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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > A rebrousse temps

A rebrousse temps

Je viens de relire A rebrousse temps. Je l’avais lu il y a trente ans. Mais je suis un homme du passé. Passé simple, passé antérieur, passé compliqué, passé par là et repassé.

Comme toujours chez Dick, il y a une idée principale, parfois un peu métaphysique, qu’il développe jusqu’à ses limites ; et quelques idées qui lui viennent en chemin et qui donnent à ses romans cette couleur particulière : « vie quotidienne un peu décalée ».

1- Argument : la résurrection

Ici, Dick a choisi dans la mythologie chrétienne qu’il aime à revisiter l’idée de résurrection.

On sait que le Christ est ressuscité trois jours après sa mort et même que la résurrection des morts est prévue dans le dogme.

Dick prend donc la chose très au sérieux ; à la lettre, et envisage un scénario : En 1986, le cours du temps s’est inversé (effet Hobbart)[1]. Depuis, les morts ressuscitent et rajeunissent. Les vivants rajeunissent aussi, puis retombent en enfance jusqu’à…

http://www.dickien.fr/bibliographie/roman/romans/A-rebrousse-temps.html

Il entreprend donc d’écrire quelque chose comme : La résurrection, comment ça marche ?

Et il le fait de plusieurs points de vue et d’abord du point de ceux à qui cette aventure arrive.

Ainsi, de la même façon qu’on a déjà pu écrire « Comment ça se passe quand on se réveille dans le corps d’un cloporte ou d’un cafard ?[2] » ou « Qu’est-ce que ça fait quand on se réveille un beau matin avec une auréole sur la tête [3] ? », il raconte : « Comment c’est quand on se réveille d’entre les morts ? ».

Il semble d’abord avoir une approche chrétienne du phénomène. Ainsi dans ce dialogue :

  • « As-tu lu ce verset de l’Epître aux Corinthiens dans sa traduction nouvelle ? (…)
  • Tu devrais finir de t’habiller, murmura Sebastian.
  • Bien sûr. (…) Je suis en train de l’apprendre par cœur car, somme toute, je suis ta femme et ce passage s’applique de façon tellement directe au travail que nous… je veux dire que tu fais. Ecoute. Je crois que cela commence ainsi : Entendez-moi. Je vous dévoilerai un mystère : nous ne mourrons pas tous mais nous serons changés, en un éclair, au dernier appel de la trompette. »

 

Mais deux pages plus loin, c’est un autre dialogue, un autre point de vue. Les employés sont en train de procéder à une exhumation :

- « Nous sommes en train de forer, Mrs Benton. Tenez bon et ne vous faites aucun souci. Cela ne prendra que quelques minutes. (Le médecin dévisagea Lindy.) Vous n'avez donc pas pris contact avec elle ?

- J'ai mon travail, grommela l'ingénieur. La discussion, c'est vous autres et le père Faine que cela regarde. »

 

Ici, il a une approche assez réaliste, matérialiste même, en tous cas matérielle et pratique. Une nouvelle activité commerciale est apparue : l’exhumation des morts qu’on appelle les « anciens nés » et leur retour à la vie dans des vitariums. Il s’agit donc d’une niche au sens de Peter Drucker et de Tom Peter. Dick adopte donc, non sans humour, le point de vue de ceux qui accompagnent la résurrection  : le chef d’une petite entreprise (lui-même « anciens né), ses techniciens, et un prêtre qui est là pour assurer de la valeur, du lien et du sens et pour rassurer les clients. Bref, comme dans nouvelle adaptée sous le nom de Total Recall, il parle de management commercial et de relation-client.

Mais on peut imaginer que Dick, quand il se mêle de théologie et de dogme chrétien, il le fait aussi avec humour. Pendant toute sa vie, il semble avoir tenté des hypothèses (le mysticisme, la drogue, la psychose) comme un chimiste tente des expériences. Ici, il parle de résurrection. L’éclectisme de ses lectures aurait pu le conduire à rencontrer Celse, philosophe romain qui, dans son Discours véritable ou Discours contre les chrétiens, affirme que « La doctrine de la résurrection est un emprunt aux païens ».[4]

Plus tard, Dick, quand il parlera de ce livre, ne dira rien des préoccupations chrétiennes qui semblent le traverser. Il dira seulement combien il était heureux avec sa nouvelle compagne, Nancy.[5]

Et dans le livre, mais, au milieu de citations théologiques, il en fait une de Boèce disant : « L’homme est un animal, c’est son genre, mais l’homme est une espèce douée de raison, c’est la différence, et capable de rire, c’est sa propriété. »

 

2- Récits : Les pères de l’église et le sogum

Le livre a été publié en 1967 et l’action se déroule en 1998.

Les personnages principaux sont :

  • Sebastian Hermes et sa jeune femme Lotta (premier dialogue cité)
  • Joseph Timbane, agent de police, marié à Bethel et amoureux de Lotta
  • L’équipe du vitarium de Sebastian : le Docteur Sign, Bob Lyndy, le père Faine.
  • Thomas Peak, l’anarque qui va ressusciter
  • Les Udites et la Libre Municipalité Noire qui l’attendent ;
  • La Bibliothèque d’Actualités Populaires et Le Conseil des Oblits
  • La conservatrice de la Bibliothèque, Mavis McGuire, et sa fille, Miss Fisher

 

Comme toujours chez Dick, se croisent des luttes de pouvoir et des ratages amoureux.

Le livre est composé de 20 chapitres introduits par des exergues empruntés généralement aux Pères ou aux docteurs de l’Eglise. Le plus fréquemment cités sont, par ordre décroissant, Erigène (8 fois : chapitres 2, 5, 7, 8, 9, 10, 11 et 12) ; Augustin (7 fois : chapitres 1, 16, 17, 18, 19 et 20) ; Boèce (3 fois : 13, 14 et 15) ; Thomas d’Aquin (2 fois : chapitres 3 et 4) ; et Bonaventure (1 fois : chapitre 6).

Je ne fais pas faire chier le lecteur avec un étalage de références, mais à quelle page aura-t-il deviné ce qu’est le sogum  ?

(à suivre ou à reprendre)

 

 

Annexe : L’Eglise, ses pères, ses docteurs, ses théologiens

 

Erigène (Jean Scot) (810 - 877) Moine et théologien irlandais

http://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-scot-erigene/

http://www.puf.com/Auteur:Jean_Scot_%C3%89rig%C3%A8ne

 

Augustin (354-430) philosophe et théologien berbère, auteur de La cité de Dieu.

L’un des quatre Pères de l'Église latine (avec Ambroise, Jérôme et Grégoire Ier) et l’un des 33 docteurs de l’Église

http://fr.wikipedia.org/wiki/Augustin_d%27Hippone

 

Boèce (480-524) philosophe et homme d’Etat italien

http://www.universalis.fr/encyclopedie/boece/

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bo%C3%A8ce

 

Thomas d’Aquin (1124-1274) : dominicain italien, auteur de La somme théologique

http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_d%27Aquin

http://www.thomas-d-aquin.com/

 

Bonaventure (1217-1274) : archevêque italien

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bonaventure_de_Bagnoregio

 

Origène (185-253) : théologien grec.

Ce dernier n’est pas cité par Dick, mais c’est par lui qu’on connaît l’œuvre de Celse, car il a consacré un libre à le réfuter.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Orig%C3%A8ne

http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/ficheauteur.asp?n_aut=11

http://www.editionsducerf.fr/html/fiche/fichelivre.asp?n_liv_cerf=648

 

http://peresdeleglise.free.fr/

 



[1] Du nom d’Alex Hobart qui avait prédit l’effet rétrotemporel.

[2] Franz Kafka : La métamorphose

[3] Marcel Aymé : La grâce

[4] "La doctrine de la résurrection est un emprunt aux païens (VII, 32). Combien n'ont pas, comme Jésus, parlé de leur propre résurrection ?

"Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamolxis, esclave de Pythagore, de Pythagore lui-même en Italie, de Rhampsinite en Egypte. Ce dernier, chez Hadès, "jouant aux dés avec Déméter", obtint d'elle "une serviette lamée d'or" qu'il remporta comme présent. Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protésilas en Thessalie, Héraclès à Ténare, et Thésée. Mais ce qu'il faut examiner, c'est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l'âme, le tremblement de terre et les ténèbres ?" (II, 55) http://membres.multimania.fr/dea/Hermes/fil01/celse.htm

"On pourrait en citer bien d'autres de même genre. (Votre) culte pour ce prisonnier mis à mort est pareil à la vénération de Zamolxis au pays des Gètes, de Mopsos en Cilicie, d'Amphilochos en Acarnanie, d'Amphiaraos à Thèbes, de Trophonios à Lébadia." (III, 34).

[5] Science Fiction n° 7/8 spécial Philip K. Dick. Denoël, novembre 1986

 


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5 réactions à cet article    


  • Kindred Kindred 1er février 2013 12:57

    Je me relis. Je remarque sur la fin une belle faute de frappe.

    Origène (185-253) : théologien grec.

    « Ce dernier n’est pas cité par Dick, mais c’est par lui qu’on connaît l’œuvre de Celse, car il a consacré un libre à le réfuter. »

    Il faut lire un livre.


    • cevennevive cevennevive 1er février 2013 14:59

      Bonjour Kindred,

      J’ai lu deux ou trois fois dans ma vie « A rebrousse temps », mais je n’y ai pas trouvé les concepts philosophiques que vous nous décrivez dans cet article. Merci de nous les avoir révélés.

      Revivre mon enfance, mon jeune enthousiasme, mes études, et surtout mes grossesses (l’enfant retourne dans le ventre de sa mère), c’est surtout cela qui m’a attiré dans l’ouvrage.

      Durant des études de lettres, il était de mauvais ton de lire de la science fiction. C’est dommage car elle aide bien souvent à comprendre le présent et le passé. Et moi, qui suis un peu anarchiste sur les bords, j’ai bien souvent préféré Dick, Asimov, Heinlein, Silverberg, Van Vogt, etc, aux classiques de la littérature française.

      Je crois que je vais relire « A rebrousse temps » avec votre article en modèle...

      NB : pour ce qui est du sogum, deux exemples tirés dans l’ouvrage :

      - P 26 : « ... grommela Timbane, savourant l’odeur chaude du café qui remontait dans sa bouche sèche... »
      -¨P 29 : « ... Enfin seul, Joe put continuer de dégurgiter en paix. »

      Cordialement.


      • Agoranymous42 1er février 2013 15:06

        Bonjour, 


        si je peux m’incruster : super choix d’auteur auquel je manquerais pas d’ajouter pour ma part et sans conteste possible René Barjavel, avec tout spécialement La nuit des Temps et Ravage.

        J’ai eu la chance d’étudier Ravage en 5eme et alors que j’étais interne dans un Collège catalogué super catho, comme quoi.

        Et je dis oui, oui, oui : de la grande littérature.

        Bonne après midi.


        • Kindred Kindred 2 février 2013 09:21

          @ Edelweiss

          Comme beaucoup de Français, je suis aussi né dans une famille catholique. Mais je m’en suis sorti et j’ai presque pardonné à mes éducateurs. La référence à la résurrection ne m’a donc pas « dérangé » la première fois que j’ai lu A REBROUSSE TEMPS. Et quand je l’ai relu j’avais lu aussi des livres SUR et CONTRE la religion : Bataille, Marx, jusqu’à cet auteur romain que j’ai cité, Celse.

          Mon intérêt sur ce site est essentiellement littéraire. J’ai commencé avec Philip K. Dick (que je considère comme un auteur majeur du XXè siècle) et poursuivi avec Boudard (j’ai soumis un 2ème texte qui n’est pas encore validé). J’envisage de continuer avec Boddard, Pierre Louÿs...

          Vous me demandez « quelques bons bouquins sur l’œuvre de K.Dick ».

          Je dois avouer que je n’en ai pas lu parce que j’ai préféré lire son oeuvre. Un livre cependant semble faire référence : Je suis vivant et vous êtes morts d’Emmanuel Carrère.

          Je le lirai parce que j’ai lu beaucoup de Dick et que je suis en train de le relire comme vous l’avez vu. Et je compte poursuivre avec Les clans de la lune alphane, Le maître du Haut Château et Confessions d’un barjot.

          L’oeuvre de Dick est en cours de retraduction / réédition en français. Les recueils semblent établis par des amateurs compétents.

          Bonne lecture.

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