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Aller voir « Ailleurs » pour être

Dans son ouvrage Le hêtre et le bouleau : essai sur la tristesse européenne, Camille de Toledo troque ses essais empreints de cynisme pour s’atteler à la lourde tâche de définir la tristesse européenne et chercher les pistes pour s’en sortir. En partant de la chute du Mur de Berlin, l’écrivain se livre à un exercice entre philosophie et métaphysique retraçant la quête d’un ailleurs pour un continent constamment prisonnier de son passé lourd et sanguinaire.

 

« Il faut à l’esprit un ailleurs, une terre à peupler de désirs, de rêves pour échapper à la mélancolie » Camille de Toledo
 
Berlin, 9 novembre 1989. Un mur tombe. Pour une fois le bâtiment est dans le temps, celui de la cérémonie libérale. Les cameramen et les photographes impriment l’instant. L’histoire tourne une page entre massues et euphories. 20 ans ont passé. Le jour reste célébré dans le calendrier des émancipations de l’humanité. Dans les livres du début du XXIème siècle, Les suites de Bach interprétées par Mstislav Rostropovitch se révèlent être la mélodie du bonheur.
 
Pourtant, Camille de Toledo ne voit dans ce cliché que tristesse et symbole. Alors que le monde fête la fin d’une époque, le talentueux mélomane joue ses airs sous le regard de Mickey et reçoit quelques pièces de badauds bien intentionnés. Le maître se mue en mendiant. L’image sera le déclic pour l’auteur. A partir de cette perception, il théorise la tristesse d’une Europe fondée sur la peine plutôt que l’espoir. Ce thème est le cœur de l’essai Le hêtre et le bouleau, réflexion philosophique livrée à la première personne du singulier.
 
Ce jour de novembre, plus qu’un mur est tombé. Jusqu’ici, des Hommes de l’Ouest rêvaient de l’Est tandis que des âmes de l’Est s’imaginaient en train de rejoindre l’Occident, la liberté chevillée au cœur. La barrière symbolique effondrée, l’ailleurs s’est évaporé. Désormais, un seul monde est possible. Mickey sourit, certes, mais Mickey est seul. 
 
L’idée d’union européenne est née une seconde fois ce jour là. Projet ambitieux pour sceller un futur pacifique sur le vieux continent, son aspiration s’est toutefois construite sur le deuil, la culpabilité. L’union porte en son essence les mémoires des victimes de deux totalitarismes sanguinaires du XXème siècle : le stalinisme et le nazisme. Avec l’Union Européenne, ses fondateurs auraient bâti « une paix patrimoniale, une haine transformée en musée » selon l’essayiste. 
 
Camille de Toledo extrait de ces bases la raison même d’une mélancolie si propre à la réalité européenne. Après avoir eu honte des crimes d’hier, l’Européen est aujourd’hui hanté par ceux-ci. Frappé d’ « hantologie », il s’est interdit d’imaginer son ailleurs préférant se replier sur les temps d’avant. S’ensuivent la réhabilitation d’illustres vieilles bâtisses ou l’exaltation passéiste des identités nationales. Aux universalismes meurtriers répondent les égoïsmes nationaux et le folklore patriotique.
 
Tout ramène le citoyen de l’Europe à ce lourd passé. Des monuments dédiés à la mémoire aux discours sur la morale à tirer du XXème siècle en passant par l’impérativité de ne pas oublier, il est ardu de s’échapper de cette boucle mémorielle. Dans cette crainte hypnotique du retour des totalitarismes, la pensée d’un nouveau modèle, d’un véritable désir d’être, est inlassablement frappée de suspicion. « Les cadavres des paradis échoués nous interdisent de penser l’ailleurs » résume Camille de Toledo.  
 
Partant de là, comment créer cet être européen du XXIème siècle ? En s’autorisant l’oubli d’hier clame ce penseur atypique. Une requête audacieuse quand l’air du temps est à la vénération de l’origine. Il ne s’agit pas de promouvoir un quelconque négationnisme - loin de là – mais simplement de confier la mémoire aux poètes, à la littérature pour que le passé soit traité par l’écrit avec toute la réflexion et le rapport au temps que cela impose. L’oubli est à accorder à l’humain. De façon contradictoire, les faits du XXème siècle s’étiolent dans la mémoire collective et, malgré tout, l’obsession de fixer un enseignement de ce passé continue de hanter les quotidiens. Ce n’est plus le fait historique qui est sanctuarisé, mais la morale de l’Histoire qui s’érige en stèle intemporelle du passé. Certains ont théorisé de cette morale la fin de l’Histoire. Camille de Toledo, lui, demande simplement que le XXème siècle laisse au XXIème le privilège de se créer son propre avenir dans une Europe créole. 
 
Vouloir l’ailleurs est un parcours de funambule. Cela revient à se donner le droit d’avancer sur une corde au dessus du vide. L’incertitude n’interdit pas la volonté de construire. Les utopies n’ont pas besoin de vivre dans une conception strictement matérialiste du dessein, elles peuvent s’autoriser la spiritualité d’un désir, le flou d’un demain hypothétique. Croire que d’autres horizons sont possibles, voilà ce que pourrait être le dépassement de la tristesse européenne. Finalement Camille de Toledo oppose au sclérosé plus jamais ça  un dynamique toujours vers quelque part
 
Elbe
 
Le hêtre et le bouleau : essai sur la tristesse européenne - Camille de Toledo
 
La librairie du XXI siècle aux éditions du Seuil

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