Anicroches et double-croches
Festival de LOIRE 2013
Quand les mariniers restent loin du quai.
À deux jours de l'ouverture du Festival de Loire, le marinier qui use ses guêtres à longueur d'année sur le pierré et la rivière, n'a plus guère sa place en ce moment. Il devrait montrer patte blanche ! L'exigence n'est pas simple pour celui qui venait mettre les dernières touches à son bateau. La paluche est rugueuse, pas de celle dont on use pour passer de la pommade dans le dos. La paume est crasseuse, de quoi rebuter les zélés administrateurs qui décernent le laisser-passer réglementaire et qui les arborent depuis bientôt une semaine en prétendant, narquois, qu'ils ne servent à rien.
Le marinier s'en retourne bougon, il ne peut ni écoper, ni peaufiner, ni même humer la fête à venir. La ruche laborieuse a franchi un cap. Seuls les professionnels de la profession ont place sur le quai ; le bénévole, bien naïf déjà dans ce rôle si grotesque, ne l'a plus Il lui restera la possibilité de jouer à faire semblant quand la fête sera lancée. Il deviendra ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être, un pauvre prétexte, une toile de fond, un décor en carton pâte. L'essentiel est ailleurs, loin de l'eau et de ces bateaux illusoires.
Le marinier pourtant peut comprendre les obligations de la logistique, il est capable de ne pas s'approcher de la grue quand celle-ci est à l'œuvre. Il peut encore s'écarter quand les ouvriers passent, se pousser pour faire place aux cerbères aquatiques. Mais ce n'est pas ça qu'on attend de lui, on désire ne plus le voir, l'effacer du décorum qui se monte et où, à l'heure dite, il devra prendre sa place comme une gentille marionnette qui ne débordera pas de son rôle de figurant.
Désormais, ce n'est plus le costume, la pratique, l'ancienneté, l'expérience ou le rôle tout au long de l'année qui feront foi. Seule l'accréditation fixera la hiérarchie dans cette vaste comédie. Plus le coupe-fil donnera accès à tous les lieux de cette belle et grande animation, plus le personnage qui en sera doté sera estampillé marinier d'honneur le temps du Festival. Qu'importe si l'Important n'a jamais mis les pieds sur un bateau de l'hiver, s'il n'a jamais rendu le moindre service, il est élevé au rang distinctif par une pieuvre administrative absurde et sans mémoire.
Je me réserve des jours délicats à dire une fois encore l'absurdité d'un Festival de Loire qui repousse à sa périphérie, qui rejette à l'eau ceux qui toute l'année, ont servi la Loire de bien des manières. Le photographe dont les clichés circulent sur toute la rivière, n'obtiendra pas son sésame quand d'autres, nouveaux venus, auront ce privilège. Le capitaine qui transporte des passagers en toute saison est prié lui aussi de dégager. Votre serviteur qui écrit à longueur de billet sur sa rivière ne réclamera même pas cette étiquette de la servitude !
J'en oubliais de vous narrer la fort belle fête improvisée et sans grimaces qui se tint à Combleux dimanche. Nous étions là dans un autre monde, celui qui se moque de l'étiquette et de la pompe, des courbettes et des discours, des rubans à couper et des remerciements à égrainer. Il n'y avait que les mariniers et leurs bateaux, les gros et les petits, les vieux retapés pour la circonstance et les tout nouveaux. Chacun libre de ses agissements et des ses envies.
Nous avons hissé la voile, chanté, raconté des histoires, mangé et levé nos verres à la santé des gueux d'autrefois. Nous ne nous sommes pas pris la tête avec le cahier des charges, la charte de bonne conduite, le protocole et le planning tiré au cordeau. Pourtant, ce ne fut ni l'anarchie, ni une honteuse fête bachique, bien au contraire. Il y avait de la dignité et du bonheur, de la fierté et de la fraternité. Un idée qui sonne faux désormais dès qu'un pouvoir quelconque étend son ombre sur une manifestation.
Il y aurait bien des anecdotes à vous narrer. La première sortie à la voile de l'Étienne Burry, fraîchement baptisé de la veille et qui voulait hisser la voile en dépit d'un équipement encore incomplet. L'impressionnant train de bateaux superbement improvisé par nos amis de Jargeau , la surprenante tentative de navigation à couple et à la voile, l'engravage d'un gros bateau secouru par un plus petit …
Mais si je vous racontais tout ça, nous aurions immédiatement sur le dos les trissotins de la réglementation, les délateurs zélés, les services idoines des autoritaires portuaires, les représentants de la bienséance locale, les corps constitués et les compagnies d'assurance. Je dois garder le silence ou bien je passerai à mon tour pour un affreux délateur. Tout ce que j'écris sera retenu contre moi et mes amis …
Nous allons rentrer dans le rang, mettre le petit doigt sur la couture du pantalon, sourire aux beaux messieurs et aux grandes dames, bouter notre chapeau à leur passage, les prendre à bord quand ils en exprimeront la demande alors que les manants devront faire la queue et prendre un ticket à la caisse. Nous ferons bonne figure car notre seul but sera une fois encore de faire aimer notre rivière. Mais il faudra bien serrer les dents pour supporter ce ballet d'hypocrites, cette armada de grimaciers !
Une bonne pluie rebutera ce joli monde. J'en viens à espérer la colère des cieux pour retrouver l'authenticité et la simplicité. Nous mouillerons nos liquettes quand d'autres resteront au sec. Voilà bien ce qui pourrait apaiser mon courroux, dû sans doute à l'exaspération et à l'incompréhension devant tant de rebuffades absurdes, d'obstacles stupides et de barrières plus symboliques encore que réelles !
Anarchiquement leur.
Photographies de
Alain Pavard-Doisneau
et
Adrien Richard
Merci à eux ...
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