« Actrices » : Allô Maman Bobos !?!
Selon moi, c’est un film bidon et téléphoné de bout en bout. Valeria Bruni-Tedeschi (VBT) rate quasiment tout dans son film. Et c’est du copier-coller comme j’en ai rarement vu au cinéma. Prenons par exemple la scène des deux apparitions des défunts (le père, l’amoureux) chez elle. Pour le père (joué par Maurice Garrel), comme apparition fantôme qui vient "hanter" ou visiter, plutôt, les vivants, on est chez Depleschin (et son magnifique Rois & Reine), accessoirement chez Allen très doué pour faire revenir les morts, et pour l’amoureux disparu apparaissant sur l’arbre puis disparaissant du cadre en y montant au sommet, on est dans du Fellini, celui par exemple de
C’est complètement en roue libre. Personnellement, je n’ai rien contre les scénarios "lâches", qui ne sentent pas trop le prêt-à-filmer scénarisé mille fois à l’avance façon Jeunet et consorts, mais si c’est le cas - et encore, avançons prudents, car on associe souvent cela à un Cassavetes alors qu’il a toujours nié toute improvisation (à 100 %) dans ses films-happenings en insistant sur le fait qu’il les écrivait -, il faut que ce qui nous soit montré à l’écran soit nourri d’un élan vital, de torrents d’amour, de Love Streams XXL, que ça nous prenne aux tripes et qu’on ait l’impression, comme dans un Renoir, un Pialat ou un Kechiche, que c’est la vie, ni plus ni moins, qui se déroule en instantané(s) sur l’écran de nos rêves mais, avec Actrices, ce n’est pas le cas. Suffit-il de courir l’air pseudo-hagard autour de l’Arc de Triomphe dans un Paris filmé façon film pour touristes pour nous émouvoir ? Que nenni, ça manque d’intensité dramatique ou comique, on s’emmerde. C’est de l’auto-fiction qui tourne en rond. Cette actrice se fait certainement plaisir à l’écran, elle doit s’éclater à écrire ses scènes avec sa complice et talentueuse Noémie Lvosvsky, mais est-ce que ça suffit à faire un film qui se tienne et nous sorte loin des sentiers battus ? Hélas, non. C’est un film à la première personne du singulier qui, au fond, n’est point singulier. Tout ce qu’on voit dans son film est du déjà-vu à l’extrême et souvent en moins bien. Ca se veut très rythmé, façon certaines comédies italiennes d’antan à
Autre scène tombant à l’eau, et complètement à plat, par manque de malice selon moi, c’est sa sortie de la scène (ou Cène parce que lieu-sanctuaire) du théâtre pendant que son partenaire joue devant le public des Amandiers. Il y a alors un très beau plan nocturne où l’on voit Marcelline/Natalia Petrovna fuir, par la pelouse extérieure en montant dans le cadre du plan tout en étant appelée, en vain, par un de ses compagnons de jeu à l’avant-plan. Superbe séquence tragi-comique. L’onirisme de cette scène, à
VBT voudrait nous faire croire qu’elle nous donne beaucoup, mais son petit monde intérieur nous reste hermétique. En quelque sorte, c’est "la bourgeoise qui s’encanaille". Autant faire un film d’amatrice en caméscope HD où l’on verra ad libitum - et ses aficionados seront ravis - Valeria chez son psy, Valeria chez sa gynéco, Valeria à la piscine, Valeria au lit avec Maman, Valeria faisant de la barque au bois de Vincennes, Valeria au théâtre des Amandiers, Valeria sur sa méridienne, Valeria racontant son rêve de la nuit d’avant, Valeria - jolie blonde glamour - prenant le taxi, Valeria tenant un bébé dans ses bras, Valeria nageant dans
On dirait un film, non pas égotiste (car pourquoi pas), mais... égoïste, limite autiste. Il n’y a pas d’échanges entre ce qui nous est montré à l’écran et nous, en tant que spectateurs qui aimerions quelque peu, pauvres de nous, entrer dans la danse. Mais jamais nous ne sommes invités à entrer dans la ronde. Ca prend les allures d’un film qui se voudrait hyper-généreux, donnant beaucoup sur la vie, le théâtre, les psys, la compréhension des femmes contemporaines, mais jamais ça ne tend à l’universel. On reste cantonné dans un petit moi qui, à satiété, se regarde ultra-localement le nombril doré. Dans cette façon bordélique (faussement en plus) de ne faire aucun choix clair de mise en scène, on dirait un film atteint de tourista artistique (avec un Paris by night filmé (plutôt joli, voire classieux) pour Jet Tour Operator) sans jamais atteindre non plus le statut de... grand film malade si cher aux Cahiers du cinéma époque Tesson ! Ici, c’est du cinémarre qui nous travaille, et nous agace, marre de ce cinéma-là qui n’en finit pas de ne pas vouloir mourir et de nous endormir. C’est un film pour les fans de VBT. J’ai été dans une salle parisienne où, certains, dès qu’elle ouvrait la bouche, étaient pliés en deux. Il suffirait, semble-t-il, qu’elle se gratte l’oreille ou qu’elle cligne un oeil, le gauche par exemple, pour qu’un certain public s’emballe illico presto pour elle. Mais si on n’est pas fans (sans être détracteurs non plus, rassurez-vous, j’ai déjà dit que je la trouvais charmante et talentueuse), on fait comment ? On attend gentiment que le film passe ? Que ça se passe à l’écran, sans nous qui nous sentons poliment et docilement extérieurs à la chose ? C’est un film bourré de tics, profondément en vase (fleuri) clos. Non seulement la réalisatrice passe à côté de son vrai sujet (les allées et venues entre théâtre et vie, la vie comme théâtre, le théâtre de la vie et tout le toutim) - on est bien loin de films passionnants sur le théâtre, qu’ils soient dramatiques et/ou comiques (Opening night du génial Cassavetes, Persona de Bergman, Looking for Richard d’Al Pacino, Molière d’Ariane Mnouchkine, Au beau milieu de l’hiver de Kenneth Branagh, L’Esquive de Kechiche, etc.) - mais, pire, d’une part, elle n’a pas la carrure, l’étoffe d’une héroïne pour faire qu’on la suivrait de bout en bout sans sourciller parce qu’on se sait clairement entre de bonnes mains (comme chez Nanni Moretti ou chez Woody Allen) - intellectuellement, c’est gentil, fifille, on fait du surplace et, au final, c’est très adulescent du genre - Mon Dieu, tout le monde m’aime mais, moi, personnellement, en ce qui me concerne, bah... j’aime personne et toc ! -, et, d’autre part, et là je trouve que c’est plus agaçant, voici une actrice-réalisatrice tellement plongée dans l’écran à cran hermétique de son ego, qu’elle passe complètement à côté de ses compagnons de je(u). Pour les femmes, ça passe, Noémie Lvovsky (Nathalie) fait ce qu’elle a à faire (elle est parfois très drôle), la très jolie Valeria Golino (Natalia Petrovna) donne au film ses plus belles séquences oniriques - c’est là, dans sa présence-absence à l’écran, qu’il y a quelque chose du théâtre, de ses chimères et de ses avatars, qui passe et qui vient à nous, enfin - ouf, on respire quelque peu. Le film-bulle s’ouvre un peu, quittant son ego et ses Lego d’enfant riche et gâtée.
Mais, que dire des hommes, des personnages principaux ? Comment peut-on avoir des acteurs aussi brillants qu’un Mathieu Amalric et qu’un Louis Garrel et ne pas en faire quelque chose de vraiment intense qui fasse décoller le film vers le hors-piste ? Le côté fou, déjanté, carrément à l’Ouest, il est chez un Amalric ou chez un Garrel, davantage que chez une Bruni-Tedeschi où les prises de risque de je(u) me semblent vraiment minimes, type la bourgeoise qui s’encanaille en se faisant des frayeurs (scène typique : le bébé, dans ses bras, manquant de tomber des échafaudages du théâtre déserté, eh oui... n’est pas Michael Jackson/Bambi qui veut !). Mais la folie chez Amalric n’est pas suffisamment exploitée, de même le côté si charmant d’un Louis Garrel, pouvant exceller dans le genre électron libre-histrion burlesque sympathique en diable (souvenons-nous de ses apparitions mi-comiques mi-romantiques chez Honoré (Dans Paris, Les Chansons d’amour)), est à peine exploité ici, comme si VBT s’était donnée quasiment le beau rôle (en or) dans tous les plans et craignait - car elle est comédienne avant tout, donc bonjour le tout-à-l’ego au centuple, on les connaît les lascars (comédiens) ! - qu’elle se fasse subrepticement piquer la vedette par ces deux acteurs-trublions dont la puissance de jeu est, n’ayons pas peur des mots, supérieure à la sienne. VBT fait un film pour elle et sur elle. On la voit sous toutes les coutures et à l’infini, comme démultipliée, offerte dans toute sa palette de jeu qui, soit dit au passage, n’est pas si riche que ça lorsqu’on en gratte bien la surface des apparences. Elle est intéressante comme corps en mouvement pour le cinéma, car elle est double, tour à tour lunaire, aérienne, légère (voire canon, elle n’est pas la soeur de qui on sait pour rien !) et plantureuse, lourde, balourde, voire lourdingue, et ça fait partie de son charme mais, bizarrement, on peut aussi s’en lasser assez vite car les audaces de jeu chez elle confinent bien souvent aux astuces de je. Nous ne sommes pas dupes. Il faudrait creuser davantage. De même, le beau ténébreux romantique aux grains de beauté adulescente (Louis Garrel/Eric), on lui donne à peine un costume sur mesure de peur qu’il irradie de trop le plan comme chez son père (et le crépusculaire Les Amants réguliers). Quant à Amalric, il est bon, il fait du Amalric, mais rien de plus car on ne lui donne pas suffisamment l’occasion de lâcher la bride jusqu’au pétage de plombs où il excelle façon Depleschin. Certes, il est drôle et cabot à souhait dans son personnage haut en couleur de metteur en scène tyrannique (certaines de ses répliques peuvent même devenir culte dans le milieu théâtral et autres, style "Poitrine ouverte, ventre avalé, (...) je veux des corps, pas de la psychologie"), mais il n’est que bon alors qu’il pourrait être excellent avec des dialogues et un personnage encore plus travaillés (non pas par lui, car cet acteur-là est une Ferrari à conduire, mais par... VBT et sa complice d’écriture et de jeu, Noémie Lvosky). Faut que ça danse plus dans Actrices, action quoi ! Bref, si vous avez vu la bande-annonce, eh bien c’est le meilleur du film. Elle est mieux rythmée que celui-ci et les gags les plus drôles y sont, et ça suffit amplement franchement.
In fine, c’est certainement un film ado qui peut impressionner les touristes étrangers (paris, ville-lumière, est magique !), les petits Mickeys d’opérette et, surtout, les jouvencelles romantiques qui, les joues rougies par l’émotion toute fraîche, se destinent avec ferveur et candeur au théâtre (de la vie) mais pour les vieux de la vieille, les bad boys et autres (!), c’est une autre paire de manche ! En fait, sous ses faux airs de film barré se voulant grinçant, fêlé et drôlissime, c’est un film-esbroufe au final, sans réelles surprises et sans grosses prises de risque. On est dans le tout-venant bobos, ni plus ni moins. Allô Maman Bobos. Ah oui, je mettrais tout de même une étoile sur quatre pour quelques bons dialogues, pour Mathieu Amalric et la belle Valeria Golino et pour la scène du bébé qui montre bien, dans notre monde actuel du tout-répressif itou itou, la paranoïa ambiante autour de la pédophilie dès qu’on regarde un enfant parce qu’il est beau ou parce qu’on a envie de le toucher, de le "croquer", de jouer avec en le titillant. Alors que Marcelline flatte affectueusement le bébé, le prenant dans ses bras, lui grignotant la joue ou l’oreille et qu’elle s’apprête à lui donner - ubuesquement - son sein généreux, la mère de l’enfant - Noémie Lvosky/Nathalie - arrive pour crier au scandale et à la folie ! J’aime beaucoup cette scène car elle porte un regard mordant sur la paranoïa contemporaine autour du monde soi-disant Bisounours de l’enfance forcément innocente et pure, façon l’angélisme chrétien phagocyteur. Je vois cette scène comme ça, mais est-ce que c’est moi qui extrapole ? Est-ce que VBT, veut effectivement nous dire cela ? Peut-être, mais son film est tellement brouillon (confondant trop l’emporte-pièce avec la pièce montée) et tellement sans réel choix de mise en scène qu’on a l’impression d’etre plongé en permanence en pleine eau de boudin, lorgnant avec quelque complaisance du côté du caca-boudin. Au secours, glouglou, j’ai besoin d’air et d’être aware, appelez-moi Jean Claude Van Damme !
* Prénom de son personnage dans son premier film en tant que réalisatrice : Il est plus facile pour un chameau.
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