À l’usage des mots
Récit d'une passion
L'assuétude avouable
Mes mots ! Une histoire d'amour déçue de querelles en rupture, de fautes en incompréhension, de réconciliation en adoption. Ils sont compagnons de doute, jamais je n'ai su maîtriser leurs parures, ils sont amis infidèles de désaccords en traits d'union. Pourtant, jamais ils ne m'ont quitté même si les écrire ou les dire me fut toujours délicat.
À chaque jour, un nouvel ami ; une entrée en lexique, un intrus de lecture, un mot de passage, une expression qui s'impose. Je prends, je note, je cherche à l'apprivoiser pour ne plus le lâcher. Il sera mien, quoique jamais je ne dompterai son exigence orthographique ni même ses subtilités phoniques. J'ai la main qui bafouille et la langue qui fourche à moins que ce ne soit l'inverse. Mes mots se paient parfois de confusion …
Je me souviens encore du premier invité de passage. Un instituteur m'avait conseillé de lire avec une petite fiche sur laquelle noter les amis inconnus. Hugo passa par-là et un aquilin fut le premier de la liste. D'autres depuis sont passés par-là et même si je ne suis pas un aigle, j'ai engrangé un joli répertoire dans ma besace à mots.
Leur sens ne me fut jamais interdit, c'est bien là le seul abandon qu'ils me consentirent. Coquets et changeants, ils se dérobèrent souvent sous ma plume et ma langue. Je fourchais, dérapais, confondais, travestissais leur graphie et massacrais leur diction. Les spécialistes se sont penchés sur mon cas et ont renoncé à redresser mes torts. Les littérateurs de tous poils m'ont interdit d'écriture, jugeant qu'en ce domaine, la forme est préférable au fond et l'écriveur non académique doit se voir refuser le droit d'écrire.
Alors j'ai joué des mots à couvert, profitant d'autres instances pour m'accorder ce plaisir sémantique. Le rugby fut pour moi, un formidable réceptacle à ma prose, ici on se paie autant de mots que de verres quoique toujours en prose. L'amitié y fut mon mot d'heurs, l'essence de toutes ces envolées lyriques pour transcender les hommes par delà les maux.
Le verbe incantatoire, j'ai manié l'émotion, j'ai puisé dans le combat à venir les motifs de l'emphase, les appels aux valeurs, les slogans derrière lesquels les hommes se rangent pour devenir meilleurs. Ceux qui n'ont jamais fréquenté un vestiaire de Rugby ignorent à quel point l'incantation serre la gorge, pique les yeux et nous permet parfois de gravir des montagnes.
Puis les blogs sont arrivés. Je n'ai pas perçu immédiatement cet appel d'air. Il me fallut accepter de montrer mes mots de travers et trouver, correctrices patientes pour montrer une apparence supportable. Maintenant, la toile est pour moi l'espace des rôts-mots, ceux qu'on éructe à la face des puissants, ces relents de toutes nos contrariétés, nos humiliations et nos colères rentrées. Du fond de la gorge, ils sortent en cascades et viennent soulager ma peine devant autant de mépris !
J'ai apprivoisé ma peur, j'en ai fait une compagne quotidienne. Et chaque jour renaît ce besoin impérieux de coucher tous ces mots sur un billet d'humeur, un portrait ou une fantaisie sérieuse. Des lecteurs me font l'amitié de trouver l'exercice à leur goût ; politesse courtoise .... C'est ma drogue, mon assuétude avouable.
Ma vie est rythmée par ce rendez-vous impudique, des mots tendres, des mots vaches, des mots dits, des mots qu'on me souffle et des mots qui s'imposent, des mots bas et d'autres un peu plus hauts, des motifs qui s'emmêlent, des mots qu'on lâche et qu'on regrette, des mots retenus et qui s'ajoutent aux autres et le mot de la fin qui a toujours le dernier mot !
Motàmotement vôtre.
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