Amazing sir Winston Churchill
Le décès de celui qui, le 24/01/1965, rend son dernier souffle en disant : « Le grand voyage valait bien la peine d’être fait... une fois. », plonge sa so gracious Majesty la reine Elisabeth II dans un profond désarroi. Sortant de sa royale réserve, elle éclate en sanglots et se laisse aller à cette confidence étonnante : « Il faisait presque partie de notre famille. ».
Deux jours plus tard, la cathédrale Saint Paul est noire de monde. Les têtes couronnées et les chefs d’Etats du monde entier se réunissent pour assister aux funérailles de Sir Winston Leonard Spencer Churchill (1). Lorsque le cortège funèbre arrive sur le quai de la Tour de Londres, les grues des docks s’inclinent une à une sur son passage. « C’est un enterrement de famille à grande échelle », titre d’une façon très british le Times sur sa une. Et comme le soulignera Paris Match, Londres est à ce moment précis traversée par deux fleuves : La Tamise et un flot de larmes...
De Churchill, on retient évidemment la carrière politique. Le rôle qu’il a joué durant la Seconde Guerre Mondiale lui a valu d’être surnommé « The Lion », comme on avait en France appelé Clemenceau « Le Tigre », un quart de siècle plus tôt dans des circonstances analogues. S’appesantir sur son parcours politique mouvementé conduit par trop à oublier l’homme. Homme de cœur, homme de lettres, homme d’esprit... et grand fumeur de havanes !
Descendant du duc de Marlborough, fameux héros de la chanson "Marlborough s’en va-t-en guerre", Winston vient au monde prématurément lors d’un bal de la jet set new-yorkaise en 1874. De retour au familial château de Blenheim (3 ha de toitures couvrant 320 pièces au cœur d’un parc de 1 000 ha) il passe son enfance entre un père anglais très distant, extrêmement avare de manifestations affectives, et une mère américaine particulièrement fantasque, se défaussant de ses responsabilités en le qualifiant d’enfant difficile. Sa nourrice, Mrs Everest fait merveilleusement office de substitut parental et par reconnaissance, il prendra soin d’elle jusqu’à sa dernière heure.
Cette enfance matériellement dorée dans un milieu affectivement si pauvre le conduit à se réfugier très tôt dans les livres. Ce qui lui fait dire : « Si vous ne pouvez lire tous vos livres, au moins, touchez-les et, plutôt, cajolez-les, laissez-les s’ouvrir où bon leur semble, lisez la première phrase qui vous attire l’œil, replacez-les sur leur étagère de vos propres mains, disposez-les selon votre plan personnel ; ainsi, même si vous ne savez pas ce qu’ils contiennent, vous saurez au moins où ils sont. Qu’ils soient vos meilleurs amis ; qu’ils soient en tout cas vos familiers ».
Il obtient un diplôme à l’Ecole militaire royale de Sandhurst, mais démissionne de son commandement après avoir servi en Inde et au Soudan dans la cavalerie. Il veut devenir journaliste. Agé d’une vingtaine d’années, il est correspondant du Daily Graphic à Cuba lors de la guerre d’indépendance contre l’Espagne (1895-1902). C’est là qu’il découvre le havane qu’il ne lâchera plus, au point qu’on ne peut aujourd’hui se le représenter sans son inséparable barreau de chaise. Un double corona (environ 180 mm x 18 mm) spécialement roulé pour lui, qui portera très rapidement son nom. On estime sa consommation totale entre 250 000 et 300 000 cigares, à raison d’une dizaine par jour. Mais il s’arrête toujours à la moitié, par hygiène et par souci d’élégance, faisant sienne la devise de Sacha Guitry pour qui la fin d’un grand havane n’est pas plus glorieuse que celle d’un cigare à deux sous.
Son évasion spectaculaire, après sa capture lorsqu’il « couvre » la Guerre des Boers (1899-1902), en fait un héros national. Elu au Parlement en 1900, ses débuts en politique sont douloureux et controversés. L’échec de l’expédition des Dardanelles (1915-1916) lui est totalement attribué. Ce qui lui fera dire plus tard : « Voyez-vous, à la guerre, vous ne pouvez être tué qu’une fois, mais, en politique, vous pouvez l’être plusieurs fois. ». Et c’est justement lors de la Seconde Guerre Mondiale qu’il se distingue, avouant même : « C’est lorsque je suis Jeanne d’Arc que je m’exalte. » Saisissant très tôt les dangers du nazisme, il devient non seulement le leader du Royaume-Uni, mais aussi le symbole de la résistance. Nommé premier ministre en 1940, il déclare lors de son investiture que sa politique est de faire la guerre sur tous les fronts, et conclut avec la célèbre phrase « I have nothing to offer but blood, toil, tears and sweat. »(2). Ses allures de dandy tout en rondeur lui valent un commentaire acide lors d’une rencontre avec de Gaulle, s’étonnant d’être au carnaval de Londres. Ce à quoi il répond du tac au tac : « Tout le monde ne peut pas s’habiller en soldat inconnu ! » Mais de ces relations parfois difficiles naît un respect mutuel, qui unira les deux hommes contre l’adversité.
De l’auteur, nous savons que ses nombreux articles publiés dans la presse britannique, européenne et américaine, ses livres traduits en plusieurs langues et vendus à des millions d’exemplaires, lui assurent un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de son épouse Clementine et de leurs quatre enfants. Refusant de nourrir de la rancune à l’encontre de son père Lord Randolph Churchill, il publie sa biographie en deux tomes. Volumes écrits au milieu de nombreuses volutes de havanes. Ses mémoires de guerre (6 tomes), dictés cigare au bec à ses secrétaires, lui valent le prix Nobel de littérature en 1953. Il travaille sans répit, mâchonnant son éternel cigare, ce qui ne facilite pas sa diction. Et en plus, il a horreur de se répéter !
Connu du grand public pour ses brillantes qualités d’orateur, lorsqu’on lui demande le secret de ses discours, il répond avec un sourire malicieux : « Une bonne paire de lunettes et un bon stylo ! » C’est également de cette façon qu’il affirme « No sport ! » quand on l’interroge sur le secret de sa longévité. Sir Winston Leonard Spencer Churchill a le mérite de ne pas se prendre trop au sérieux. On lui pardonne aisément d’être un véritable tyran domestique, d’une totale mauvaise foi avec son personnel de maison, car son humour grinçant et son absence de rancune en font un doux mélange d’auguste et de clown blanc. « Le seul homme que je haïsse, c’est Hitler, et c’est professionnel », dit-il avec conviction. John Fitzgerald Kennedy lui rendra un vibrant hommage en prononçant ces paroles trop peu connues : « In the dark days and darker nights when England stood alone — and most men save Englishmen despaired of England’s life — he mobilized English language and sent it into the battle. »(3).
D’un naturel plus sensible que de Gaulle, il souffre terriblement lors de son éviction progressive du pouvoir, pensant à tort que les Anglais ne veulent plus de lui. Ce qui ne l’empêche pas de se défendre avec cynisme. Quand, reçu le jour de son quatre-vingt-cinquième anniversaire au Parlement, il entend des députés chuchoter dans son dos : « Il paraît que le vieux est en train de devenir gaga », il répond sans se retourner : « Oui, et il paraît même qu’il est en train de devenir sourd. ». Mais Winston Churchill est un dur au cœur tendre. Durant toutes ces années de lutte pour la grandeur de l’Angleterre et la sauvegarde du monde libre, il doit également combattre son démon intérieur, son dark dog comme on dit si joliment Outre-Manche.
La peinture lui est d’un grand secours pour sublimer ses soudains accès de dépression marqués par une tendance à l’autodestruction. « S’il n’y avait pas la peinture, je ne pourrais pas vivre. Je ne pourrais pas supporter toutes ces tensions. », reconnaît-il en toute sincérité. Il se passionne pour l’aquarelle, et certaines de ses œuvres sont mises en vente dans une galerie parisienne sous le pseudonyme de Charles Ardoin. Mais l’écriture demeure sa forme d’expression de prédilection. Par exemple, de 1931 à 1939, il publie 11 volumes, plus de 400 articles et prononce parallèlement 368 discours. Quand il ne dicte pas, il écrit sur un pupitre, se tenant debout à la façon des auteurs du XIXe siècle. Véritable bourreau de travail, il s’intéresse à la maçonnerie et, passant de la théorie à la pratique, écrit dans une lettre à Lord Baldwin : « J’ai passé un mois délicieux à bâtir une villa et à dicter un livre : 200 briques et 2000 mots par jour ». Des photos le montrant à pied d’œuvre, truelle en main et cigare au bec, témoignent éloquemment du plaisir qu’il y prend.
Il y aurait encore mille et une choses à raconter à propos d’un si grand homme, surtout à l’heure où un commerçant indélicat prétend détenir un ara qui lui aurait appartenu (4), et dont la particularité serait qu’il lui aurait appris à jurer contre Hitler et les nazis. Mais en regard de tout ce qui vient d’être rapporté, il est aisé de comprendre que The Lion n’a jamais eu besoin d’envoyer quelqu’un d’autre, et surtout pas un perroquet, dire à sa place ce qu’il pensait...
Florilège de mots d’esprit :
However beautiful the strategy, you should occasionally look at the results.
I like pigs. Dogs look up to us. Cats look down on us. Pigs treat us as equals.
The Americans will always do the right... after they’ve exhausted all the alternatives.
The problems of victory are more agreeable than the problems of defeat, but they are no less difficult.
There is nothing more exhilarating than to be shot at without result.
When you have to kill someone, it cost nothing to be polite.
When I am abroad I always make it a rule never criticize or attack the Government of my country. I make up for lost time when I am at home.
(1) A ne pas confondre avec son contemporain homonyme, le nouvelliste américain Winston Churchill (1871-1947).
(2) « Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, de la sueur et des larmes ».
(3) « Dans les jours sombres et les nuits encore plus sombres quand l’Angleterre se tenait seule - et beaucoup d’hommes excepté les Anglais désespéraient de (pour) la vie (survie) de l’Angleterre - il mobilisa la langue anglaise et l’envoya (la lança) dans la bataille. »
(4) AFP - mercredi 21 janvier 2004, 15h15 http://fr.news.yahoo.com/040121/202/3lor7.html
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