Apocalypse du Progrès
La sensibilité aux problèmes environnementaux est-il le propre de notre époque ? Non, répond Jean-Baptiste Fressoz dans son "Apocalypse joyeuse". Mais le mystère des origines de la modernité et du Progrès ne disparaît pas pour autant.
Dans un livre iconoclaste, L’Apocalypse joyeuse, une histoire du risque technologique, Jean-Baptiste Fressoz soutient que la sensibilité aux effets pervers du Progrès n’est en aucun cas une invention de notre modernité tardive. Depuis l’aube de la révolution industrielle, nous dit-il, les dangers pour la population et l’environnement, par exemple lors de la mise en place des chemins de fer, de l’éclairage public ou de la vaccination, ont été dénoncés publiquement. L’Occident était conscient de ce qu’il faisait, mais les promoteurs du Progrès sont parvenus à « inhiber » les résistances, en répondant aux critiques, certes par des améliorations réelles de la sécurité physique des usagers, mais aussi en achetant l’assurance juridique leur permettant de continuer la révolution industrielle et technologique.
- 1908, catastrophe à la gare Montparnasse
Ainsi s’est mise en place une lecture « positiviste » de l’Histoire, supprimant a posteriori les « points de bifurcation » de l’époque moderne. Là où des catastrophes, des dégradations de l’environnement auraient pu être évitées. Une fois de plus, l’Histoire est écrite par les vainqueurs…
Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences à l'imperial college de Londres, nous avait déjà fait découvrir, récemment, un certain Eugène Huzar, auteur de La fin du monde par la science (1855). Le livre, à contre-courant de son époque, connut un réel succès (au grand étonnement de son auteur). Mais ce succés ne fut qu’un feu de paille. C'est son innocuité qui permettra de le faire oublier. Huzar n'est ni un grand esprit ni un auteur durablement populaire. Il croit à l'inéluctabilité du Progrès, mais, de manière originale, le considère néanmoins comme catastrophique. Il a lui aussi, comme Jules Verne dans Paris au XXe siècle, d'étonnantes visions prophétiques (sur la déforestation, l'épuisement des ressources...) mais discréditées par d'autres prévisions aberrantes, qui pouvaient être réfutées facilement dés son époque (le déplacement de l'axe de rotation de la terre par le creusement des mines...).
Son œuvre, finalement anecdotique, ne dérangeait donc en aucune façon le règne sans partage de la conception dominante de son temps. Il servit de divertissement, ou peut-être de bonne conscience, à un public fasciné comme un enfant par le Progrès, mais jouant à se faire peur. Quant à Jules Verne, son roman anti-Progrès fut refusé par l'éditeur Hetzel et ne sera édité qu'en...1994. Trop tard pour être utile.
Néanmoins, si la thèse défendue par Jean-Baptiste Fressoz dans L’Apocalypse joyeuse est vraie, partiellement ou totalement, elle jette une lumière crue et dérangeante sur la prétendue « prise de conscience » environnementale « postmoderne » menée par les organisations internationales et inspirée par le philosophe allemand Hans Jonas (Le principe précaution, 1979). Nous ne serions pas meilleurs sur ce sujet aujourd’hui qu’hier. Il y aurait bien des améliorations apportées sur les dégradations les plus dévastatrices, les plus visibles, mais juste assez pour permettre à l’humanité de survivre, tandis que la marche en avant du Progrès continuerait, avec la bonne conscience en plus, sur le principe des « droits à polluer » qui s’achètent et se vendent.
La religion du Progrès
Le mystère du Progrès et de la modernité ne disparait pas ; bien au contraire, il s’épaissit. Puisque les hommes étaient sensibles à ces effets pervers, dés l’origine, qui donc a donné aux promoteurs du Progrès, la force et la persévérance de vaincre ces résistances, partout et toujours, sur la longue durée ? Le seul appât du gain ne peut expliquer une tendance aussi lourde, aussi irrésistible, pendant les trois siècles du Progrès. D’ailleurs, le Progrès le plus dévastateur qui soit a continué et s’est amplifié, en Russie, après la révolution d’Octobre, puis dans tous les pays communistes.
Il faut donc admettre que des mécanismes beaucoup plus fondamentaux, liés à des croyances profondes, sont à l’œuvre en Occident, depuis beaucoup plus longtemps que les révolutions industrielles, scientifiques et politiques du XIXe siècle. Comme le montrent Max Weber et Jacques Ellul, le capitalisme d’inspiration protestante repose bien sur une éthique aux fondements religieux, sur une croyance passionnée qui a permis aux hommes du Progrès de subjuguer l’humanité, d’emporter son adhésion, de vaincre ses réticences. Cette même croyance, retournée, inversée, a servi de religion laïque à tous ceux qui s’opposaient au capitalisme anglo-saxon, autour de la foi communiste.
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