du malade, c’est ici une sorte de méga virus Ebola gonflé à l’EPO qui s’abat sur Londres six mois après l’épidémie qui avait ravagé
Malgré ces quelques topoï, 28 semaines plus tard ne me semble pas signé par un tâcheron tous azimuts, j’ai l’impression que ce Juan Carlos (Fresnadillo), sans être non plus le Kubrick de l’épouvante, est bel et bien le... nouveau roi d’Espagne, en route pour Hollywood ! Bon, OK, j’en rajoute (!), mais ce film m’a agréablement surpris. J’y allais pour le descendre ensuite et, non, raté, 28 semaines plus tard, c’est nettement au-dessus du Danny Boyle, ici, simple producteur de cette suite - son 28 jours plus tard, inaugurant la série (le 3e, si l’on en croit la fin, se passera à Paris !) étant beaucoup plus plan-plan malgré quelques bonnes scènes, notamment celle de la goutte fatale. Ouais, cet opus n° 2, c’est un curieux mix entre le jeu vidéo et le film de cinéma qui vaut largement le détour, et c’est son aspect hybride qui le rend sympatoche au final. Il ne s’agit pas d’un décalque plat d’un video game façon Doom par exemple. Ce qui fait la force de ce film-train fantôme (il y a d’ailleurs un beau moment suspendu dans une fête foraine désertée, laissée à l’abandon), c’est que Fresnadillo réussit la gageure d’intégrer dans son objet filmique une narration inspirée et « travaillée » par les jeux - à savoir que, dans cette ville maudite de zombies fanatiques, on avance par paliers, par glissements progressifs, par collages et par flashs. En fait, j’aime 28 semaines plus tard pour son « impureté ». Est-on devant un film de cinéma à part entière ? Est-on plutôt dans un cinéma mis en quarantaine et davantage, donc, dans un jeu vidéo du style Abu Ghraib movie (surenchère de violences, de gorno*, façon Saw ou Hostel) ? C’est ce trouble même, ce flottement permanent entre cinoche et jeu qui fait l’intérêt de 28 semaines plus tard, on a un mode de narration ludique et contemporain qui vient puiser sa source dans le jeu vidéo. En ce sens, ce réa a réussi son "pari", son film, loin d’être game over, a de grandes chances d’attirer tout aussi bien les aficionados de jeux vidéo que les amateurs d’expérience cinématographique inédite. Play it again ? Au fait, sur AgoraVox, qui l’a vu ?
* C’est la critique américaine qui a inventé ce terme, gorno : contraction de gore et de porno.
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