Année Mozart : 250 bougies et beaucoup de crème sur le gâteau
Ce 27 janvier 2006, il y aura exactement 250 ans que naissait un petit prodige dans la ville de Salzbourg, aujourd’hui en Autriche. L’événement est célébré comme il se doit pour un compositeur aussi populaire et aussi universellement apprécié. Il l’est en particulier par Radio Classique qui a consacré une bonne part de ses programmes du mois de janvier à l’évocation de la vie et de l’œuvre du compositeur viennois.
Mais si
l’intention est excellente, la manière nous conduit tout droit à l’indigestion,
les « Dies Irae » des jingles succédant ici aux vagissements
télévisuels de la Reine de la Nuit vantant les mérites du riz d’un bovin ailé.
Indigeste également, cette idée de confier une résurrection imaginaire de Mozart
au beau milieu de notre époque à Luq Hamett, voix française du film Amadeus de Milos Forman, histoire d’insister grassement sur la
supposée tendance du compositeur à être obsédé de « pipi-caca-prout »
dès qu’il ne s’agissait pas de musique. Il est bien de souligner que le génie
et la folie se rejoignent souvent, mais il est surtout inutile d’en faire des
tonnes.
Cette
reconstitution de la vie fascinante de Mozart en le faisant parler de son œuvre
est ainsi gâchée par ce choix contestable, qui suit l’embauche récente de
présentatrices inadaptées sur cette station radio au succès et à la popularité
croissants. Pour commencer, curieuse idée d’avoir fait appel à des néophytes ne
connaissant pas grand-chose à la musique : scander le nom d’un compositeur
archi-connu pour ne pas trébucher en le prononçant -mal de toute façon- soumet
à rude épreuve l’indulgence de l’auditeur. Histoire de dissiper les derniers
relents de cette indulgence, les nouvelles égéries de la station radio font à
présent l’annonce des œuvres musicales dans un style fait de bafouillages et
d’hilarité qui rappelle celui des speakerines de FIP vous annonçant d’une voix aussi
gourmande que goguenarde que vous n’avez pas fini d’en baver dans votre bouchon
du périph. Une volonté délibérée, sans doute, et nécessaire, sûrement, de désacraliser le classique,
pour lui permettre d’atteindre un plus grand nombre d’auditeurs. Grâce également à l’ouverture du champ « classique » à des oeuvres
contemporaines mais populaires que sont les musiques de films, le but est
atteint, mais avec des ratés.
Pourtant,
l’occasion est idéale pour faire découvrir ou redécouvrir les œuvres du génial
Viennois, pour lequel l’écriture musicale était plus qu’une seconde
nature : une langue maternelle ; paternelle, plutôt, Léopold Mozart
veillait au grain, même si ses compositions sont bien lourdaudes en regard de
celles de son rejeton. Malheureusement, le fait que Mozart soit le compositeur
à la mode du moment transforme, comme bien souvent, la célébration en
grand-messe incantatoire propice à tous les raccourcis et à toutes les
exagérations.
Première
d’entre elles, cette tendance actuelle à le considérer comme de statut quasi
divin, son œuvre étant censée planer, dans l’air raréfié, au-dessus des autres.
Une préférence certes défendable de la part d’un connaisseur isolé, mais trop
vite, de nos jours, répandue comme vérité évangélique aux multitudes avides
d’apprentissage et de repères, au détriment d’autres compositeurs presque
relégués au rang de barbons poussiéreux. Parmi ceux-ci, Jean-Sébastien Bach et
Ludwig van Beethoven, dont il convient de rappeler qu’il y a quelques
décennies, ce sont eux qui ont joui de ce statut de
« super-compositeurs ».
Bien sûr,
ce n’est pas pour autant qu’aux yeux des mélomanes avertis, l’étoile de ces
deux géants s’est ternie. Mais en ce moment, à part quelques
« tubes », leurs œuvres sont moins racoleuses vis-à-vis du grand
public. Que Mozart soit à la mode de nos jours doit tenir autant d’un phénomène
d’alternance naturelle que de l’adéquation de sa musique avec notre époque. En
effet, les compositions de Mozart sont d’une maîtrise et d’une concision qui
cachent leur réelle richesse mélodique et harmonique, ce qui rend immédiat l’abord de toutes
ses œuvres, et même les chefs-d’oeuvre. En comparaison, les compositions les
plus abouties de Bach, de Beethoven et de bien des auteurs nécessitent un certain apprentissage,
qui passe par l’écoute prioritaire d’œuvres plus « directes ».
Mais ce
n’est pas parce que la musique de Mozart répond mieux à la tendance du zapping
superficiel de notre époque de citadins stressés que son œuvre, du reste
interrompue trop tôt, à l’âge de 35 ans, est incontestable. Ainsi, même si
toutes ses compositions se caractérisent par une facilité d’écriture et une
concision irréprochable, la tendance bien connue du prodigue Mozart à honorer
ses commandes dans l’urgence pour assurer ses fins de mois se retrouve dans une
certaine propension aux redites.
Une autre
des qualités de Mozart, bien dans l’air du temps, joue en faveur de son
actuelle popularité : sa précocité. Avec le culte des enfants surdoués, on
oublie trop souvent que la précocité n’est pas forcément corollaire du génie
(bien qu’elle le soit dans le cas de Mozart), et bien des enfants très en
avance retrouvent le plancher des vaches de la normalité à l’âge adulte. Du
reste, même la précocité n’est plus nécessaire pour certains spécialistes de la
comparaison galvaudée : ainsi vante-t-on de-ci, de-là, sur les ondes
télévisuelles, le « Mozart du camembert au lait cru », le « Mozart
du coup de pédale en milieu de peloton », le « Mozart du crédit et de
l’assurance automobile »...
La
précocité de Mozart lui a permis de maîtriser le langage musical -ou plutôt,
l’ensemble des langages musicaux de son époque- en une parfaite synthèse et
avec une facilité peut-être inégalée, mais elle ne l’a pas poussé à
l’approfondir ou le révolutionner, comme ont pu le faire Bach ou Beethoven. De
ce point de vue, la condition de Mozart, phénomène adulé dès l’enfance dans
toutes les cours d’Europe, contraste avec celle de Bach, traité comme un
médiocre, juste bon à servir de pion, par des employeurs ignares, et qui, si l’on
excepte ses œuvres religieuses, composait presque exclusivement pour son
plaisir personnel et celui de ses nombreux enfants et élèves. A ce sujet,
l’influence pédagogique de Bach fut immense, contribuant par fils interposé (Jean-Chrétien
Bach) à la maîtrise musicale du jeune Mozart.
Autre
composante essentielle de la popularité de la musique de Mozart : sa
gaieté (même si son œuvre est loin d’être uniquement « légère »).
Sans en avoir fait le compte et sans grand risque de se tromper, on peut
avancer que le mode majeur est, chez lui, largement prédominant par rapport au
mode mineur (à l’instar de son contemporain et ami Joseph Haydn, qui l’assumait
en déclarant que cet état de fait correspondait à sa nature profonde). Une
caractéristique propre à séduire de nos jours, en une période qui contraste
avec celle de la montée des totalitarisme et de la guerre, où furent composés
les plus grands chefs-d’œuvre de Prokofiev, dont nous avons fêté le
cinquantenaire de la mort il y a trois ans, dans une indifférence presque
totale. Il est vrai que la musique souvent agressive et torturée de cet enfant
terrible de la composition russe du XXe siècle est aux antipodes de celle de
Mozart. Mais si elle n’est sans doute pas aussi géniale, elle n’en est pas
moins géniale aussi.
Donc, de
grâce, célébrons, adulons, glorifions même, mais avec discernement. Et en
découvrant des merveilles méconnues, plutôt qu’en finissant par détester de petits
joyaux tels que la Petite musique de nuit ou Voi, che sapete,
pour les avoir entendus en boucle ou en jingles.
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON