Amadeus... la légende d’Orphée
C’est l’histoire d’une comète facétieuse et chantante invisible pour les astronomes. Elle apparut dans le ciel de Salzbourg par une nuit bleue de frimas cristallins, au début de l’an de grâce 1756. La ville musicale s’enfonçait dans un hiver rigoureux et ouaté. Elle surgit soudain des confins du système solaire pour honorer un petit d’homme. Un enfant joyeux enclin aux métamorphoses harmoniques, mélodiques et rythmiques. Elle l’investit comme l’éclair. Les génies naissent ainsi, d’une manipulation céleste d’humour et de folie créatrice, et d’une fécondation terrestre d’amour maternel. Celui ci pris nom inquiétant de Wolfgang ...le loup qui marche, et baroque, Théophile...celui qui aime et qui est aimé de Dieu. Dans un choix angélique et frondeur, Amadeus... aimé de Dieu. Tout simplement, comme ça en relation naturelle avec le père, le père qui êtes aux cieux...une étoile était née.

C’est à grandes fresques colorées et sonores que l’artiste cinéaste s’affaira en toute liberté. Une aventure fantastique et bouleversante jaillit dans un savant mélange de faits authentiques, de balades à tous tes temps, de fantaisie débordante, d’orphique sonorité , de polyphonie vocale, de comédie joyeuse et charmante, de tragédie morbide et sinistre, de sources musicales novatrices, vivantes, pétillantes, intarissables Le tout en bouquet fulgurant, dans une lecture très fine de l’âme humaine.
De l’histoire au mythe, la vie de Mozart est encore bien énigmatique. Milos Forman met en scène un ami de génie qui chemine dans les secrets de nos attentes et dans les replis de notre enfance.
C’est le miracle permanent de la création. Pourquoi l’emprisonner dans les dogmes, les lois et l’authenticité historique ? Pourquoi ne pas admettre que nous sommes tous balancés entre ce sentiment d’éternité qui nous permet spontanément d’adhérer sans réserve au génie intemporel sans nous départir pour autant de notre enveloppe humaine limitée et conjuguée au temps linéaire...source de notre équilibre précaire, voir névrotique.
L’essence même de l’histoire repose sur le postulat que deux êtres antinomiques, ange-démon, s’attirent et communient. Cette relation, dans le contexte qui nous préoccupe est poussée aux paroxysmes, jusqu’à la démence pour l’un des protagonistes, Antonio Saliéri ; pour l’autre à la sublimation...mais jusqu’à la mort. A. Mozart
Vienne, novembre 1823, au coeur de la nuit, un cri rauque, une plainte désespérée, un homme tente de mettre fin à ses jours. Derrière la porte close de son appartement il confesse, " Pardonne, Mozart, pardonne à ton assassin." Le silence. La porte fracturée, on découvre un vieillard momifié baignant dans son sang.
Ce geste de désespoir est celui d’Antonio Saliéri. Dans ces moments de gloire il jouissait d’une reconnaissance impériale à la cour d’Autriche où il occupait le poste de compositeur. Dès l’enfance, il s’était voué au service de Dieu, s’engageant à le célébrer par sa musique. Au prix d’un incessant labeur et d’innombrables sacrifices, il réclame la gloire éternelle. C’est un musicien classique baroque méritant, homme ambitieux, prisonnier de la forme et des règles, englué dans son siècle. Un trouble profond s’empare de lui lorsqu’il découvre que la musique de Mozart est céleste, innovatrice et parfaite. Mozart, selon son éthique, est vulgaire, obscène et ridicule. Il deviendra malgré lui, l’ombre du génie mozartien, mais aussi en révolte contre Dieu. Il développera une action machiavélique pour anéantir le créateur et sa créature. Son jeu diabolique d’amour-haine, l’accumulation des affects de jalousie, de colère, du sentiment d’injustice et du désir de vengeance l’entraineront dans la schizophrénie.
Sur ce fond d’humanité exclusive, aux sentiments ambivalents, aux couleurs sépia, ocre jaune et rouge vermillon, un ange passe ingénument.
Un lutin grivois au rire imbécile dénonce innocemment le monde empesé et guindé de son époque. Etranger à la cour de Joseph II d’Autriche, bouffon et contestataire, il dénigre le livret italien en usage, impose son opéra " l’enlèvement au sérail "en Allemand, dans un contexte turc. Ses apparitions fulgurantes, baroques et angéliques, dans un tourbillon musical, annonce la grâce et la beauté à l’état pur. Il inonde joyeusement et généreusement les espaces qu’il traverse.
Elfe poudré aux perruques changeantes et carnavalesques, il arbore gravité et sagesse socratique, facétie et dérision vénitiennes. Dans le cadre classique assujetti aux règles des trois unités, tel un phénix exalté, il dévoile une palette somptueuse et révolutionnaire qui pénètre et sature son environnement. L’intuition et l’inspiration au pouvoir dans un esprit de pureté et de liberté ouvre et découvre les espaces novateurs et originaux qui vont révolutionner son temps. L’isolement et la pauvreté en seront la rançon.
Les visages, attitudes et sons triviaux se métamorphosent dans son esprit en une inspiration abondante et retentissante d’opéra bouffe. Les noces de Figaro, Cosi fan tutte...
La mélodie crescendo se transforme en un rythme endiablé pour le plaisir des enfants, des gens simples et des esthètes. Il n’est pas d’art mineur qui ne passe entre ses notes et n’incline à l’émerveillement.
A. Saliéri, depuis toujours l’espionne dans l’ombre. Par-delà sa musique, il capte le sacré qui en émane. Constanze, l’épouse de Mozart, ingénument en appelle à son aide en cachette. Les partitions originales le bouleversent, elles sont le reflet de la voix divine. Ses mains glissent gracieusement sur la musique délicate qui s’en échappe, il s’enfuit profondément troublé.
A. Saliéri viole l’intimité artistique d’Amadeus en s’infiltrant dans son espace de création. Dans la salle de billard, Amadeus rédige les noces de figaro, A. Saliéri tente de le déposséder.
D’inspiration symbolique maçonnique, la flûte enchantée propulse l’énergie lunaire de la reine de la nuit. Les vocalises joyeuses, somptueuses et guerrières invitent l’homme à mesurer, amusé puis grave, les puissantes ressources des archétypes féminins.
Un rappel éthéré et vaporeux, Amadeus a pour seule arme sa plume d’oie, ses partitions musicales et sa candeur d’enfant roi. Dans ses moments d’humanité, il apparait farfadet débridé et grivois, pitre ludique en état d’ébriété, déambulant, grimaçant devant le portrait de son père Léopold, aux accents de la flûte enchantée...on frappe à sa porte, son visage s’obscurcit. Le voici enfant coupable confronté à la fatalité humaine. Sur le seuil de la porte, un personnage inquiétant, de Janus masqué, s’impose à lui alors que retentissent les notes menaçantes du commandeur...la musique de don Giovanni submerge l’image. L’impact du père sur Amadeus.
Dans un contraste saisissant, filmé en contre plongée, visionnaire halluciné, chef gesticulant, sa baguette pointée, la perruque enflammée, rayonnant dans un parterre instrumental, au coeur d’un public multicolore enthousiaste et transporté. Puissante et intense, la symphonie Jupiter, grandiose et majestueuse. L’épuisement, la maladie sans doute, Amadeus s’effondre dans son plus beau tableau. Saliéri qui l’accompagne discrètement dans ses succès et débordement musicaux s’occupe de le faire reconduire à son domicile.
Plus tard le cinéaste imagine une scène émouvante et marquante. Mozart alité, épuisé, le visage plombé, bienveillant à l’endroit de son hôte. Saliéri à son chevet. Les deux musiciens dans une confidence musicale religieuse et sacrée se font face et composent la célèbre messe des morts sous l’impulsion d’Amadeus. L’inspiration turbulente et foisonnante du maitre entraine une orchestration imaginaire mais réelle. Saliéri transcrit, bousculé par le flux vocal et instrumental du confutatis, se prend la tête, ne contenant plus les notes et le rythme crescendo qui le débordent. L’ampleur et le lyrisme envahissent l’espace de la chambre et de la ville accompagnant au sommet d’une colline, en ombres chinoises, le carrosse de Constanze, et son enfant qui rentrent de voyage. La puissance qui se dégage de l’attelage fougueux et musculeux absorbée dans l’intensité musicale du Réquiem.
Aux portes de la ville, par un jour de tristesse hivernale pluvieux, lugubre et glauque, un corbillard, charrette macabre et grinçante, emporte la dépouille de la créature désormais silencieuse. Le Lacrimosa du Requiem résonne dans l’espace délavé et vieilli, glorifiant la mémoire de son compositeur, vénérant la grandeur du créateur. Un linceul de drap glisse du cercueil, basculant dans la fosse commune du temps.
Aujourd’hui le chef-oeuvre de Milos Forman est devenu un classique incontournable. Les choix musicaux favorisent l’art lyrique, spectaculaire et théâtral, ils passent bien à l’image. Le spectateur un jour conquis demeure pour toujours comme sous le charme d’un premier amour. Amédeus Mozart, séraphin de génie, enchanteur d’éternité, dans un ultime pied de nez aux historiens et aux puissants, disparait dans la lumière voilée du Requiem pour mieux déployer ses ailes dans l’espace invisible, au-delà de l’audible...il nous offre son oeuvre magistrale et retrouve son mythe.
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