« Apocalypto » en DVD : un jeu vidéo grandeur nature...
Je profite de la sortie en DVD, le 6 septembre dernier, du film Apocalypto (2007), pour vous en parler.
C’est clair, avec Mel Gibson, on n’est pas chez Maya l’abeille, on n’est pas non plus dans un Ushuaïa spécial Mayas (pour la case Authenticité style Connaissance du monde, malgré la vraie forêt, les vrais Indiens, hémoglobine, jaguars, serpents et autres tapirs, on repassera !), on est davantage ici dans le registre du survival : envoyez les violents ! C’est un film épique lancé comme un train que rien ne peut arrêter : "Cours Jaguar, cours !", dixit Stéphane Delorme dans Les Cahiers du cinéma (n° 620, page 58). Le pitch est simple : notre Jaguar (joué par un acteur quasi sosie de Ronaldinho !), poursuivi par des tueurs assoiffés de sang, sauvera-t-il sa femme qui accouche au fond d’un trou qu’une pluie abondante remplit peu à peu ? Eh bien voilà un Rambo à la sauce Maya, mâtiné de Mad Max (pour la course-poursuite endiablée). Alors, on se souvient peut-être de la fameuse phrase, quasi-deleuzienne, de Rambo dans le n° 2 « Pour vaincre la guerre, il faut devenir la guerre », eh bien le héros d’Apocalypto, Patte de Jaguar - un Maya gentil et bodybuildé à souhait devant faire face à une horde de Mayas méchants surexcités -, applique à la lettre ce cahier des charges hollywoodien : il faut que ça cogne ! Deux heures de bastons filmées tous azimuts, de maisons brûlées, de charniers, d’arrachages de cœurs, de corps décapités, égorgés, trucidés.
Soyons clairs, malgré le souci du détail (authenticité des décors, costumes, maquillages, tatouages itou itou), on n’est pas dans un documentaire estampillé Arte - on n’apprend pas grand-chose sur les signes extérieurs de cette grande civilisation : son industrie, ses croyances, sa culture, son organisation sociale... -, on est bel et bien embarqué dans un film d’action hollywoodien à 200 %. D’ailleurs, dans la version commentée du film, en bonus dans le DVD, notre (co)scénariste réalisateur dit de son film que c’est « Fear Factor 1502 version maya » - voilà, la messe est dite ! Bien loin du less is more bressonnien, il n’y a pas ici d’éthique de l’image, de place subtile au hors-champ suggestif, Mel Gibson nous propose plutôt un parc d’attractions filmique kitsch, simulateur hyper-performant pour toujours plus de coups, de guerres, de tortures, de cascades, de massacres apparemment infinis comme dans un video game. On recherche le divertissement par l’effroi, comme à
Pour autant, ce film gore, sorte de "mad movie", malgré ses marottes sadomaso, sa complaisance pour l’horreur, la violence graphique et les chairs martyrisées, a bien quelque chose de fascinant, dans son énergie démentielle à se déployer, sur la violence de la nature et la nature de la violence. En fait, c’est un film de Mad Mel sur les Mayas mais ça ne parle, selon moi, que de l’Amérique (A History of violence) et de sa brutalité, de sa violence « intrinsèque ». « L’Amérique est le pays où tout le monde se tire dessus ; on voit ça tous les jours à la télé. » (Chris Burden, performer). Bon sang, dans Apocalypto, quelle vision pessimiste d’une humanité intrinsèquement barbare qui ne peut se racheter que dans la souffrance ! C’est là que l’on retrouve le poids judéo-chrétien et les bondieuseries gore chères à notre auteur d’une Passion du Christ pour le moins controversée, Mad Max est devenu évangéliste, eh oui ! Ce dolorisme est pour Gibson le fondement même du christianisme, il y a vraiment chez cet entertainer une fascination pour les jeux macabres et les chairs qui souffrent. Au fond, Mel le gamer aurait kiffé être le Christ ou un Maya sacrifié ! Il y a un masochisme de la peau chez lui que l’on ressent à travers le filmage insistant - que l’on devine jouissif - de gueules abîmées, d’hématomes, de piercings, de scarifications, de tatouages, de couteaux tournés dans la plaie, de flèches, de lances pénétrant, déchirant, transperçant... la peau.
Ce film, par ailleurs, est révélateur de bien des symptômes d’un pays (l’Amérique) qui, à l’ère encore toute récente d’une politique guerrière pleine de bruit et de fureur d’un gouvernement va-t-en-guerre - le théâtre (des horreurs) d’Abou Ghraib peut se retrouver dans la scène too much du temple-pyramide où l’on arrache des cœurs encore battants avant de les envoyer rouler sur les marches du temple-colline du supplice ou encore, récemment, dans les deux Hostel, films malins et malsains simulant des tortures réelles -, a bien du mal à se dépatouiller avec ses figures-icônes (Rambo, Mad Max...) à la gloire de l’ultra violence et du principe de la chaîne alimentaire - c’est, au fond, du darwinisme appliqué aux civilisations : les gros mangent les petits, ce qui est aussi, vous me l’accorderez, l’une des définitions possibles d’un certain libéralisme frénétique actuel - le renard qui fait sa loi, par la force et par la peur, dans le poulailler.
Dans Apocalypto, il y a une scène vraiment symptomatique de l’Amérique, de la violence et de ses avatars tarantiniens. C’est lorsque Mel Gibson nous organise, dans son jeu de piste son et lumière dans la jungle verte, un mini jeu vidéo primitif et viscéral : les méchants Mayas font courir les gentils Mayas survivants, chasseurs devenus objets pour un jeu de la mort, sur un « champ de courses », afin de jouer à les tuer avec flèches, lances et autres accessoires mortels. A l’orée de ce champ, il y a même un guerrier qui balise le terrain et qui finit ce « travail pour la cruauté » en achevant les prisonniers transpercés. On a alors l’impression d’assister, avec cette chasse à l’homme, à une espèce de jeu de base-ball perverti (la course de Patte de Jaguar, en zigzag, rappelant ici le home run - terme de base-ball signifiant « course vers la maison »), d’être dans un jeu vidéo ou snuff movie à la sauce hollywoodienne, fonctionnant par niveaux, par plates-formes à atteindre (l’El Dorado, ici, c’est un champ de maïs libérateur), et l’on pense alors, par exemple, au jeu de massacre des deux ados médiocres, insensibles, se figurant dans un jeu vidéo grandeur nature lorsqu’ils abattaient froidement leurs « cibles » qui n’étaient autres que des victimes innocentes, des étudiants, sur le campus et dans les couloirs de l’université Columbine. Bien sûr, Mel Gibson n’est pas Michael Moore, et encore moins Gus Van Sant - son film, loin d’être un plat de gourmet, est un gros truc plutôt indigeste, avec un goût fort prononcé pour le rouge vermillon des spaghettis. Pour autant, son film brut(e) de décoffrage - parce qu’il met les pieds dans le plat de l’ultra violence d’ordre cathartique (le retour du refoulé), histoire de résorber sa mauvaise conscience due à quelque barbarie -, est regardable car il est le révélateur de bien des traumatismes liés à la civilisation américaine d’hier et d’aujourd’hui. Et, en tant que film d’aventures, il faut bien avouer qu’Apocalypto tient vraiment bien la route, à en perdre haleine même. Pour autant, à la fin, quand on voit les Américains, euh pardon, les Espagnols, arriver (de la nécessité tout de même de civiliser la planète !), on est alors très loin d’un lyrisme majestueux et panthéiste à
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