A l’Ouest, rien de nouveau
Le roman A l’Ouest, rien de nouveau (titre original, Im Westen nichts Neues) d’Erich Maria Remarque (1) est sorti en 1929, rapidement suivi par le film qu’il a inspiré (All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone (2). Les deux, pacifistes, la guerre de 14-18 vue par un jeune soldat volontaire allemand ont connu un grand succès.
En Allemagne, le livre a été vendu à 800 000 exemplaires entre 1930 et 1935, date de l’exil de Remarque (paru en France en 1930, 600 000 exemplaires), c’est un des meilleurs tirages du 20ème siècle, au minimum, 30 millions dans le monde. Le film a obtenu deux Oscars, meilleur film, meilleur réalisateur, en 1930.
Les nazis ont brûlé le livre lors des autodafés de 1933 et censuré le film.
Le film n’est pas l’illustration, image pour mot, du livre. Des situations, des dialogues du livre s’y retrouvent mais certaines scènes ont disparu, d’autres ont été ajoutées. Ces modifications, sans trahir l’esprit pacifiste du roman, apportent un point de vue un peu différent.
Il suffit pour s’en rendre compte de comparer premières pages et premières images.
Les premières lignes du livre sont consacrées à une séance mouvementée de distribution du repas. La nourriture, question concrète, revient à plusieurs reprises tout au long du roman : les soldats sont mal et irrégulièrement nourris. Jusque là on mélangeait de la nourriture avec de la sciure, maintenant nous n’avons plus que de la sciure dit l’un d’entre eux.
Mais ce jour là, les choses sont bien différentes. La nourriture de la deuxième compagnie est arrivée, pour 150 soldats. Le cuisinier ne veut faire la distribution que lorsque tout le monde est là. La deuxième compagnie, partie en première ligne à 150, est revenue à moitié décimée : ils ne sont plus que 80 !
Il y a 150 rations et 80 soldats. La nourriture est pour la deuxième compagnie. Chaque soldat veut donc, aujourd’hui, deux rations. Y compris de tabac. Le cuistot ne veut rien entendre. Ce conflit qui menace de mal tourner est résolu par un officier qui tranche en faveur des soldats.
Le ton est donné. Le roman portera essentiellement sur les situations concrètes, sur la vie quotidienne des soldats, notamment des condisciples du narrateur. Et leurs conséquences : la faim bien sûr, la mort, les blessures, la peur, la promiscuité, le moral, les attaques et contre attaques…. Et les réflexions sur la guerre, sur leur situation concrète, sur les crises de désespoir et de nostalgie...
C’est l’engagement guerrier qui ouvre le film. L’enthousiasme du professeur. Qui annonce à la femme de service, tous deux en train de nettoyer l’école, le succès du jour : 30 prisonniers français, des Russes, beaucoup plus que ça !
Il ouvre la porte de l’école à deux battants, les troupes défilent dans l’enthousiasme populaire : le facteur annonce fièrement son départ, le lendemain, comme sergent de réserve ; la fleuriste est dévalisée de sa marchandise par les femmes qui jettent des fleurs aux militaires qui défilent...
Tout en suivant le défilé, la caméra entre, par un mouvement arrière, dans la salle de classe, se fixe, en légère plongée, sur le professeur devant le tableau noir aux écrits en latin et en grec. S’élargit ensuite aux deux fenêtres qui l’encadrent dans lesquelles le défilé se poursuit, la musique militaire couvrant ses paroles.
L’image se concentre, alors, sur le professeur, sur son discours, la musique militaire devenant inaudible. Il s’adresse à tous les élèves, les exhorte à l’engagement : l’un se voit arrivant chez lui en uniforme, au grand effroi de sa mère et à la joie fière de son père ; un autre s’imagine au volant d’un véhicule militaire entouré par deux jeunes femmes admiratives.
Puis le professeur, en gros plan, s’adresse à quelques uns nommément, l’œil menaçant, les provoquant personnellement, jusqu’à déclencher le volontariat de toute la classe. Cris, chants, un élève efface sur le tableau le latin et le grec et inscrit Nach Paris, (A Paris), les autres jettent les cahiers, l’école est finie comme pour des vacances, ils forment un monôme et sortent de la classe. Ils passent bruyamment devant les fenêtres.
La classe est vide. Les cahiers épars. Tout est dit. La culture, latin et grec confondus, cède face aux ardeurs belliqueuses. La guerre a déjà tout dévasté. Les élèves, dupés par leur professeur, partent insouciants. Ils n’en reviendront pas ou cassés. Physiquement. Psychiquement. Moralement.
C’est de cette réalité, de cette absurdité, la mort contre le service de la patrie, que les élèves devenus soldats vont prendre conscience au cours de leur séjour au front. C’est de l’écrasant mécanisme qui va les broyer que le film va témoigner.
Dans les dernières pages du livre et les dernières images du film, Paul, le narrateur, meurt. Dans le livre, une simple notice : Il tomba, en avril mille neuf cent dix huit… Il était tombé, la tête en avant... Dans le film, Paul paie de sa vie une imprudence en essayant d’attraper un papillon. Trop belle image de la mort...
Mais alors que dans les feuilles précédentes, Paul confie et son désespoir, et la force de vie qui est en lui, la dernière image du film est une superposition de la deuxième compagnie qui monte au front, image déjà vue, et d’un cimetière militaire aux croix blanches, innombrables.
Bien sûr, livre et film montrent, tous deux, la misère, les souffrances, la présence de la mort, la peur, l’adaptation nécessaire pour la survie au prix d’un réalisme qui pourrait passer pour du cynisme – le passage des bottes devenues inutiles d’un soldat amputé à un autre qui les convoite puis à un autre après sa mort... Des discussions sur le pourquoi de la guerre, sur les responsables de cette tuerie. De l’inutilité de ce qui a été appris, hier à l’école, pour faire la guerre, et de ce qui est appris, aujourd’hui, pour survivre demain, la paix revenue. De l’impossible réadaptation des jeunes à la société civile, la paix revenue…
Des scènes sont communes au livre et au film, aussi dramatiques quand Paul poignarde un Français qui meurt lentement sous ses yeux, aussi poignantes quand il va voir sa famille, notamment sa mère gravement malade. Ou ridicules quand les stratèges de bistrot indiquent à Paul qu’il faut casser le front ennemi et foncer sur Paris.
Le livre aborde des sujets plus intimes, des réflexions personnelles de l’auteur sur les petits moments de bonheur, sur l’accoutumance à la souffrance, à la mort des autres, sur une confortable promiscuité insupportable dans la vie civile : latrines mobiles qui permettent de jouer aux cartes, scène d’amour à l’hôpital, sous la protection de ses camarades, d’un blessé que sa femme est venu voir…
Les scènes ajoutées montrent l’emprise de tous les instants de la machine sur les hommes, exercices, y compris brimades, de centaines de jeunes recrues dans une cour de caserne, l’agitation des troupes, infanterie et artillerie aux abords du front, attaques contre attaques, bombardements, vie dans la tranchée, qui font participer le spectateur à la guerre.
Dans le livre plus encore que dans le film, aucune haine contre l’adversaire, l'ennemi, le frère qu’il faut tuer pour survivre. Qui est peut-être mieux loti, français ou anglais, corned-beef, pain blanc, cognac... Qui est encore plus démuni, plus malheureux, prisonnier russe… mourant, vraiment, de faim…
La guerre, vue par les deux bouts.
La force brute de la machine qui blesse ou tue au hasard, qui asservit, à laquelle le soldat obéit, parce qu’il doit obéir, parce qu’il est devenu un automate.
L’horreur au ras du sol, ressentie au quotidien, les souffrances physiques et morales, la débrouille pour trouver à manger, les combines, pour une place aux cuisines, quelques cigarettes contre morphine pour le camarade qui souffre...
Quand nos partons, nous ne sommes que de vulgaires soldats, maussades ou de bonne humeur et, quand nous arrivons dans la zone où commence le front, nous sommes devenus des hommes-bêtes.
.
1 - Erich Maria Remarque, né en 1898, de son vrai nom Erich Paul Remark, ne s’est pas engagé : il a été mobilisé en 1916, envoyé au front en 17 et blessé en juillet. Sa mère, s’appelait Maria, comme celle du héros du roman, Paul Bäumer, elle est décédée d’un cancer en septembre 17.
2 - Lewis Milestone (1895-1980) a obtenu en 1930, l’Oscar du Meilleur réalisateur pour A l’Ouest rien de nouveau qui a eu aussi celui du Meilleur film. Nominé aussi pour le meilleur scenario et la meilleurs photographie.
Lewis Milestone avait déjà eu en 1929 l’Oscar du Meilleur réalisateur de comédie pour Two Arabian Knights.
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON