Antonio Machado, poète et pédophile
« Ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre »
Spinoza
A la question : « Les gens ont-ils le droit de tout savoir ? », M. de Virieu [1], le célèbre journaliste de télévision, répondit un « non » catégorique. Selon lui, certaines choses doivent rester cachées aux yeux de l’opinion publique.
Alors, oui, il est de plus en plus difficile de publier des papiers qui sortent de l’ordinaire et qui, dans un sens général, ne fassent pas preuve d’une certaine « retenue ». Pour l’historien, le sociologue ou l’écrivain, le problème de l’autocensure est absolument indissociable de l’ « objectivité » et beaucoup, comme M. Howard Zinn [2], ne se font plus d’illusions : « l’objectivité ? Eviter d’exprimer un certain de point de vue. Je savais en effet qu’un historien (ou un journaliste, ou quiconque raconte une histoire) est obligé de choisir, entre un nombre infini de faits, ceux qu’il faut présenter et ceux qu’il convient d’omettre. Et qu’il reflète ainsi, de manière consciente ou inconsciente, ses intérêts ». De quoi baisser les bras et suivre les pas de M. de Virieu !
Des faits ! Des faits ! En voilà un qui ne manquera pas de surprendre. L’inconvénient est qu’il est lié à un poète extraordinaire, emblématique, héros de la lutte antifasciste de la guerre civile espagnole. En quelque sorte, un symbole de l’hagiographie progressiste du XXe siècle. Difficile à toucher, donc.
Alors, quelle attitude adopter ? Faire preuve d’ « objectivité » ? Jugez-en vous même.
La semaine dernière, je fus invité par une association philantropique londonienne à participer à une série de conférences sur le poète espagnol, Luis Cernuda. Le grand salon de cet hôtel particulier, situé en plein cœur de la City, débordait d’érudits, de professeurs d’université, de spécialistes, de poètes et d’écrivains. Le va-et-vient entre les différentes salles de conférence et le hall central fluctuait selon la réputation et l’habileté des conférenciers. J’entendis qu’un professeur de l’Université de Salamanca présentait un remarquable travail sur Antonio Machado. J’avais dix minutes devant moi ; je decidai d’y faire un saut.
On venait de présenter, je crois, les participants et le président d’une association fit un bref dicours. Le professeur de Salamanca attendait derrière lui, un brin nerveux, le visage crispé. Je parcourus le programme : « La ruralité dans l’œuvre poétique d’Antonio Machado », presentée par Eugenio Vazquez. Je m’abstins de toute idée préconçue et m’assis près de la porte. Il posa ses notes devant lui et commença son exposé après un bref bafouillement de courtoisie. Un homme d’une soixantaine d’années se leva alors derrière moi et lança une protestation énergique qui pétrifia l’assemblée. « - M. Vazquez, vous aurez cette fois l’amabilité de nous parler de l’inavouable ! ». Il se rassit, sourit gentiment à ceux de ses voisins qui l’observaient encore et leva sereinement le menton en direction de l’estrade. Ces milieux érudits anglais regorgeaient d’excentriques. Le professeur reprit son exposé là où il l’avait laissé.
« - N’est-ce pas un acte de pédophilie que de déflorer une enfant de 13 ans ? », reprit mon voisin. « Que la fillette soit votre femme n’enlève rien à la chose ! ».
Des murmures outrés traversèrent la salle. Le conférencier ôta ses lunettes et répondit qu’il ne pouvait supporter que l’on salisse le nom d’un artiste d’exception.
L’autre brandit un catalogue.
« - Lisez ! s’exclama-t-il. Lisez, page 123 de votre brochure ! Il est dit que Leonor Izquierdo, l’enfant déflorée par Machado, et il avait 33 ans !, était sa femme depuis le 30 juillet 1909. Il est dit qu’elle était âgée de 16 ans le jour de son union avec le poète sévillan. C’est un mensonge ! Une falsification de l’histoire ! L’enfant avait en réalité 13 ans le jour de son mariage ! J’ai ici les copies de son extrait de naissance. Leonor mourut trois ans après cette union, le 1er aout 1912, de « complications pulmonaires ». Elle avait alors à peine dix-sept ans et avait connue une vie conjugale intense, pourquoi en douter ? »
« - Il est dégoûtant ! cria quelqu’un. Qu’on le jette dehors ! ».
« - Je vous lirai l’extrait d’une lettre du poète à son ami don Pedro Chico, écrite des années après la mort de la petite : « Si le bonheur est quelque chose de possible et réel –ce que je pense parfois- je l’identifierais mentalement aux années de vie passées à Soria et à l’amour de ma femme, dont le souvenir constitue la base la plus solide de mon âme ».
Un silence étonné plana un instant sur l’assemblée. Un conférencier prit la parole :
- Vous voyez bien qu’ils s’aimaient !
- Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ! répondit le trouble-fête.
- Mais certainement, Monsieur, certainement !
- La nature de l’amour d’une jeune fille de 13 ans est fondamentalement différente de celle d’un homme qui a passé la trentaine ? Vous devriez le savoir.
Le conférencier fourra le nez dans ses papiers et garda un silence coupable.
C’est alors que l’homme fut jeté dehors.
Je sortis et l’abordai. Il me montra les photocopies d’acte de naissance de Leonor Izquierdo et me dit que ses parents, originaires de la province de Soria, avaient donné leur accord à cette union. Les autorités civiles et religieuses ne s’y étaient pas opposées non plus.
Je fis quelques recherches les jours suivants et je découvris que l’histoire de cet homme était vraie.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON